Entre deux bières et sans masques, verbatim d’une rencontre au parler franc entre BiBi et… son Double.
- Tu te trompes, BiBi, Macron est en meilleure position que tu le crois. Nous aurons, hélas, un Macron 2. Les nuits d’après avril vont être noires, très noires, longues, très longues et meurtrières.
- Tu te bases sur quoi ? Ces sondages à la con t’auraient convaincu ?
- Les sondages restent bien entendu les pivots des manipulations quotidiennes. Je ne leur fais aucunement confiance mais c’est dans leurs caches, dans leurs plis silencieux qu’ils disent le vrai.
- Je ne comprends pas.
- Prends le dernier sondage ou même tous les sondages précédents. Macron y est stable : entre 23 et 27%. Mais ce qui reste caché à chaque fois, c’est l’impasse que font ces sondages sur les abstentionnistes.
- Oui, les Insoumis ont dénoncé ça.
- Mais cette dénonciation, si juste soit-elle, ne change rien. La méthodologie continue de rester la même. L’explication de cette censure est simple. Ramené au nombre des inscrits – et non des votants – le chiffre de Macron serait ramené entre 10 et 13%.
- Pourquoi cela n’est jamais dit sur la scène médiatique ?
- Parce que le rappeler ferait prendre conscience à beaucoup trop de Français à quel point notre système dit « démocratique » ne l’est pas. Le rappeler dirait ouvertement que le représentant du peuple n’est élu que par une infime partie de la population, que les Assemblées ne représentent en rien la population active, les classes populaires. Bref que notre démocratie est un ersatz, un déni de démocratie. Ce serait insupportable, intolérable.
- Le vote continue d’être un progrès, aussi insatisfaisant soit-il, non ?
- Certes mais l’analyse du rapport des forces dans le pays n’a rien à voir avec les pourcentages des partis présents dans le vote politique. L’analyse concrète et le constat qui doit être fait, c’est que la Gauche, elle aussi, n’entraîne pas grand-monde comparé aux inscrits.
- Alors, il n’y aurait qu’à désespérer ?
- Non mais il faut être réaliste. Un élément positif du Réel reste que ces 40 à 60% d’abstentionnistes ne sont ni pour Marine Le Pen, ni pour Zemmour, ni pour Pécresse, ni pour Macron. Un second élément important, c’est qu’il faut continuer de participer aux protestations, aux manifs des gilets jaunes, aux défilés anti-gouvernementaux toutes les semaines. Nous, on y est mais où est l’épine dorsale qui porte toute cette ébullition ? Il n’y en a pas.
- L’espoir est quand-même dans ces luttes.
- Toujours.
- Alors qu’est-ce qu’il manque ?
- Il manque l’organisation. Nos amis marxistes diraient avec raison : un parti d’avant-garde. Il manque le point d’appui sur lequel les luttes peuvent converger, seule garant d’une victoire.
- Côté Syndicats, je me demande où est Philippe Martinez. Peut-être à Bruxelles chercher ses subsides ? Quant à Laurent Berger, je n’en parlerai pas !
- Je rajouterai que, depuis la chute du Communisme, (et ce n’est en aucun cas une quelconque défense du stalinisme), il n’y a plus de rempart de protection minimale. Thatcher et Warren Buffet l’avaient bien compris en décrétant tranquillement, sûrs de leurs forces, « There Is No Alternative ». Depuis la chute du Mur, la violence du libéralisme n’a plus connu de frein. Partis communistes en phase terminale, social-démocraties partout à la solde du Grand Capital, ici des alliances recherchées (PS-PCF) qui ont dénaturé pour des décennies la notion de Gauche…
- Les traditions de lutte ne peuvent pas mourir comme ça. Perso, j’ai envie de croire au Renouveau.
- Je regarde avec bienveillance ce qui est en construction.
- Tu parles des Insoumis ?
- Oui mais là aussi, le constat sur ce réel élan positif se doit d’être tempéré. Soulignons d’abord que le mouvement dépourvu de démagogie, est jeune et que ses soutiens ont raison de défendre leur programme élaboré en commun.
- Tu n’as pas l’air convaincu ?
- Sur le vote d’avril, il n’y a pas de souci si c’est de cela dont tu parles. Les avancées présentées dans leur programme ont ma faveur.
- Alors, quoi ?
- Quand je me rends sur Twitter, je vois chez eux tant d’optimisme…. mais j’ai bien peur que mes propos iront désespérer quelque peu… non Billancourt mais la partie des classes moyennes en lutte qui les soutient.
- C’est vrai que dans les réseaux sociaux, les Insoumis sont très offensifs…
- Sauf que les utilisateurs de Twitter ne reflètent en rien l’état du Présent et le degré de conscience des forces en présence au niveau national. Et je vais te dire une chose qui ne te fera pas plaisir : ce nombre important d’internautes est en partie un leurre. Ce nombre dit ce qu’il nie, il dit que le travail militant indispensable est faiblard et qu’on croit le compenser en faisant du lien via le Net, via un illusoire rassemblement numérique.
- Donc pour toi, c’est inutile ?
- Bien sûr que non. Même minime, tout combat a une portée. Attention, je ne me moque pas de ces espoirs et de nos illusions. On ne peut vivre sans. L’illusion est nécessaire, incontournable mais « ce qui est » demande à minima de s’en tenir à une méthodologie sans faille et sans pitié. Quitte à ce que ses résultats nous désenchantent et – désolé pour toi, pour moi – nous désenchantent et nous fassent souffrir. La classe dominante domine et je ne vois pas un élan suffisant pour la remplacer, la mettre en minorité et gagner.
- D’accord. Ce qui fait froid dans le dos, c’est cette montée de l’extrême-droite et cette fascisation montante dans la Droite inaugurée par Sarkozy et poursuivie par les socialistes et la Macronie. Mais, bordel, en s’rrêtant simplement sur la France des inscrits, notre pays n’est pas fasciste.
- La fascisation ne se fera pas via Le Pen ou Zemmour. Le processus enclenché par la décennie chiraquo-sarkozyste va s’amplifier à un niveau inimaginable mais via… un Macron 2. On va en baver comme jamais. C’est sang et poumons que nous allons cracher. Je pense là particulièrement à la jeunesse du pays, à notre territoire destructuré par le Capitalisme, à ce qui est en train de se défaire et de se faire à l’Ecole et à l’Université, aux opposant(e)s qui verront surveillance et violence de la Police atteindre un niveau jamais vu, aux salarié(e)s d’entreprise subissant les intimidations patronales, aux chômeurs, aux migrants parqués, refoulés.
- Tout ça c’est si Macron passe…
- Avec son cynisme, ses insultes, l’homme du MEDEF, ne l’oublions jamais qu’il l’est, est paradoxalement en position de force.
- Comment ça ?
- Il retarde sa candidature, il écarte tout débat sur son bilan. Il a la totale main mise sur la presse, les radios, les TV, publiques comme privées via ses amis. Avec le soutien ahurissant des médias, il parie sur le COVID, se moquant des non-vaccinés, gagnant les autres en brandissant Protection et Sécurité, jouant sur l’imparable peur de mourir.
- Tu as raison mais rien n’est joué. On n’est pas des Merlin avec des boules de cristal. La veille de la Révolution de 17, Lénine disait qu’il attendrait la Révolution encore très longtemps.
- La vie est toujours plus surprenante qu’on le croit. Il existe des miracles mais s’ils arrivent, ils n’en sont pas quand on regarde comment ils sont arrivés. Ce sont les tendances, les mouvances et perturbations du corps social, les classes en lutte qui doivent nous guider dans l’analyse.
- Perso, ce qui m’est insupportable, c’est la position communiste qui ne pense qu’à se refaire une santé 2022-2027 en criant haro sur les Insoumis au lieu d’y rechercher une possible alliance – seule souhaitable avec eux.
- Tu as raison, BiBi c’est extrêmement dommageable car les communistes sont forts d’une expérience militante incomparable – même si à 3%, elle est beaucoup moins forte aujourd’hui. Oui, tu l’as dit « alliance seule souhaitable », « seule » car le renouveau d’une gauche gagnante ne pourra plus se faire en empruntant les chemins de la Social-démocratie. Le populo ne veut plus de l’insupportable gauche vallsiste, hollandiste ou filochiste… Les résultats à venir le confirmeront.
- « Plus jamais PS » ? Mais les poches encore restantes continueront d’occuper le terrain médiatique. On parlera encore et encore des nullités de Taubira, Hidalgo, Jadot à Montebourg malgré le désastre Mitterrand 1983, malgré Jospin et son adoration du néo-libéralisme, malgré Hollande, Valls et compagnie.Ils feront croire que tout changera chez eux pour que rien ne change.
- Plus globalement, leurs partis ne seront rien sans leur base. Ce sont ces citoyens des couches moyennes qu’il faudra convaincre, cette petite bourgeoisie si frileuse, toujours fidèle au libéralisme. Demain, parents et enfants auront à subir et traverser d’énormes et d’incalculables turpitudes économiques. Ils vont connaître des terribles désillusions qu’ils ne soupçonnent pas encore aujourd’hui. Ils vont en baver. Comme toi. Comme moi. Comme jamais. Ce n’est que le début.
- Un dernier mot avant de nous quitter…
- Perso, BiBi, la nuit dernière j’ai fait un cauchemar : en avril, Macron se réinstallait pour un second mandat et, en 2027, lui succèdait un certain Edouard Philippe. Je me suis réveillé en sueur, à me frotter les yeux, le cœur en larmes. Pas sûr qu’il cesse un jour de pleurer.