Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur les phénomènes d’emprise et la difficulté de s’en dégager pour les victimes. Je relèverai une chose très importante : non seulement il est bon de parler (attention pas seulement de parler mais d’être écouté(e)) mais aussi d’écrire.
Avec la lecture du livre (« Le Consentement » chez Grasset), j’ai repensé à mes confrontations à la souffrance dans mon boulot d’éducateur, à mes rencontres avec tous ces enfants et adolescent(e)s abîmées par le harcèlement et cyberharcèlement, victimes d’inceste et d’abus sexuels innombrables. Je repense aussi à ces pères, en très grosse majorité absents, fuyants, lointains, indifférents à leurs enfants, abandonniques et souvent eux-mêmes abandonnés, silencieux à jamais. Je repense à ces mères prisonnières, elles aussi, d’une enfance cadenassée et broyée, n’ayant pas idée de ce que doit être la protection de leur(s) enfant(s).
MICROCOSME LITTERAIRE ET EDITORIAL.
Le milieu social que j’ai rencontré dans mon travail educatif n’était pas celui de Vanessa Springora (1). A la lire, on reste cependant éberlué devant ces «libertés» (errances) accordées à cette enfant de 13 ans, interloqué devant la surdité de ce microcosme littéraire parisien, devant l’entourage familial et amical de Vanessa et de sa mère.
PERE ET MERE.
Que dire de ce père qui surgit à l’hopital et qui entre en une rage folle lorsqu’il apprend que Matzneff vit au quotidien avec sa fille mais qui, couard et fuyard, ne portera aucunement plainte ?
La mère, elle, infantile, veut préserver sa lignée en demandant à sa fille, au passage, de ne pas parler de cette liaison à… sa propre mère. Une mère qui s’abstrait à bons comptes de l’histoire de sa fille, même après la lecture du texte que cette dernière lui présente : « Ne change rien, dit la mère de Vanessa, c’est TON histoire ». Ailleurs (p.157) : « Mais le dialogue [Avec sa mère] est impossible. En toute logique, si elle a accepté ma relation avec G., c’est quelle me considérait déjà comme une adulte ». Déni. Résistances. Enfant/adulte dans un Tout indifférencié. Négation de fait de l’enfant à éduquer. Négation de tout travail de transmission de valeurs, de transmission générationnelle à effectuer.
EMPRISE.
Ce phénomène d’emprise est toujours prêt à resurgir : Vanessa Springora n’ose pas écrire Gabriel Matzneff en toutes lettres et l’affuble d’un G. tout au long du récit. Il faut attendre la page 185 pour qu’on puisse lire, non le nom complet, mais – dit par l’avocat – les deux initiales G.M.
Au Brésil, au temps des tueries d’enfants via les Escadrons de la Mort, le signifiant « enfant » ne faisait pas sens dans le Droit. Ces « policiers » se justifiaient en disant qu’ils ne tuaient pas des enfants mais des «rats», des rats qui polluaient la ville, encombraient les rues en mendiant. C’est que le signifiant «enfant» n’existait pas alors : il faut toujours des luttes acharnées pour cette reconnaissance de l’enfant. Dans le parcours de Vanessa Springora, le mot «pédophile» n’est pas reconnu comme un danger, comme un agresseur passible des tribunaux. Il faut donc pour Vanessa Springora commencer le combat (personnel, singulier). Il lui faut en passer par son corps et ses souffrances (éprouver les passages à l’acte de Matzneff, son indifférence etc) pour pouvoir petit à petit les mentaliser et s’en dégager partiellement. Parcours douloureux qui va la dégager de l’emprise infernale qui dure pourtant (En cause : «La peur de l’abandon, chez moi, dépasse la raison») pour enfin la mener à la déprise.
PAROLE. ECRITURE. LIVRE.
Gabriel Matzneff, assis sur sa supériorité d’adulte et de romancier reconnu sur la Place, a cette arme redoutable : la parole. «Et G. manie le verbe comme on manie l’épée. D’une simple formule, il peut me donner l’estocade et m’achever. Impossible de livrer un combat à armes égales».
Et le silence est, bien sûr, pour l’autre. Désespérée, Vanessa Springora va chercher de l’aide chez un abominable Emil Cioran (2). Mais ce qui m’a retenu à la lecture de cette courte «visite», c’est la femme de l’écrivain : « Toute pomponnée, ses cheveux bleutés assortis à son gentil corsage, elle ACQUIESCE SILENCIEUSEMENT à chaque mot de son mari ».
BLESSE(E)S DE LA VIE.
J’ai ici une pensée pour toutes ces blessé(e)s de la vie que j’ai croisés (aidés humblement) qui ont connu inceste, abus, harcèlement. Ces mêmes qui – faute de capital culturel et scolaire suffisant – n’ont pas pu écrire un livre (a fortiori le publier) ou porter simplement témoignage écrit de leurs douleurs, de leurs balafres, des coups reçus, de la honte, de l’humiliation, de leur cris, de leur passage en enfer. Bien entendu, les hasards de la vie peuvent alléger le poids de leurs souffrances, les conduire à une rencontre bienfaisante, à un croisement amoureux, à une thérapie, à un entourage à l’écoute etc. La vie est toujours une solution, disait le poète.
ECRIRE : ce n’est pas pour rien que le dernier chapitre du livre de Vanessa Springora porte le titre tout simple : «Ecrire». Et à l’appui de Vanessa Springora, une autre femme (Iris Gaudin), victime elle aussi, des agissements de cette foutue bande de cons de la Ligue du LOL (3), vient dire une même chose : «Ecrire ce livre m’a finalement permis de reprendre confiance en moi, ça a été comme une thérapie… »
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(1) On n’a pas fini d’en apprendre sur ce petit monde littéraire et editorial. En témoignent Caroline Laurent, directrice littéraire de chez Stock et Yves Faucoup dans un billet précieux.
(2) Ce crétin d’Emil Cioran qui lâche bouffi d’une arrogance toute aristocratique : «Le mensonge est littérature, chère amie ! Vous ne le saviez pas ?». Oubliant de rajouter le plus important. C’est certes via le «mensonge» (la fiction) que la littérature existe mais c’est ainsi qu’elle touche à la… vérité et aux vérités toutes humaines.
(3) Iris Gaudin : «Face à la Ligue du LOL». Editions Massot.
PS : Confus et honteux, je me souviens – à retardement – du livre-témoignage écrit par Michelle Brun @BrunMichelle passée par l’établissement de « La Providence » de Clermont-Ferrand. Avec ce même titre « La Providence ».