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Ce lundi sur Arte, on passait le grand film de Jean Eustache («La Maman et la Putain»). Je l’avais déjà enregistré en VHS lors d’un dernier et lointain passage à la télévision. Ce qu’il y a de fort dans la re-vision d’un film qu’on a aimé c’est le trouble vers lequel il nous renvoie, trouble différent aux différents âges auxquels on le voit. Trouble d’adolescent en 1972 à l’Olympic-Entrepôt, troubles d’adultes plus tard. Et hier soir encore.
C’est évidement le privilège des films singuliers que d’être pluriel, que de se démultiplier, que de nous remuer ainsi et autant de fois. Pluralité et bouleversements inattendus de nos regards qui confirment la phrase rimbaldienne : «Je est un autre».
Dans les années 75-80, certains intellectuels avaient décrété que le Cinéma était mort. Ils avaient fait démarrer le cortège mortuaire à la date du «décès» du cinéaste Pier Paolo Pasolini (novembre 75). Mais comme dans toutes choses, la Vie se charge de dire le contraire : décréter la fin du Cinéma, haranguer la foule – populace ou élite – pour faire passer ce Message de Mort n’aura évidemment pas suffi. Le Cinéma n’est pas mort même si BiBi fait souvent une tête d’enterrement à la sortie des cinémas (et des films).
Bernard Cerf est directeur du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris. Il est par ailleurs réalisateur et producteur (Les productions aléatoires). Il est toujours vivant mais BiBi ne le connaît pas du tout.
Katerina Golubeva était actrice. Elle avait tourné avec Léo Carax, Bruno Dumont, Claire Denis. Elle est décédée le 14 août à Paris. BiBi ne la connaissait pas non plus, ne l’avait jamais vue.
Mais c’est la lettre de Bernard Cerf au Monde, lettre parlant de Katerina Golubeva qui a touché BiBi.
«Elle [KG] habitait près de chez moi. La première fois que je la croisai, je me demandai si c’était elle. Une amie me confirma qu’elle habitait là. Puis je la revis au Parc des Buttes-Chaumont avec sa fille. Elle avait ce visage blanc d’une beauté à la fois pure et mélancolique qui s’éclaire et mélange douceur et folie potentielle.
Je la recroisai. Lui parler n’aurait rien changé, mais j’étais amoureux d’elle et je ne lui ai rien dit. On devrait toujours dire aux gens que l’on est tombé amoureux d’eux, que l’on n’a pas osé leur dire, mais que l’on est content de savoir qu’ils existent même si l’on sait que l’on n’a rien à voir avec leur vie, leur travail, leur amour. Parce qu’ils meurent. Et que l’on a rien dit».
Voilà qui ferait une belle intro de long métrage. Une inconnue tenant la main d’un enfant aux Buttes-Chaumont. Un homme qui la regarde de loin. Un jour puis un autre. Avant d’apprendre un jour sa disparition.
Entre-choc des images et des lectures : c’est vers Jean Eustache, cinéaste lui aussi disparu, que BiBi se tourna instantanément. Jean Eustache dont Alain Philippon avait écrit le drame en posant cette question essentielle : «Comment rester un cinéaste de son temps, comment rester cinéaste quand ce temps commence à vous dégoûter ?» Jean Eustache qui mit magnifiquement en images l’actrice Françoise Lebrun dans La Maman et la Putain. Une Françoise Lebrun que BiBi rêve toujours de croiser aux Buttes-Chaumont ou au bord du Léman pour lui dire ce qu’il n’a jamais osé dire.