Bon, c’est entendu : un blog n’est pas une œuvre d’art. Mais en avoir créé un, l’alimenter nous rapproche de ce point vif de la création. Pour BiBi, il est même Création continue. A un point tel qu’il s’efforce de le rendre vivant, vivable, visible, transmissible, c’est-à-dire partagé.
La mise en ligne d’un billet est comme la mise au monde : elle s’accompagne de jouissance et de douleur. Douleur et Attente : qu’en pensera l’Autre ? Cet autre prêt à piétiner votre jardin narcissique, cet autre qui répondra, qui sortira sa langue de vipère, qui vous fera sortir de vos gonds ou qui jouera de flatteries pour mieux vous faire taire, qui vous aimera – pourquoi pas… ?
C’est une rencontre risquée, attendue dans le tremblement et la violence du calme.
Et c’est souvent un malentendu fécond.
Dans sa réponse à Guy Birenbaum, Raphaël Enthoven a cette phrase impossible pour BiBi. Il parle de son approche des blogs : « Seulement voilà, en ce qui me concerne, je n’y trouve jamais CE QUE JE CHERCHE – donc je ne cherche plus » écrit-il.
Monsieur Enthoven SAIT donc déjà ce qu’il cherche AVANT même de se lancer sur le Net. Colère enfantine suivra, le voilà trépignant, n’obtenant pas ce qu’il veut. La conclusion est logique, définitive et aberrante : «Je ne cherche plus, na !».
Imperméable à la Surprise, à tout Étonnement du Sujet, à l’Inédit, Monsieur Enthoven se fait donc hara-kiri, refusant toute métamorphose, se fermant à cette part étrangère à lui-même, inconnue de lui-même.
Il reste ignorant de l’espace que produit une Rencontre et fermé à ce lieu d’être, à ce territoire de jeu, de mouvement, de fantasmes, à cet espace de transferts et de passages.
S’ouvrir aux blogs est aussi un appel singulier (pas «égoïste») à un peu d’air frais quand on suffoque, à un peu d’air chaud quand on est prisonnier du froid et du givre. Cet appel n’est pas un hameçon qu’on lance car on peut n’avoir au départ nulle idée du «poisson».
La gageure pour BiBi, c’est qu’on ne sait pas ce qu’on cherche, puisqu’on cherche aux limites d’un Savoir, aux confins d’espaces habités, aux frontières de pays manufacturés et de paroles trop souvent rabâchées. On cherche ce qu’on ne sait pas et souvent à notre insu. On cherche d’ailleurs l’Insu, pour ne pas trop y tomber aussi. Nulle envie d’être déjà tout entendu. Nul désir d’être – a contrario – (comme) cet enfant jamais entendu qui ne peut pas appeler.
Le Blog est un Appel (pas forcément appel au secours, pas forcément « égoïste« ), un appel – pour une part – de reconnaissance, d’existence, de reconnaissance a minima d’existence. Monsieur Enthoven, vous qui aimez citer en abondance les auteurs (Ah, ce désir d’intimider votre lecteur ! Et je te cite du René Char, du Leibniz, du Michel Serres en 20 lignes : chapeau !), voilà ce que disait simplement Michel Leiris :
«On écrit pour être aimé».
Et on écrit aussi pour aimer, rajouterait un BiBi à la fois espiègle et inquiet.
«Internet n’est le lieu ni de l’échange ni du désaccord, mais du consensus, de l’unanimité et, donc, de l’invective et parfois du lynchage ». Vous avez presque raison. Et ce «presque» vous donne tort. Vous ratez cet enjeu de bloggeur et de lecteur de blog : vous évitez la rencontre risquée en terrain vague, vous refusez les malentendus féconds.
BiBi vous laisse à vos Chemins de Sûreté : allez donc reprendre possession de vos terrains sécurisés et balisés de la Connaissance (chaque matinée sur France-Culture).
Après tout, tant pis pour vous.