Dans le parti où ils sont, c’est la détestation qui les anime. C’est la haine (rentrée) qui est le moteur de leurs alliances. Leur solidarité est plus forte que leurs inimitiés, solidarité de classe qui prévaut toujours sur les humiliations et les coups bas à répétition.
Il y a très longtemps, BiBi était en visite estivale à Uzès (en 1990 ?). La ville avait organisé une manade dominicale et un Festival de musiques populaires une semaine durant. A tous les coins et sur toutes les places, on pouvait écouter chants et musiques du Monde.
Sous les platanes, avait été dressée une scène avec un beau piano de concert. Il était 17 heures et le plateau était occupé par les roadies qui tiraient fils, câbles et plantaient le décor pour le concert gratuit de la soirée. Sur les planches, il y avait un petit bonhomme qui vint s’asseoir sur un siège, face à son clavier. Ses pieds ne touchaient pas le sol. BiBi ne connaissait pas encore le nom de Michel Petrucciani.
Un enfant – de ceux dont on dit qu’ils sont des «cas sociaux» – accompagnait BiBi. Le jeune garçon de 11 ans avait des problèmes de croissance, petit qu’il était pour son âge. Une radiographie de la main l’avait confirmée. Le mois précédent, BiBi l’avait accompagné à la visite du spécialiste et, depuis, l’enfant s’interrogeait sur son devenir.
Accoudé au bord de la scène, il suivait le jazzman avec des yeux grand-ouverts, admiratifs et fascinés. Lorsqu’il entendit le pianiste faire ses gammes, l’enfant fut saisi, réalisant qu’il y avait tout un Monde inconnu de lui jusqu’alors, un Monde qui existait pourtant, un Monde qui restait possible de connaître et d’apprivoiser.
Nous connaissons tous ces Instants de bascule et d’éternité.
C’est en lisant la belle chronique d’Etienne Liebig sur Michel Petrucciani dans la revue du Lien social (1er septembre) que revint à BiBi ce souvenir brûlant.
«En jazz, écrivait le chroniqueur, on se moque de la taille, de la couleur, de l’âge du musicien, on écoute juste ce qu’il sort de son biniou et à ce jeu-là, Michel est le meilleur ».
Que rajouter ? Peut-être cette chose-ci : sur nos chemins de vie, suivons ce «conseil» de Vincent Van Gogh, pourtant dur de la feuille, à son frère Théo. Dans une de ses lettres, il exhortait ainsi son frère Théo :
«Tâchons de vivre musicalement»
Armé de ciseaux, BiBi tronçonne, découpe, regarde, retient ou rejette les innombrables articles qui envahissent son espace. Il plie sous les tonnes de papier puis, courageusement et minutieusement, il les déplie. Pour, au final, n’en garder que quelques coupures.
Etienne Liebig est un nouveau « chroniqueur » dans « Lien Social », la revue des éducateurs spécialisés. Dans le numéro du 2 septembre, cet éducateur, qui accompagne les Tsiganes depuis plus de 20 ans, a publié cette petite chose qui en dit long sur la rage et la colère qui soulèvent quelques-uns d’entre nous.
Le billet s’intitule : COURAGE POLITIQUE.
BiBi espère qu’Etienne Liebig ne lui en voudra pas de présenter ses très riches pensées à propos desquelles il n’y a rien à jeter.
«Cet été, les politiques ne nous ont pas déçus. Nous qui trouvions qu’ils manquaient de courage, là, j’en suis resté baba ! Ils ont osé enfin dire tout haut ce que le pilier de bar pense tout bas : «Les Tsiganes sont des voleurs qui roulent avec de grosses voitures que même moi, je peux pas me payer, c’est normal, ça ?». C’est beau, c’est grand de parler d’une ethnie spécifique en termes génériques.
Pourquoi n’ont-ils pas rajouté, puisqu’ils sont sur la bonne pente, que l’Antillais est nonchalant, l’Auvergnat près de ses sous, le Chinois cruel et les Portugais âpre au gain ? Peut-être parce que les Antillais-Auvergnats-Chinois-Portugais ont des représentants au sein de la Nation, au sein des instances européennes ou internationales et qu’un propos ethnicisant et raciste à leur encontre vaudrait une condamnation définitive tandis que les Roms et les Manouches n’ont aucun poids politique (…)
Les Tsiganes n’ont pas de députés, pas de grosses entreprises, pas de consulat, pas d’armée et pas de fric. On peut y aller franchement et laisser libre cours à la petite vengeance sociale dont rêvent tous les frustrés et les nazillons. Et bien, je vais les rassurer, c’est réussi. Je suis passé voir des Roms roumains expulsés de baraques construites sur le bord d’une bretelle d’autoroute à Bobigny où les familles dorment à même le sol d’un parking, sous la flotte et où les femmes pleurent car leurs bébés manquent de lait (…)
J’ai été surpris toutefois : je n’ai vu personne danser et chanter… Il me semblait pourtant que les Tsiganes aimaient se réunir autour du feu, le soir, que les hommes jouaient de la guitare pendant que les femmes agitaient leurs robes. On m’aurait menti ?»
C’est toujours une joie de voir arriver sur le bureau des éducateurs le numéro du « Lien Social ». Lecteur depuis très longtemps de l’hebdomadaire basé à Toulouse (où, jadis, il participa à la première Rencontre Nationale des Éducateurs), BiBi a toujours trouvé une diversité bienvenue dans les approches théoriques du Journal et a très souvent apprécié les multiples points de vue sur le Travail Social.
Des noms accompagnent la lecture de BiBi : Jean Cartry, le partant Lucien Bargane (dont les écrits lui furent très proches), Etienne Liebig, le nouveau venu qui tient une rubrique régulière dans Siné hebdo, le stakhanoviste Jacques Trémintin, Joël Plantet etc.
Bel équilibre que celui du Lien Social : il centre chaque numéro sur un grand thème. Pour exemples : « L’enfant placé chez lui/ La mixité à l’épreuve des Quartiers/ La pédagogie sociale aujourd’hui/Accompagner les femmes enceintes à l’hôpital » etc. Les premières pages (Social Actualités) fourmillent de précisions et chaque article tiendrait lieu d’un article-BiBi. Dans le numéro du 7 janvier, on revient sur l’article L.622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui prévoit jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 30000 euros d’amende pour quiconque vient en aide à une personne en situation irrégulière. Christian Deltombe, président d’Emmaüs-France, ajoute : «En raison de l’existence de ce texte, nous sommes l’objet d’un harcèlement de terrain quasi-permanent».
Le numéro du 21 janvier, un entrefilet précise le nombre de personnes sous écrous au premier janvier 2010 (66089). Dans ce chiffre : 15395 prévenus, 45583 condamnés, 4489 placés sous surveillance électronique et 622 condamnés en placement à l’extérieur sans hébergement pénitentiaire (chiffres de Pierre V. Tournier, chercheur).
Ailleurs, on trouve la rubrique livres (deux compte-rendus très appréciés des dernières parutions), les incontournables offres d’emploi et le courrier des lecteurs ( les deux pages préférées de BiBi, pages qui montrent que, partout en France, il y a des éducs qui ont la pêche). Et si nombre d’éducateurs tiennent le coup et sont loin d’être moribonds aujourd’hui – malgré les réformes dramatiques annoncées-, on le doit certainement au soutien et à la présence hebdomadaire du « Lien Social » dans nos pratiques.