Tag Archives: Elle me disait
décembre 02, 2014
Bibi

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Elle riait. Beaucoup se trompaient sur ce rire, croyant qu’elle ne riait pas de bon cœur. Pourtant elle riait. Avec ses yeux qui pétillaient, avec sa poitrine qui se soulevait. Elle était souvent reconnaissante envers ceux et celles qui la faisaient rire. D’aucuns – qui admiraient pourtant certaines de ses réparties – croyaient qu’elle s’affublait d’un masque, de ce masque social qui nous oblige toujours à faire bonne figure. Inutile d’énumérer les manières de porter ces masques dans la Comédie Sociale généralisée. En bref inventaire : cynisme, j’men foutisme, arrivisme, séduction, désespoir et tutti quanti.
Elle riait sans retenue. Son rire emplissait la pièce, caressait les murs de droite, de gauche, glissait sur les plafonds puis redescendait jusqu’à se poser dans le cœur de chacun. C’était cela qui la rendait merveilleuse.
Sans ostentation, simplement merveilleuse.
On aimait sa compagnie. On aimait accueillir son rire, rire de majesté. Et lorsque le silence retombait, elle restait étonnamment concentrée, cherchant ses mots sans efforts visibles. Elle finissait par délivrer une phrase sans se précipiter. Précise ou approximative, incompréhensible ou vraie, sa parole mesurée, juste assez grave, demandait une oreille attentive. Oreille dressée de musicien là-bas, regard attentif de lecteur ici, voilà ce qu’elle attendait secrètement de chacun.
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novembre 02, 2014
Bibi

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Elle a l’air de ne pas être là mais quand elle vous regarde, elle est terriblement présente. Elle se tourne vers vous, yeux bleus, yeux vert-clair, vous hésiterez toujours pour repérer leur couleur. Ses yeux changent avec les affres du ciel. C’est qu’elle a un rapport céleste avec les éléments. L’état du Monde, les états du monde (ajoutons-y le minéral, le souterrain, le climatique, l’aquatique même) influent sur ses états d’âme.
Ses paroles dévalent du haut des sommets, stagnent dans les plaines, paressent dans les méandres intimes de ceux qui l’écoutent. Quand la rivière s’assèche, on découvre, sur le limon, la trace de ses mots un peu rudes. Elle ne se soucie guère de savoir si ce qu’elle dit (paroles déjà vouées à l’effacement) ont ou non une quelconque portée, une quelconque profondeur. Le lecteur est embarqué dans son Dire avant toute connaissance de ce qui lui arrive. Et chacun de s’apercevoir dans la houle et dans les vents, mi-étourdi, mi-assuré, qu’il est, en cette lecture, acteur obligé.
Voilà ce lieu particulier dans lequel Elle vous a entraîné : théâtre intra-muros où s’actent sa bravoure, son intrépidité, sa détermination, sa sensibilité.
Ecoutez-la dès le lever de rideau. Ecoutez ses murmures à deux dizaines.
octobre 17, 2014
Bibi

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Je lui parlais de mes souvenirs de plage, des châteaux de sable humide et des parties de volley-ball entre adultes. J’aimais ces disputes de grands pour un point au filet ou un service raté. Elle me parlait de ses cris de bonheur en dévalant les grandes dunes au petit matin, de cette nacre arc-en-ciel trouvée lors du reflux de la marée. Elle disait encore qu’à cet âge, elle ne rêvait pas, elle levait souvent sa tête pour regarder les nuages qui passaient et qui – se désagrégeant – ne laissaient aucune trace. Puis elle abandonnait sa lecture pour, bâton en main, dessiner sans fin des arabesques et des lettres sur le sable. Pour, disait-elle, que le temps ne soit pas perdu.
septembre 13, 2014
Bibi

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Des fois, je la vois marcher sur la grève, elle s’arrête, lance des galets au loin. Des fois, elle se retire au fond des Cafés comme au fond des bois (ainsi chantait Brigitte Fontaine – cette chanteuse qu’elle adore). Des fois, je ne la vois pas de plusieurs semaines et me demande alors si sa présence n’est pas hallucinatoire. Mais non, elle revient (non, elle ne me revient pas). Elle va, elle vient sur des chemins où elle ne veut pas aller. Mais ses mots passent outre sa volonté, ils franchissent les barrières, enjambent les rivières jusqu’au-delà des frontières. Elle va, au milieu des taillis, n’a cure des épineux et des haies vives. Elle admet les déficits de la Raison et reste toute exposée aux dangers possibles (ceux de la Grammaire et de la Foudre).
Alors, je la suis, je saisis au vol ses propos, ses incises, ses entailles dans un texte à peine récité, à peine audible. Je la suis et tout – absolument tout – change.
août 09, 2014
Bibi

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La rencontre a eu lieu. Par sept fois déjà.
Rencontres improbables mais si l’on tend l’oreille, on découvre le murmure du ruisseau, le grondement souterrain des eaux profondes, les échos d’une préhistoire. Elle, lui. Si l’on descend encore plus bas, on ne perçoit que quelques bribes. A première vue et à première audition, les associations paraissent incongrues, incohérentes, barbaresques. Puis les mots jusque là figés, jusque là décomposés, se recomposent.
Alors on n’entend plus : on l’écoute. Pour la huitième fois.
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