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La magnifique photo de Maradona.

MARADONA CONTRE L'URUGUAY

Sur la magnifique photo de Daniel Garcia (de l’AFP), Maradona crie, Maradona hurle, Maradona exulte. Mais le verbe manque. La langue espagnole dira gritar, vocear, chillar, vociferar mais là encore, les verbes ne suffiront pas pour traduire ce cri primal. Ce n’est d’ailleurs pas le cri d’un joueur de football mais le cri du Football incarné, de la Rage de jouer. C’est un cri digne de la fureur shakespearienne, de la cruauté d’Artaud, de la poésie de Rimbaud et de Lautréamont, des prises photographiques de Diane Arbus : un bonheur qui fait peur, un élan vital jamais recensé, une poussée de fièvre non répertoriée. A regarder de près le cliché, ce n’est pas uniquement la bouche qui s’ouvre et qui crache le feu. Il y a les yeux… les yeux de l’Incendiaire argentin, son regard de pyromane qui veut mettre le feu au Football. René Char écrivait dans son recueil Fureur et Mystère que «seuls les yeux, sont encore capables de pousser un cri».

Maradona : il n’a pas marqué des buts, il les a inventés. Il n’avait pas l’élégance de Platini, la souplesse féline de Pelé mais il avait cette rage incommensurable, cette sauvagerie dans chacun de ses gestes. Personne ne devinait ce qui suivrait un de ses contrôles de balle ultra-rapides, personne ne pouvait anticiper sa prochaine passe et aucun joueur ne pourra égaler son inimitable conduite de balle.

Maradona le banni : ceux qui le haïssent parleront du Hors-jeu de ce footballeur. A l’instar des frileux habitants d’Arles parlant de Van Gogh, de cette Jeanne Calmant qui ne retint de toute sa vie que l’impolitesse du peintre venant lui acheter ses pinceaux. A l’instar de ces littérateurs qui se gaussaient d’Artaud et de ses glossolalies, de ces étudiants de Charcot se moquant des cris des hystériques qu’on leur « présentait ». D’autres, plus lucides, diront que ce cri maradonesque leur évoquera la fureur des laissés pour compte, la détresse des agriculteurs hurlant sur les Champs, le désespoir des femmes de Buenos Aires, place de Mai, les dernières prières des suicidés de Télécom ou encore le cri retentissant des femmes insultant les hommes politiques mafieux à l’enterrement du juge Falcone.

Et ce n’est pas notre Domenech-aux-petits-pieds qui pèsera lourd à la comparaison. Il suffira de mettre en rapport la joie absurde d’entraineur poussif (à la fin du match France-Iles Féroé) et la glissade joyeuse et enfantine de Maradona sous l’orage de Buenos-Aires (à la fin d’Argentine-Pérou). Le premier s’est appliqué à jouer un pauvre rôle de «rebelle», l’autre a gardé cette rage vitale qui parle aux désœuvrés.

C’est qu’il vient de loin ce cri du joueur-entraineur Maradona : de la poussière des bidonvilles, des salons de la FIFA où une procédure disciplinaire est en cours contre lui. Souvenons-nous de cette Coupe du Monde 90 en Italie. A Naples, en demi-finale, le petit peuple napolitain n’osa pas s’emporter contre Maradona et l’Argentine boostant l’Italie hors de sa Coupe du Monde. Souvenons-nous de ce cri rentré de Maradona lors de la finale «perdue» contre la respectueuse et consensuelle Allemagne. Devant les caméras, en silence, les lèvres de Maradona signaient un «Hijo de putana» contre tous les Puissants de la FIFA, tout heureux d’avoir mis à mort Diego Armando Maradona. Souvenons nous comment ces grands banquiers de la FIFA le traînèrent dans la boue avec leurs discours moralisateur. On glosait sur l’absence d’exemplarité du joueur argentin, cocaïnomane et ami des hommes de la N’drangheta etc. Oui, il vient de loin ce cri contre les Puissants, contre ces Voyous de haut rang, au col blanc.

Il ne faudrait pas croire que Maradona est dans le Panthéon personnel de BiBi. Rimbaud, Artaud, Shakespeare, Cervantès, Kafka, Haldas n’y sont pas plus. Pour BiBi, pour tous, ils restent vivants, éternellement vivants.