Petit village de montagne, Lefkara se tient à distance de l’agitation côtière. Écrasé par le soleil, le hameau, bien silencieux en ce jour de Mai, vit au ralenti. Seules quelques dentellières sur leur pas de porte enfilent, brodent leurs fils de lin. Ici, pas de machines industrielles pour une fabrication en série mais un savoir-faire millénaire inégalé. BiBi demanda à K. si elle avait pris des leçons. « Oui, au début, par ma mère. J’écoutais, je regardais tout en brodant. (Elle fait un geste du doigt sur le front). Et tout est resté là !«
K. fait partie d’une Coopérative forte de 17 adhérentes. Les plus âgées, brodeuses les plus expérimentées, ont plus de 80 ans et elles travaillent à domicile ou devant leur porte d’entrée. K. et sa sœur tiennent la boutique pour toutes, mais font – elles aussi – dans la dentelle. Ce que K. préfère faire, ce sont les Motifs VINCI du nom de Léonard de Vinci qui fit une halte au village et qui fut si impressionné par les ouvrages de ces vieilles dames qu’il acheta en nombre chemins de table, rideaux, serviettes. La nappe d’autel qu’il ramena pour l’exposer dans la cathédrale de Milan fit même, dit-on, sensation par son extraordinaire beauté.
BiBi saluera la gentillesse de cette autre brodeuse hors-pair M. qui déplora que les jeunes générations ne suivent plus (« Mais je les comprends« , précisa t-elle). C’est qu’il est impossible aujourd’hui de vivre sa vie au village en s’adonnant à la seule broderie. La transmission de ce savoir-faire exceptionnel va bientôt s’arrêter car aucune école ne pourra renouveler le personnel.
Bientôt l’ALLEY ROAD deviendra une impasse (voir Photo). Les filles auront appris de leurs mères mais les petites filles, elles, s’en vont déjà ailleurs, dans les écoles de Nicosie, les collèges de Limassol ou encore les Universités d’Athènes. Loin, très loin de Lefkara et de ses brodeuses silencieuses.
Prochain billet : « Nicosie ou les murmures d’un Mur ».