– Plus de 750 billets en deux ans et demi. Toujours du plaisir, BiBi ?
Du plaisir ? Ce mot-là, je le lis presque partout «plaisir d’écrire» «bloguer, c’est un plaisir» etc. J’avoue que j’ai du mal avec ça. Je connais plutôt les humeurs rageuses, les sauts brusques, les attentes qui dévorent, les stagnations dans la Pensée, les impatiences de l’enfant, le manque de fulgurances et tant de pertes d’éléments que j’aurais voulu mettre en ligne. Contre ce mot «plaisir», j’aurais juste envie de rapporter ici le constat implacable d’Artaud : «Ecrire est une cochonnerie». Alors, le Plaisir là-dedans ? Euh…pas si simple.
– Avec ton Blog, où voudrais-tu en venir ?
Je voudrais m’immiscer entre l’Essentiel et le Quotidien, lier notre Vie profonde avec les menus évènements de notre vie ordinaire. Vaste programme, hein ? C’est qu’il n’y a pas d’un côté les grandes questions (to BiBi or not to be) et de l’autre, les actes banals du Quotidien. Mais je n’y arrive pas vraiment. Regarde ces tentatives embryonnaires (Quizz du week-end, Potins pipolitiques, Flèches de BiBi). Peu concluants, hein ? Alors que je voudrais aller de l’avant, faire du nouveau, zigzaguer sans me retourner, je me vois happé par la répétition, incapable de tenir ce double pari initial : allier dans mon écriture «la légèreté du Pollen et la gravité du granit».
– Plus vraiment d’inspiration ?
Un billet étayé, quasiment un par jour. Et tant d’autres choses, hors-Blog, à écrire. Le Blog rapproche certes… mais il sépare encore plus, il t’éloigne des Centres de Vie. Écrire, lire dès lors, c’est renoncer. Je ne relirais plus jamais Dostoievski, Maurice Blanchot, je ne replongerais plus dans le Quichotte, je ne me retaperais plus Kafka, ses récits, son journal. Et que dire de toutes ces Beautés du Monde que je rate. Il me faudrait une seconde vie. Où trouver ce temps, ce Temps qui me devient une denrée rare ? L’inspiration, dis-tu ? Mais c’est elle qui me nargue et qui se moque de moi. Écrire – heureusement (mais dois-je dire «heureusement» ?) – reste quand même, par moments, une respiration.
– Qu’est-ce qui –au moins– t’a satisfait jusqu’ici dans la tenue de ton blog ?
Je pourrais te répondre en chantant l’hymne de Mick Jagger «I can’t Get no Satisfaction». Mais en cherchant bien, je trouve cet additif à mon pseudo plutôt bien : «Optimiste de plus en plus inquiet». A condition de le lire en basculant le fléau de la balance vers l’Inquiétude. Et puis, autre «réussite» : mon avatar photographique («Chemin de la Liberté») qui en dit long. Des lettres sont rongées, elles sont rognées et à moitié effacées mais – ultime sursaut vital – on arrive quand même à le lire.
– Tu ne jouerais pas au faux-modeste ? Ton Blog est en plein essor : une superbe place de 498 ième au Wikio général et 350 visiteurs par jour qui t’apprécient…
Pour écrire, il faut aussi un écart avec ceux qui t’apprécient, il faut un pas de côté, une certaine indifférence, des moments de solitude essentielle. Pas pour se draper dans sa superbe, plutôt pour s’obliger à se rassembler en soi-même… Et puis aussi pour sortir la tête hors de l’eau où nous plongent les brutalités de ce Monde, les horreurs et les insanités du calamiteux Pouvoir actuel. L’accueil, les compliments, le petit lot de reconnaissance… OK mais on aurait vite tendance à se laisser porter et emporter. Bon, je veille au grain mais il me faut ces moments de Solitude essentielle. Tu vois, je suis loin, très loin de déplier en chaque occasion cette abracadabrantesque banderole de blogueur : «Des liens, bordel, des liens».
– Il y a une constante dans ton Blog : ni vulgarité, ni agressivité.
Quand quelque chose de vrai est écrit sur un mode agressif ou vulgaire, cela cesse d’être vrai. Mais tu me connais : dans la vie, je suis souvent les deux. J’essaye de m’armer dans le silence, d’affûter mes flèches et mes mots en catimini, à distance des Poulaillers insupportables du Pouvoir et des aboiements de Chiens de Garde qui tiennent le Palais Sarkozyste. Indispensable d’atteindre les cibles avec justesse, précision et – pourquoi pas – avec férocité : nous sommes en guerre, non ?
– Autre chose pour finir ?
J’ai l’impression que parfois, mon humour est un alibi esthétique. J’ai relu quelques uns de mes billets (en particulier «Les Flèches») et je me dis que cette casquette d’«humoriste pipolitique» est trop grande ou trop petite pour moi. Peut-être qu’un bibi à la place d’une casquette… Il faudrait peut-être que cesse toute parole et tout écrit… qu’enfin je me détourne, me découvre ailleurs. Mais bon – pour finir – je ne sais pas faire autre chose.
– Merci à toi, BiBi.