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L’écrivain Georges Haldas est mort le 24 octobre dernier.
BiBi était sur France-Culture lorsqu’il reconnut l’écrivain dans l’émission «A Voix nue». «Enfin !» se dit BiBi, «voilà que la France commence à reconnaître un des plus grands écrivains de langue française». Mais il était loin de la vérité : en effet, on repassait ces cinq émissions (sur toute cette semaine de 20h à 20h30 ) pour lui rendre un hommage… post-mortem. Tristesse infinie pour BiBi dont les deux rencontres in vivo avec l’écrivain et la fréquentation de ses livres l’avaient aidé à vivre.
BiBi conseille au lecteur désireux de faire connaissance avec son œuvre les Carnets portant le titre général de «L’Etat de Poésie» en priorité avec «Les Minutes heureuses (1977)/Rêver avant l’Aube 1982/ Carnets du Désert 1990/ Le Soleil et l’Absence, 1990/ Le Maintenant de Toujours,1997/ Pollen du Temps, 1999 aux mêmes Editions de L’Age d’Homme.
BiBi renvoie lecteurs aux nombreux billets sur Georges Haldas qui jalonnent son blog. Il remet en ligne quelques 52 réflexions sur la Vie, son travail et ses humeurs. Sans complaisance et sans concessions. Et d’abord sur lui-même.
1. [A ceux qui luttent] : Ouvrir les yeux pour regarder la réalité en face. Et les fermer pour reprendre courage.
2. Toute parole où tu n’es pas en jeu est une parole vaine.
3. Des notations simples et précises. Plus efficaces que les «grandes pensées».
4. Quand on relit ce qu’on a écrit, c’est toujours ce qu’on a omis de dire qui apparaît essentiel. Qu’en voulant atteindre, précisément, on a manqué.
5. Bonheur de rencontrer des êtres avec lesquels on se comprend avant d’avoir parlé.
6. Reconnaître nos erreurs et nos fautes mais ne pas se laisser submerger par elles.
7. Ce n’est pas moi qui pense. Des pensées me traversent. Dont je suis le premier surpris.
8. Le cri des hirondelles si intensément, si douloureusement lié à l’idée de bonheur.
9. Aller au bout de ce qu’on aime. Sans se préoccuper du reste.
10. Dans le rendez-vous que l’on prend avec quelqu’un, il y a un élément un peu concerté, prémédité, programmé presque. On fixe un rendez-vous en même temps que, plus ou moins, on s’y prépare. Bien sur, il y a toujours dans le rendez-vous, comme en tout ce qui est vivant, une part d’imprévisible. Donc une découverte possible. Cela reste néanmoins dans un cadre déterminé. Où la part consciente en nous, d’une manière générale, l’emporte. Tout autre, en revanche, poétiquement et humainement parlant, est la rencontre. On n’y est nullement préparé. Elle nous surprend à l’improviste. Ne nous laissant d’ordinaire pas le temps d’une parade. De sorte que notre réaction est celle de notre être tout entier. Dont la conscience et l’inconscient se trouvent, comme dans un éclair, mobilisés. On peut donc dire que dans la rencontre on se livre, comme malgré soi, sans réserve. Et par là même on se révèle tel qu’on est. Non tel qu’on cherche à paraître, comme parfois dans les rendez-vous. Plus vive donc est l’émotion – poétique ou humaine – suscitée par la rencontre.
11. Les Français n’écoutent pas ce que vous dites. Attentifs seulement à votre manière de parler.
12. Ces embrassades et accolades entre «artistes». Une sorte de rite. Qui n’a rien à voir avec une fraternité véritable. N’en est même que la caricature. Gens de théâtre, de télévision, de radios. Leurs baisers de Judas. A de rares exceptions près.
13. Pas besoin de malheur pour être malheureux. Il suffit que le temps passe.
14. Certains êtres font, par leur seule présence, vivre ce qui les entoure. D’autres, au contraire, éteignent tout. Avec les uns, c’est la Fête continue. Avec les seconds, c’est le deuil continu.
15. Écrire pour ne pas sombrer. Mais le contraire aussi : c’est parce qu’on ne sombre pas qu’on écrit.
16. Ce vide en toi, de plus en plus grand. Que nul effort, même celui d’écrire, ne parvient à combler.
17. Les souffrances inutiles et les souffrances créatrices.
18. L’Homme est une énigme que seule l’Eternité peut résoudre.
19. Accepter nos faiblesses, nos défauts, nos vices, ce n’est ni les glorifier, ni les nier. Mais les prendre pour ce qu’ils sont. Des points de départ. A chacun de décider vers quoi.
20. Loin de nous apaiser, écrire nous met la tête en feu. En ébullition. Une phrase en appelle une autre. Et celle-ci une autre encore. C’est comme les vagues de la mer. Mais aucune n’est ce qu’elle devrait être : assez précise ; assez solide à la fois sensitive ; assez organiquement reliée à l’ensemble. Bref à la fin de la journée de travail, on est plus dégoûté et las que si on n’avait rien fait. Ou si on veut : plus on a travaillé, plus on a le sentiment du devoir inaccompli. Triste chose. Mais quoi ? On a voulu écrire. On écrit.
21. Je rêvais que mes phrases soient des tisons enflammés mais elles se traînent comme des limaces.
22. A un enfant qui, un jour, lui demandait : «Pourquoi écris-tu toujours?» Joseph Roth répondit simplement : «Pour hâter la venue du printemps».
23. Ce n’est pas ce qu’on écrit qui compte. Nos livres, en effet, avec le Temps – et même bien avant – deviennent poussière. Ce qui compte en revanche c’est tout ce qu’en les écrivant on découvre : de nous-mêmes, des autres, du Monde et surtout de la Vie.
24. Lire vite, quand il s’agit d’un texte inspiré, est une maladresse et une profanation. Maladresse, parce que la rapidité ne permet pas de s’en nourrir (comme pour un repas), ni de l’assimiler. Et profanation parce que cette même rapidité est une offense à celui qui a inspiré le texte. Et qu’on n’accueille pas comme il faudrait, avec l’attention et le respect qu’il faudrait. C’est en fait empêcher la Source de pénétrer en nous.
25. On ne peut recevoir l’autre, que si on fait le désert en soi. L’oasis c’est la rencontre.
26. Tu as voulu enfermer ta vie dans le travail (littéraire). Mais la vie ne se laisse pas enfermer. Et cruellement se venge. Tu en fais l’expérience.
27. [Pour BiBi et son écriture sur Blog] Ne pas se laisser engluer par l’évènement. Ni passer à côté. Tâcher d’en lire le sens.(…)
28. On ne peut vraiment écrire que si une vague de fond vous soulève. Hors de quoi, tout est bricolage.
29. Ceux qui ont le pouvoir n’ont pas le temps de penser. Et ceux qui pensent, en raison de la complexité du réel, et des incertitudes de la connaissance, sont inaptes au pouvoir. Où il faut décider, souvent, sans trop savoir. Trancher. L’important serait que pouvoir et pensée gardent le contact. Mais ce n’est guère possible. Car le pouvoir, en fait, et même s’il ne l’avoue pas, méprise la pensée. Ou alors, il ne retient d’elle, au mieux, que ce qui peut le servir. Et la pensée, elle, ne peut servir que la vérité. Non le pouvoir. Double malentendu. Mépris réciproque.
30. Dire les choses comme on les sent. Comme on les pense. Comme on les croit. Ne pas chercher l’effet. Ni à convaincre. A prêcher. Et encore moins à enseigner. Que si ce qu’on dit correspond à ce que d’autres sentent, pensent, croient, un pont s’établira qui sera un commencement de vérité. Un commencement d’unité.
31. Plus le temps presse, plus il faut aller lentement. Inversement, c’est tout de suite, et sans tarder qu’il faut se mettre à un travail de longue haleine.
32. Reconnaître nos erreurs et nos fautes. Mais ne pas se laisser submerger par elles.
33. Que de pensées, et les plus sérieuses, vous viennent tout en accomplissant de toutes petites choses : cirer ses souliers, se raser, aller mettre une lettre à la poste etc. La coexistence du quotidien et de ce qui échappe au quotidien, à la fois, et le conditionne (et le magnifie). Ne jamais séparer les deux ; le quotidien d’un côté ; les «grandes pensées», de l’autre. Les maintenir, quand on en parle, unis, comme cela se passe dans la vie.
34. Ce vide en toi, de plus en plus grand. Que nul effort, même celui d’écrire, ne parvient à combler.
35. Chaque petite chose que tu vois, chaque mot que tu entends ou qu’on te rapporte, telle scène ou encore ce qui arrive soudain, est comme un léger coup d’archet sur les cordes de l’infini.
36. Il faut avoir écrit 300 pages d’un livre pour commencer à voir qu’on n’a pas dit l’ombre de l’ombre de ce qu’on aurait voulu dire. Bien qu’on se soit mis – du moins l’avait-on cru – tout entier dans ce qu’on écrivait. A quel point ce qu’on appelle le don de soi parfois nous trompe.
37. Le comble de l’esthétisme : séduire par des démonstrations de désespoir.
38. Dans le désert de l’âge, il construisait encore des châteaux pour le futur.
39. Dire ce qu’on a pensé, senti et fait. Aux autres d’adhérer. Ou pas.
40. Terrible est notre fragilité. Insoupçonnée notre solidité.
41. Pendant que je lis, en ce dimanche après-midi, et que je rédige ces lignes dans ma chambre, je sens, au fond de la poitrine, comme une barre. Des hommes se battent, en cette heure, se tuent : arabes, Israéliens. Des femmes, des mères attendent et pleurent. De même au Chili [1973]. Ce qui se passe, là-bas, vit en moi, ici, sous forme d’angoisse. Se manifeste en moi – région du sternum – par une étreinte dont je ne peux me dégager. Autrefois, je pourchassais les informations avec une sorte de voracité et d’ivresse. Je m’augmentais par elles. Je jouissais de cette augmentation. Aujourd’hui, ces informations, je les redoute presque. Chaque détail appris me fait mal et se transforme en souffrance vécue. Je voudrais agir. Ne plus discuter, polémiquer, m’enfler de phrases etc. Jamais d’autre part, conscience plus aiguë des fatalités qui pèsent sur les hommes. Soumis à des conflits aussi dérisoires qu’inéluctables. Bref, c’est toute la condition humaine qui, à travers les évènements – la politique – parle.
42. Contrairement à ce que chacun peut penser, c’est une grâce que de ne pas avoir un pouvoir de Séduction. C’est autant de petites lâchetés et de grands crimes qu’on ne commet pas.
43. Il y a des malentendus qui occultent la réalité. Et d’autres qui l’éclairent. C’est de ceux-ci dont tu dois t’occuper.
44. C’est quand on se sent le plus ravagé intérieurement qu’il faut accomplir avec le plus de minutie nos devoirs quotidiens.
45. Pour être vrai, il ne faut jamais penser à ce que les autres peuvent penser de vous.
46. L’Art n’est pas la suprême valeur. Mais il peut témoigner de la suprême valeur.
47. Le silence antécédent au poème est comme un vide dont on sait maintenant – la science aidant – qu’il est, plus que le plein, chargé d’énergie, de potentialités actives qui en l’occurrence vont donner naissance aux mots constitutifs du poème. Celui-là même qui va se manifester par l’écriture sur la page. Le vide (apparent) du silence est, à sa manière, créateur. Quiconque écrit des poèmes – de vrais poèmes – je veux dire organiques et non fabriqués – en fait l’expérience.
48. Il s’en passe des choses, parfois, dans ce qu’on appelle des conversations idiotes.
49. L’important : être nu intérieurement. C’est là en effet qu’on découvre quel mystère on est à soi-même. Hors toute catégorie ou étiquette ou qualification. Ces vêtements sociaux qui dissimulent notre être intime.
50. Suis, malgré tout, de la famille des éternels étrangers.
51. Tant qu’on n’est pas atteint dans ses assises, on ne sait pas qui on est.
52. La peur d’échouer. Plus exactement : on veut se débarrasser au plus vite de ce qu’on a à dire, de peur de n’avoir pas le temps de le dire ou de perdre le fil. Comme le joueur de football qui, angoissé, refile tout de suite la balle à un équipier. Peur de la responsabilité. Tout cela n’étant de ta part que faiblesse, lâcheté, démission. Sois donc impitoyable avec toi-même. Ne laisse rien passer, qui soit de l’à peu-près. En d’autres termes, aie confiance. C’est le doute qui est à l’origine de tous ces troubles. Et me rappelle tout à coup, et aujourd’hui seulement, ce que me disait souvent la Petite Mère : «Ne te contente jamais de l’à peu près» Allez, tiens, ferme la plume. Comme le paysan sa charrue.
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