La violence : c’est par elle que le néo-libéralisme peut tenir et prolonger son règne. Une violence qui passe par le physique (fatigue, usure, dépressions, rage épuisante, suicides, morts dans la rue etc). Une violence démultipliée par la pression exercée sur les corps en entreprise, dans le No Future des Pôles-Emplois, dans les mains tendues et les files d’étudiant(e)s aux Restos du Coeur.
Cette violence des deux dernières semaines, je l’ai trouvée dans la fraude fiscale au Luxembourg, sur les chaînes C8 et CNews, au Club select du Siècle et, pour terminer, je l’ai vue se déposer sur le divan de Philippe Dayan, le psy des 35 épisodes de la série d’Arte, « En Thérapie ».
L comme Luxembourg.
Souvenons-nous de la phrase-mensonge de Nicolas Sarkozy en octobre 2009 à la veille du G20 de Pittsburgh «Les paradis fiscaux, c’est ter-mi-né» alors qu’aujourd’hui éclate le scandale de l’OpenLux. Sur les 50 familles françaises, 37 d’entre elles ont usé de la fraude fiscale, planquant des milliards dans les coffre-forts du Duché. De LVMH (Bernard Arnault) à BNP Paribas, de Kering (Pinault) à Total, tous ont des filiales dans les paradis fiscaux. Et l’un des plus importants – avec Chypre et Malte – c’est le Luxembourg. A un abonné qui se demandait si les membres ces grandes familles n’avaient pas honte, j’ai répondu – via Monique Pinçon-Charlot (« L’Argent sans foi ni loi » Editions Textuel).
« Au sein de ces grandes familles, on apprend que le système capitaliste est le seul qui soit naturel et imaginable. Les autres systèmes de pensée n’étant qu’idéologies. Du coup, pratiquer l’optimisation fiscale voire la fraude fiscale avec le recours aux paradis fscaux, tout cela leur paraît aller de soi face à un Etat qui est à leurs yeux trop gourmand. Elles intériorisent tout un discours autojustificateur contre l’Etat et l’impôt, contre les fonctionnaires, pour que leurs biens restent dans la famille. Pour prendre la mesure de ce sentiment de non-culpabilité, il faut comprendre que les membres de ces grandes familles sont à longueur de journée ds l’élégance et la sociabilité mondaine de l’entre-soi».
Résumé : ces grandes familles ne vivent pas dans notre monde mais elles sont maitresses du nôtre.
P comme Pesquet & Praud
Après le passage de Mélenchon chez Hanouna, Pascal Praud a redoublé de haine envers le représentant de la France Insoumise. Probable que la fille de l’animateur (qui avait voté pour Mélenchon en 2017) l’ait à nouveau titillé en lui disant qu’elle n’irait pas toucher à son poste ce soir-là et qu’elle resterait sur C8.
Ailleurs, sur CNEWS, autre TV de la Honte, il suffit de deux minutes pour savoir de quoi il en retourne. Une habitante de Trappes, française musulmane, dit que dans sa ville « ce n’est pas du tout ce qu’on dit ». L’animateur Julien Pesquet, petite frappe bolloréenne, reprend l’antenne et s’en amuse en hochant la tête d’un air entendu. Son mépris ahurissant ira juqu’à chantonner en direction de cette femme alpaguée via un micro-trottoir : « C’est ça, c’est ça tout va très bien Madame la Marquise ».
Le respect Bolloré, quoi.
S comme Siècle.
La cohésion de la classe dominante est toujours déjà-là. Cette classe possède les médias (elle a placé des directeurs de télés et radios publiques, serviteurs zélés de la Macronie), elle a ses Instituts de sondages couplés avec la Presse, elle a ses réseaux avec ses think-tanks et ses Clubs multi-cartes. Aujourd’hui, c’est le Siècle qui est sur la sellette avec son président Olivier Duhamel mais cette surexposition s’accompagne d’un silence total sur toutes les autres instances de solidarité de classe, instances plus solides que jamais.
Au contraire des classes dominées pour lesquelles il faut sans arrêt se battre durement pour s’unir, la classe des riches est instantanément mobilisée via ces groupes et ses réseaux. Citons-les : Le Jockey-Club, le Cercle Interallié, le Cercle de l’Industrie, The Travellers, le Cercle MBC (beaucoup sont affilés au Siècle), le Club des Trente, les Gracques (où se côtoient les patrons du MEDEF et des Denis Olivennes patron de Liberation), le Club Démocratie. Rajoutons que toutes ses accointances leur sont facilitées car leurs réunions, leurs dîners se déroulent exclusivement à Paris.
T comme Thérapie.
J’ai suivi les 35 épisodes de En Thérapie mais je n’ai pas très bien compris la raison pour laquelle Ariane, Camille et le couple étaient venus en séance. Pour Ariane, est-ce le seul trauma (et rien d’autre) suite à l’attentat du Bataclan qui l’a poussée à consulter ? Camille, elle, vient voir le psy car elle a juste besoin d’un certificat demandé par les Assurances. Quant au couple, je suis surpris qu’en psy lacanien, Philippe Dayan accepte une… psychothérapie de couple.
Comme dans la série « Soprano », les réalisateurs d’En Thérapie ont installé une caméra au cœur des séances. Du coup, le surmoi du télespectateur vient doubler la place du patient et/ou celle de l’analyste. On tourne à trois. L’espace privé – condition incontournable du maintien et de la poursuite de toute cure – est devenu… public. Et le côté public fait qu’il y a des explications, des petits cours de psy pour télespectateurs moins avertis sur les fondements de la théorie freudienne. On peut en sourire.
On peut aussi relever que les moments de cure dans la série sont toujours vus à travers des paroles extraordinaires, petits coups de théâtre permanents qui éliminent tout «ennui». Est-ce ainsi dans la vraie vie d’une séance ? Et on peut noter que la contrainte de la fiction pousse à écrire une fin obligatoire – du coup, par ricochet – une fin de… l’analyse (finie la drogue ? Si facilement ?).
Les jeux de Frédéric Pierrot, de Reda Kateb et de la prometteuse Céleste Brunquell sont formidables. En situation, ils traduisent bien les effets de cette belle parole de Françoise Dolto qui est dans la droite ligne des enseignements de Freud et illustre bien le dispositif de la cure qu’il mit génialement en pratique : « Ecouter l’autre, c’est le faire exister ».
En contrepoint bienvenu, on applaudira la mise en scène champ/contrechamp qui ne laisse pas de place aux mouvements de caméra surexcités habituels (ceux de l’info), nous laissant avec un certain plaisir dans le temps, rare télévisuellement, de l’écoute et du laisser-parler.