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Il y a longtemps que je t’aime…

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Philippe Claudel a obtenu le Bafta (le César britannique) du meilleur film en langue étrangère pour son film «Il y a longtemps que je t’aime». A sa sortie, BiBi avait écrit ses impressions sur le film.

«Télescopage : le jour où BiBi alla voir le film de Philippe Claudel («Il y a longtemps que je t’aime »), il apprit par la radio qu’une mère de Saint-Nicolas-de-Pelem dans les Côtes d.Armor avait  déposé de sang-froid son bébé dans le congélateur de sa cuisine. 
Il serait cependant faux de dire que le Réel a ici dépassé la Fiction. C’est plutôt la fiction de Philippe Claudel qui devient- en regard de ce geste monstrueux – toute frileuse. Dans le film de Philippe Claudel, la mère (parfaitement jouée par Kristin Scott Thomas) justifie son infanticide par amour alors que, dans la lande bretonne, nous touchons aux Zones troubles infiniment (in)humaines de l’Humain, au Point de Jonction gris, aux franges d’un Territoire inconnu. Nous nous arrêtons, hagards, interrogatifs devant une Démesure insoutenable.
Via le dénouement de son film, Philippe Claudel a choisi la Norme au lieu d’explorer les chemins plus indélicats, plus dostoïevskiens de l’âme humaine (maternelle). La mère que nous propose Philippe Claudel est une Figure de Madone sans double face, une Mère Aimante, une figure qui ne s’expliquerait que par ce Sentiment unilatéral. Rien donc sur l’envers de la médaille de cet amour, sur l’ambivalence de tout être humain. Cette Mère-Héroïne couvre tout et ne découvre rien sauf à demander la Complicité du Spectateur pour pleurer à grosses et chaudes larmes. Pour BiBi, le critique de Télérama se plante : la femme jouée par Kristin Scott Thomas n’est pas une héroïne de Cinéma, c’est un cliché. Toujours cette incapacité du cinéma français d’aujourd’hui à construire des personnages énigmatiques, injustifiables, inexplicables. BiBi attend toujours qu’un film français – telle une hache – vienne briser la mer gelée en lui ».

BiBi aime aller au Cinéma :

Jean Martin quitte la scène.

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Quand la « Maja nue » regarde Bernard Arnault…

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Cheveux courts et grisonnants, drapé dans un costume noir, bras le long du corps, Bernard Arnault, le Patron de LVMH est là, photographié parmi les visiteurs comme un quelconque quidam. Pourtant, trois choses le mettent en valeur.

1. Les visiteurs sont floutés alors que Bernard ne l.est pas.

2. Les autres regardent la Maja nue mais lui, ne l’a pas regardé (ou bien, seconde hypothèse : il en a terminé avec elle).

3. La légende du JDD rapporte son identité : il est aussi Patron de LVMH et Mécène de l’Exposition-Picasso. Rajoutons le titre de l’article : «L’Economie en crise, la Culture en Fête ».
Le Patron de LVMH est donc notre égal. Il se confond avec la foule mais il ressort quand-même du lot, restant le seul qui soit parfaitement identifiable.

Notre Bernard ne regarde rien en particulier mais peut-être est-il là seulement pour contempler son œuvre, pour se féliciter d’avoir organisé cette Exposition qu’il offre au Public comme il offrira bientôt, fin 2011, au Jardin d’Acclimatation, sa propre collection d’Art ? Peut-être pense t-il aussi à cette vente aux Enchères qu’il organisera à New-York pour financer l’expo d’un de ses designers Steven Sprouse ? Des enchères qui seront destinées à aider les enfants défavorisés de New-York.
Il est à distance du tableau sans se douter que c’est la Maja Nue, placide et goguenarde, qui le regarde et le met à nu. La Maja Nue sait tout des choses de la Vie. Elle connaît tous les secrets cachés de ses Visiteurs, elle qui ne cache rien. Elle sait que derrière le sourire tranquille du Patron se cache un amour vain pour l’art et les Artistes, elle sait que ce Grand Escogriffe, mélange de Pierre Richard et de Bernard Menez, veut se parer et s’emparer de tout ce qui compte de Beauté en ce Monde.

Elle se souvient qu’à l’achat, le yacht de ce Grand Boss s’appelait «One Eagle ». Trop prédateur ! Bernard le débaptisera pour «Amadeus» (plus élégant, non ?) et l’enregistrera aux îles Caïman (Prix de la restauration : 30 millions de dollars).
La Maja Nue a un regard amusé : elle a tout compris de ce Bernard Arnault qui se défile. Elle a eu le temps de lui rappeler sa présence à la Nuit de la Victoire au Fouquet’s et son absence… en rade de Toulon en septembre 2008. Là, où son ami, Little Nikos, brocarda les Paradis fiscaux, îles Caïmans en tête. Elle a lu dans les yeux de Bernard Arnault le montant de sa fortune (la septième du Monde – 21,5 milliards d’euros en 2005, un salaire de 4 millions d’euros).

La Maja nue regarde Bernard Arnault qui s’éloigne : elle sait combien les Puissants peuvent avoir de haine et d’hostilité à toutes les idées nouvelles, combien ils ignorent tous ceux qui, comme son Peintre, affichaient des sympathies pour les idées de la Révolution. Elle devine aussi pourquoi le Grand Bernard est préoccupé : tout à l’heure, il va rejoindre son ennemi juré, François Pinault et ils vont parler «Trêve et Cessez-le-Feu» autour d’une bonne table. Ils y seront avec Albert (Frère) et Alain (Minc). Ils y parleront Luxe et Culture car, pour tous deux, la Culture est à la fois un Luxe et une Marchandise.

La Maja Nue sait tout cela : elle sait qu’un jour, elle devra poser sur les murs de l’un ou de l’autre (Au Palazzo Grassi de Venise pour Francesco, à la Fondation Vuitton pour Bernardo). Elle est en paix. Eux, ils sont en guerre et ils se déchirent pour tout : la Gloire, la Notoriété, la Volonté de Puissance. Ils se battent pour Pucci, Fendi, TAG Heuer, Chaumet, Yquem, Zénith, Moët and Chandon, Dom Pérignon et Veuve Cliquot etc (C’est à Bernardo), ils vont se réconcilier avant de se battre encore pour Boucheron, Balenciaga, Bottega Veneta, Sergio Rossi, le Printemps, la Redoute etc (C’est à Francesco).
La Maja nue, elle, n.a rien d’autre à offrir que sa nudité. Elle sait que son insolente Beauté ne peut s’acheter car la Beauté est sans prix.

Les amis de BiBi ont dévoré aussi :

Il était une fois « Cinéma Cinémas ».


Bande annonce Cinema cinemas
envoyé par ina. – Regardez des web séries et des films.

BiBi attendait avec des palpitations allant crescendo, il scrutait le moindre programme télévisé avec des mains tremblantes. Il n’allait pas se coucher trop tard car l’émission débutait avant 23 heures et se terminait aux environs de minuit.
Et lorsque, confortablement installé, il voyait démarrer le générique tant attendu, avec les dessins rockambolesques de Guy Peellaert récemment décédé, lorsqu’il écoutait la musique d’entame de l’émission dont il avait oublié les références, alors BiBi était heureux. Bien sûr, il retrouva plus tard le titre et toutes ses coordonnées musicales : l’extrait était tiré du film de George Stevens, «Une Place au Soleil » avec Montgomery Clift et Elizabeth Taylor. Entre les tableaux kitsch de Peellaert et la musique accrocheuse, le générique nous offrait un Eddie Constantine (Alias Lemmy Caution dans Alphaville de Godard) en impeccable imper, chapeau dévissé, qui débaroulait dans un long couloir et qui ouvrait à toute vitesse des portes couleur sépia.
Aussi, ce cadeau de Noël fait à BiBi (1) ne pouvait pas mieux tomber pour voir  et revoir ce joyeux Capharnaüm qu’était le moindre numéro de «Cinéma, cinémas », l’émission sans équivalent sur le Cinéma et les Cinéastes. Trois noms revenaient sur l’écran, trois noms auxquels BiBi donne toute sa gratitude tant d’années après : Anne Andreu, espiègle et timide, Michel Boujut à la voix inégalable et inégalée et Claude Ventura l’Aventurier. BiBi avait les «Fragments du Discours Amoureux » de Roland Barthes dans une main et «Cinéma, Cinémas » dans l’autre œil. C’était le temps damné de Daney, d’un certain gai savoir du Cinéma. Il y avait aussi ce cher Philippe Garnier qui fourrageait jusqu’à la moindre image le « vieux » cinéma US. Cher Philippe qui nous livrait ses road-movies et qui écrivait des articles décalés dans les numéros de Rock et Folk. Cher Philippe Garnier à qui j’avais écrit pour dire ma passion du cinéma et mon adoration des… Kinks.

BiBi se souvient de Robert Mitchum et de sa voix grave, de Lolita (Sue Lyon), l’héroïne de Nabokov-Kubrik ou encore de Gérard Depardieu, un tantinet halluciné à l’interview à Central Park, en complet décalage avec la Comédie qu’il tournait alors («Green Card »), de la chasse au fantôme de David Goodis ou encore – découverte – du fragment abandonné de Jean Eustache.
William Blake écrivait qu’ «il y a des choses connues et des choses inconnues » et «qu’entre les deux, il y a des portes ». Celles-là mêmes qu’un client parisien de 1895, rue Capucine, poussa pour découvrir la première projection cinématographique, celles-là même que pousse rageusement Lemmy Caution au début du merveilleux générique de l’Emission «Cinéma, Cinémas ».

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(1) Cinéma cinémas – Coffret de 4 DVD. Inclus le Livret de 32 pages et 12 cartes postales de Stars. 39,90 euros.

Les Amis de BiBi ont aimé aussi :

La Vespa de Nanni Moretti.

https://www.youtube.com/watch?v=nf8g5fS_M3s

Comment oublier cette balade en Vespa ? Comment oublier le film de Nanni Moretti s’ouvrant sur un homme en scooter noir ? «Sur ma vespa» est le premier des trois chapitres de « Journal intime » tourné en 1994. Il dure 27 minutes et quarante secondes. Pas de plus belles séquences sur une ville (Rome) que ces minutes et que ces quelques secondes.

Nanni se balade en scooter, emprunte les chemins, serpente les rues en longs panoramiques. Rêveries d’un promeneur solitaire ? Non, pas tout à fait, parce qu’il «sera toujours avec peu de gens», parce qu’il gardera toujours sa «confiance en l’homme mais pas dans la majorité ». Il prend son temps pour dire que le temps presse : il y a urgence à dire qu’il déteste le film Henry, Portrait d’un serial killer de John MacNaughton, qu’il se désole d’une pitoyable et affligeante apologie du film. Le voilà qui s’arrête à Garbatella avant d’embrayer sur Casalpalocco: sinuosités, liberté de ton, fluidité des plans et des images.  Il interpelle un résident du quartier sur sa jeunesse de 1961, piétinée, déniée. Nanni Moretti est en colère : sa rage est brève mais bien sentie. Il monte le ton contre l’omniprésence des «chiens de garde et des cassettes-vidéos » derrière les murs des villas-blockhaus.

En voix-off et en images, Nanni dit ce qu’il aime, il aime les musiques conjuguées de Khaled («Didi »), de Léonard Cohen ( «I’m a Man ») et de Keith Jarrett ( le concert de Koln), il aime la danse (merveilleuse apostrophe en langue italienne de Jennifer Beals, héroïne de «Flashdance »). Et comment ne pas le rejoindre pour s’engager avec lui sur ces magnifiques panoramiques de quartiers romains (les prononcer, là encore, avec l’accent italien du réalisateur : Garbatella 1927, Village olympique 1960 , Tufello, 1960, Vigne Nuove, 1987) ? Comment ne pas aimer ce rythme filmique tout en déambulations et en virages, le tout pris sans brusquerie. «Ce que j’aime faire aussi, c’est regarder les maisons, dit-il de son accent inimitable. Comme ce serait beau un film fait de maisons, de panoramiques sur les maisons ». Premier film où le décor – qui n’en est plus un – devient le corps du film.

La ville revisitée, la ville et ses quartiers populaires d’antan, la danse, le cinéma à venir, le cinéaste Pasolini, fantôme en bordure d’écran : tout s’accumule. Comme ces Unes des journaux empilés sur l’assassinat du cinéaste de la Marge, de la Minorité.
Plage du crime, plage du film en longs plan-séquences. Ce « Pasolini-Plage » est à rebours des sables brûlants et touristiques de la Méditerranée. Sur les à-côtés, la lande est pelée, les roseaux sont vert pâle et au détour, juste derrière les barres de sûreté de la route, il y a un terrain de foot qui a la gale, il y a deux poteaux rouillés et une stèle mangée par le temps. Et encore juste derrière le vieux grillage, voilà Pasolini, toujours vivant, voilà toujours, en promesse entière, une certaine vision d’un cinéma rageur et enragé.  » Voilà, semble nous dire Nanni Moretti, des films vont se faire, des films vont venir : ils seront indestructibles ».