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Photographies sans graphies.

Quand BiBi hésite pour ses vacances…

Michel Lonsdale et Michel Simon.

Dans le dernier numéro de Télérama, Michel Lonsdale, en interview, répond à la question : « Comment vous imprégnez-vous d’un personnage ? »

« Je ne travaille pas. Je lis le texte et il me donne une impulsion. Répéter longtemps un rôle, ça m’ennuie terriblement. Je suis un acteur d’instinct, tout est là, tout de suite, je n’ai pas à construire, à réfléchir. Mon grand maître dans le genre, c’est Michel Simon.
C’est un bonhomme qui ne comprenait rien à ce qu’il jouait mais qui possédait une connaissance obscure. Il était génial, totalement décomplexé. Il paraît qu’au cours des répétitions de « Du Vent dans les branches de sassafras » de René de Obaldia, il n’a fait que répéter la même phrase pendant un mois. Les autres comédiens devenaient fous. Pour moi, c’est un modèle absolu de liberté
».

BiBi se souvient avoir vu – à «Cinéma, Cinémas» ?- Michel Simon en longue conversation avec Jean Renoir à la fin d’un repas bien arrosé. Dans le reportage, le comédien racontait au réalisateur pour quelle raison son interprétation du Boudu sauvé des eaux avait déchaîné la critique bourgeoise. Non pas tant à cause des rapports de la maitresse de maison avec le clochard barbu et râleur que Michel Simon incarnait mais en raison principalement de l’impardonnable façon dont il… mangeait ses sardines à table. Transgression insupportable des us et coutumes de la bourgeoisie d’alors : on ne devait absolument pas manger les sardines à l’huile, sorties de leur boite, avec… les doigts.

Godard, Kiarostami : cinéastes singuliers.

Ils sont apparus furtivement dans nos lucarnes, tard le soir, fuyants, toujours aussi énigmatiques. Jean-Luc Godard a laissé son petit monde cannois en plan fixe et Abbas Kiarostami s’est réfugié derrière Juliette Binoche, la laissant s’expliquer avec les journalistes présents au Festival (elle finira par adopter le style Kiarostami : se taire tout en -se- donnant à voir).

BiBi se souvient avoir visionné un documentaire sur le réalisateur iranien et il avait admiré son intelligence dans ses tentatives d’explication (moins sur ses prises de vues que sur ses… points de vue). Aujourd’hui, BiBi a retrouvé d’autres traces dans les pages de la revue Politis du 20 mai :

«Toutes les souffrances, toutes les pathologies humaines prennent leurs racines dans une absence de regard. C’est parce qu’on n’est pas vu que l’on souffre. C’est aussi pour cette raison qu’on crée. L’art, comme la vie, a besoin d’être vu. S’il n’est pas vu, l’art est une chose morte. La seule façon d’insuffler de la vie à une œuvre, c’est de poser son regard sur elle ».

Un extrait qui fait écho à cette autre interview de Kiarostami réalisée par Shahin Parhami (Hors-Champ. juin 2004) :

« Il faut déjà avoir digéré ce que l’on a lu ou appris avant même de débuter un projet artistique. Si l’on a vraiment compris une théorie, un concept ou une philosophie, ils vont apparaître subtilement dans notre travail. Une réaction rapide et émotive contre un événement social ou politique réduit le film au niveau d’un journal avec une date de péremption. Quand ces mêmes événements complexes se transforment ou finissent, le film devient sans valeur aucune. Si le cinéaste crée un film avec des idées crues, non digérées en tête, le film devient un slogan animé. Je crois que le véritable art doit être éternel » Clap, clap, clap ! Voilà BiBi qui applaudit à deux mains.

De Jean-Luc Godard, BiBi retiendra ces quelques phrases qui ne font effet qu’une fois la revue refermée (Les Inrocks du 12-18 mai) :

«L’œuvre dans son ensemble, le Grand Œuvre, ça ne m’interesse pas. Je préfère parler de cheminement » ou encore… dans ses rapports conflictuels à Truffaut (dont il n’aimait pas beaucoup les films) : «Vous savez, le plus difficile, c’est de dire à un ami que ce qu’il fait n’est pas très bon. Moi, ça me manque ». En conclusion très touchante, le voilà qui avoue : «Quand on est vieux, l’Enfance revient ».

Pour ce qui concerne plus directement les aspects socio-économiques du Cinéma, les deux réalisateurs ne seront pas surpris d’apprendre que dans certains pays (comme la Norvège), la disparition des projections classiques sera complète à la fin de l’année. Il y a été calculé que, très vite, 2 voire 1% des films occuperont… 99 % des écrans (Avatar et sous-avatars). Dans le journal Le Temps, le journaliste Thierry Jobin précise que «le Numérique ne va absolument pas militer pour la diversité». Écran totalement noir sur nos prochaines nuits blanches ?

En tous les cas, BiBi espère  que les deux films («Copie Conforme » et «Film Socialisme») viendront quand même s’échouer sur ses écrans.

Corps lassés, corps enlacés.

Ils nous touchent et ils nous dérangent. Parmi les  milliers de photographies dont le Monde nous bombarde, ce cliché ne peut que nous retenir et nous faire vaciller. Une « belle » photo est une photo qui nous laisse dans l’indécidable. Vous l’avez vue et c’est déjà trop tard. Pourtant, pour ce couple, il n’est pas trop tard. Il est encore tôt : ils sont dans ce temps d’aube crépusculaire, temps au cours duquel, certes, le temps a fait son Œuvre (son chef d’œuvre ?) mais BiBi est sûr qu’ils transformeront ce Temps en Minutes heureuses, en journées ensoleillées, en Épilogue enchanteur. Car il leur reste ces quelques années, ces quelques années-tendresse devant eux, toutes en raccourcis et en éternité, il leur reste ces moments insolents et à peine désespérants, il leur reste cette Force amoureuse plus forte que Tout, cette Énergie solaire que d’aucuns – hélas – ne connaitront jamais, n’auront jamais connue.

On ne peut pas revendiquer haut et fort ce cliché, on ne peut pas l’exposer au Salon, l’afficher en cuisine ou dans nos corridors. Dans une salle de  bains (peut-être ?) Plutôt dans une alcôve  pour les regards à la dérobée. Il n’y a aucune chance pour qu’on envoie le cliché en carte postale, qu’on le fasse voir à ses enfants en ce jour de Fête des Mères ou qu’on le sorte dans une soirée entre amis. Tendresse de corps vieillissants, promis à la décomposition proche et lointaine, tendresse qui se double d’une détresse non-dite, à peine murmurée. Il n’y a pas de dernier mot (nul ne le détient),  il n’y aura que les jours derniers (Tout le Monde les vivra terriblement).

Cette photo est en miroir. A chacun de s’y mirer.

C’est que le Temps devient notre, votre adversaire. Si l’on peut échapper à l’Espace  (les fous remplissent les asiles). Au Temps, nul n’échappe, nul n’échappera. Ni eux, ni vous, ni moi .

Cette beauté photographique est dans le paradoxe. Vous avez envie d’écrire dessus mais, dans les profondeurs, votre main tremble sur le papier, vos yeux ne distinguent plus les touches du clavier. Le cliché vous tient, vous retient. Dans cet entrelacs, cet entrelacement, il y a un apaisement inouï qui pourrait faire peur.

Les choses « artistiques » changent parfois notre vie de fond en comble. Regardez les secousses que sont  « Le goût de la Cerise« , le film d’Abbas Kiarostami, le Don Quichotte, « La Nuit étoilée » de Van Gogh. Alors, tout ce qui touche à votre vie vous emportera et vous ne serez plus jamais jamais jamais plus jamais le même.

Ici, c’est toi, l’Homme qui enlace : tu n’es déjà plus du tout du tout le même. Le Temps t’est devenu une denrée rare. Tu ne fais plus semblant d’aimer : tu aimes. Enfin. Sans arrière-pensées, littéralement et en tous sens(ations).

Alors pour sauvetage, pour dernière éclaircie,tu embrasses, tu enlaces cet Alter Ego, cette Autre, cette Bien Aimée qui, tête enfouie au creux de ton épaule, fait miracle.

Pour BiBi, c’est la Bien Aimée qui sauve la Vie du Cliché pour en faire une photo.

Pour BiBi, elle s’appelle Ève.

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Photographie de la néerlandaise  MARRIE BOT