Category Archives: Photos, peinture & cinoche

Le choc des Photos.

En triant ses coupures de presse, BiBi a retrouvé deux articles illustrés par deux clichés. L’un est tiré d’un photomontage, l’autre a été probablement prise par un résident de l’Indiana. Point commun : les Années 30. Ces années terribles virent la montée de l’Extrême-Droite en Europe et la perpétuation des exactions à l’encontre des Noirs américains.

_____________________________________________________

1. Dans un numéro du quotidien L’Humanité, BiBi a relu un vieil article de Raoul-Jean Moulin sur John Heartfield ( de son vrai nom : Helmut Herzfelde), photo-monteur de génie politique, créateur d’une certaine «poétique de la communication de masse». Antifasciste, il se rendit célèbre avec ses affiches disséminées dans les journaux de gauche. Ici : «La signification du salut hitlérien» ou «Des millions sont derrière moi». BiBi en reparlera prochainement.

_______________________________________________

2. L’autre photographie (Libération) montre la pendaison de Noirs dans l’Indiana en août 1930. Une chanson de Billie Holiday («Strange Fruits») faisait allusion à ces exécutions sommaires. Le soir, les Hommes Blancs venaient en visite, amenant femmes et enfants pour se délecter du «spectacle» quasi-quotidien. Le refrain de la chanson disait : «Des fruits étranges pendent des arbres… ».

80 ans plus tard, les Américains élisaient un Président noir.

80 ans plus tard, Marine Le Pen succède à son père.

Enquête sur une image de Nathalie Kosciusko-Morizet (2).

Lire première partie : Enquête sur une image de NKM (1).

Hier Secrétaire d’État, aujourd’hui Ministre de Sarkozy, NKM fut prise en photo à l’automne 2005. Enceinte, elle était alors en pleine ascension politique. Paris-Match lui ouvrit alors les bras et cette double-page ahurissante.

FEMME SIMPLE ET FEMME DE POUVOIR.

1. Un mot sur cette légende : «Son premier bébé, c’est la politique». Cette phrase vient rappeler que NKM n’est pas n’importe quelle Femme. Elle est porteuse de bébé et… de projet politique. Quelle femme (ordinaire) peut en dire autant, hein ?

2. Elle est donc une femme parmi toutes les femmes : elle procrée, elle joue de sa beauté – robe blanche, un quasi-déshabillé, pieds nus adorables, une position relâchée, sans ostentation, non lascive. Attention, elle est plutôt le contraire de la Femme à l’Odalisque malgré les similitudes (voir tableaux en photos ) ou de la Putain berbère sur son lit (Matisse). La chevelure mi-bouclée est admirable, au coloris roux…en parfaite communion ainsi avec les couleurs de la forêt automnale : marron des livres, gris-vert du banc de pierre, bois patiné de la Harpe.

3. Mais NKM, Secrétaire d’Etat, aujourd’hui Ministre, est aussi la Femme de demain, la Femme (de Pouvoir) qui annonce les lendemains qui chanteront pour tous (ou presque tous). Elle est donc singulière et, de fait, au-dessus du lot.

4. L’écrit de Paris-Match détaille les deux statuts de cette femme hors-norme lorsqu’ils lui sont associés : «Députée, Conseillère Régionale» qui va «mettre au Monde son premier bébé» et qui, dans le même temps, continuera sa carrière sans la mettre «en congé maternité». Femme du Présent et du Futur. Femme d’exception : il ne resterait plus qu’à admirer, à se prosterner.

UN CONTEXTE A-HISTORIQUE.

«Une sorte de halte» nous dit-elle. La «Nature» fait ici cliché.

La composition de la photo nous offre une Terre dégagée du poids de toute histoire humaine. Les bois, le feuillage lointain des arbres, le parterre de feuilles signifient le Monde éternel où Musique et Lecture sont là depuis la Nuit des Temps. La Harpe dans son silence fait le joint entre Passé et Présent. Les deux gros livres, l’un ouvert, l’autre fermé sont là pour signifier que Madame lit, Madame rêve en lisant mais elle reste, elle restera les deux pieds (nus) sur terre.

Elle nous dit : «Profitons ensemble de cette incise dans le Temps (ma grossesse l’est) pour penser hors le tumulte sur terre. Laissons au loin les cris des Manifestants, la rage destructrice des Guerriers urbains, la vulgarité des pauvres Femmes du Peuple (bref  la Lutte des Classes) et n’oublions pas que cette halte est une aire pour «partager les réflexions que nous inspirent l’actualité aussi bien que mes différentes missions».

DÉGRADATION.

Dans son livre «Fragments d’un Discours amoureux», Roland Barthes citait «Nous Deux» (le Roman-photo) comme archétype de l’Obscénité.

BiBi caractérisera, lui, cet extraordinaire photographie du Pouvoir comme le cliché de la dégradation lente et latente, bientôt extrême, du Politique.

Enquête sur une image de Nathalie Kosciusko-Morizet (1).

Comment BiBi a pu rater cette extraordinaire photo ? Il avait bien repéré l’image d’un Ministre (Frédéric Mitterrand) en… pyjama dans le Monde-Magazine) mais il avait zappé ce cliché de Nathalie Kosciusko-Morizet, l’actuelle ministre sarkozyste, dans un des Paris-Match de la fin de l’année 2005. C’est pour lui une des Images de communication politique des Années 2005/2010.

LA QUESTION POSÉE.

Il y a très longtemps, dans la revue Tel Quel, Jean-Luc Godard (1) avait magnifiquement réfléchi sur la photographie de Jane Fonda de «retour de Hanoï». Le cinéaste se posait la question : «Quel rôle les Intellectuels doivent-ils jouer dans la révolution ?» Ici, on pourrait croire qu’on en est bien loin mais méfions-nous des apparences car la question qui préoccupe BiBi, ce pourrait être : «Quel rôle joue cette photographie de Femme-Ministre dans un hebdo tenu par le Frère Lagardère dans ces moments de lutte idéologique et politique intense» ? Et autre question, seconde mais pas secondaire : «Que faisons-nous de cette image ?»

UNE « SORTE DE HALTE ».

BiBi n’a jamais vraiment compris l’attirance de beaucoup d’internautes pour la Dame, certainement aveuglés qu’ils étaient par ses compétences numériques (le frangin est une grosse tête financière du Web français). BiBi est donc allé voir le site de Nathalie, nouvellement nommé à l’Ecologie et au Développement durable.

La phrase d’entame de la présentation du site fait déjà écho à la photo de Paris-Match : «J’ai voulu bâtir ici une sorte de halte, écrit  la nouvelle Ministre de Sarkozy, un endroit bien à moi, pour partager avec vous les réflexions que m’inspirent l’actualité aussi bien que mes différentes missions».

INVENTAIRE.

Mère (future mère), Ondine mystérieuse, Ophélie avant noyade, Dame blanche, Habitante un peu inquiétante des Forêts (malgré le soin mis à en dénier l’étrangeté), NKM se tient allongée près d’un banc de pierre (lieu du Philosophe du XVIII ième). A ses côtés, une Harpe, deux gros livres anciens (exemplaires de la Bible ?). Autour d’elle, des feuilles et du feuillage, des rayons de soleil, des couleurs qui tirent sur le Marron et ses dégradés. La robe est blanchâtre, pas remontée, au-dessous du genou ( retenons le « au-dessous« ). C’est un quasi-déshabillé ( retenons le « quasi« ). Les pieds sont nus. Bracelet au poignet. Les doigts de la main en léger éventail.

LA FORÊT.

Forêt : lieu du Mystère comme la Femme l’est aux yeux de l’Homme. La Forêt : lieu du silence. Au XVIIIième siècle : celui qui se retirait dans le silence exprimait sa supériorité. Ici, comme nous sommes dans un Temps sans histoire, NKM vient dire silencieusement : «Je suis Femme hors-temps, autre que la Femme vulgaire, celle par exemple qui braille après son homme et ses enfants». Discours latent : «Je suis Femme-modèle, au-dessus du commun».

Une forêt dense mais avec des trouées de lumière (Ne vous en faites pas : le Mystère va s’éclaircir grâce à Moi, NKM). Une forêt d’automne qui n’engendre pas vraiment la Mélancolie, une Forêt qui apaise. La Forêt, berceau naturel, est aussi un lieu, une sorte de halte où on peut se reposer et… penser.

DES PENSÉES TRÈS DÉLICATES.

Pensées délicates (la délicatesse est féminine, n’est-ce pas ?), à l’opposé des passions violentes de l’Amoureuse, pensées embryonnaires, prêtes à une majestueuse arborescence (le Libéralisme et le Numérique sont à l’orée des Temps Nouveaux), pensées qui grandiront, pensées rythmées par la musique fine et douce d’une Harpe maternelle. A l’opposé de la brutalité quotidienne (du Libéralisme).

A Suivre.

_____________________________________________________________________________________________________

(1) La photo ci-dessous de Jane Fonda date de juillet 72. Elle parut dans l’Express avec cette légende : «Jane Fonda interrogeant des habitants d’Hanoï sur les bombardements américains ». BiBi a retrouvé cette photographie commentée par Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin et envoyée sous forme épistolaire à l’actrice américaine via la Revue Tel Quel (n°52).

NB :Cliquez ici pour lire la seconde partie du billet de BiBi.

4 photo-textes sur 4 clichés de Steve McCurry.

Il y a eu des découvertes : Kafka, Pierre Sansot, Kiarostami, Van Gogh, découvertes qui remettent les têtes à l’endroit et le Monde à l’envers. C’est cette rétrospective Steve McCurry (1), choc de cette semaine, qui mit BiBi, cette fois-ci, dans tous ses états et le fit sortir durablement de tous ses clichés.

Né à Philadelphie en 1950, Steve McCurry était un parfait inconnu de BiBi jusqu’à aujourd’hui. Guère besoin de longs discours : derrière son objectif, le photographe n’est pas un voleur de clichés. Il ne dérobe pas, il ne se dérobe pas, il se fait oublier, il touche, il partage à la fois le Monde et l’Instant. Il se nourrit des couleurs de l’âme que ces amis photographiés lui confient. A cette âme, il rend à son tour ses propres couleurs. «Avant tout, dit Steve McCurry, je me nourris de couleurs : sombres nuances du henné, curry, safran, richesse de la laque noire et des couches de peinture qui recouvrent la pourriture».

«Couches de peinture qui recouvrent la pourriture» : dans chacun de ces clichés, une phrase criée à tue-tête, une voix profondément enfouie font échos. Elle s’entendent et résonnent chez chacun d’entre nous : «La Vie l’emportera».

_______________________________________________________________

(1) La rétrospective des photographies de Steve McCurry se tient jusqu’au vendredi 14 janvier à la Galerie de l’Étrave – Espace M.Novarina, 4 bis avenue d’Evian à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie). Voir aussi son Blog…

Du « Grand Bleu » aux « petits Mouchoirs ».

BiBi est allé voir «Les Petits Mouchoirs» de Guillaume Canet.

Les copains de Guillaume faisaient de l’humour, ronchonnaient, partaient en virée ou s’invectivaient lorsque, au milieu du film, l’amie-BiBi se pencha sur lui et chuchota : «Dis-moi, BiBi, on s’est trompé de salle ! Je crois que c’est «Camping 3» qu’on regarde». Pourtant, non, BiBi et son amie ne s’étaient pas trompés de film même s’il y avait peu de différences géographiques entre le camping des «Flots Bleus» de Frank Dubosc (tourné près de la dune du Pyla) et la maison du Cap-Ferret louée par François Cluzet. BiBi n’était pas devant un remake de «Camping». Petite différence notable : Frank Dubosc est analphabète mais Marion Cotillard, elle, est capable de lire «Le Monde». Bon, c’est vrai… à part ça…

En revenant sur son blog, BiBi s’est fendu d’un petit gazouillis-critique sur Twitter :

«Petits Mouchoirs. Petits copains. Petite amie.Très très petit film».

Le surlendemain, il revint encore se moucher dans ces «petits mouchoirs » et se souvint qu’au milieu du film, Canet avait placé un très court extrait d’un film de Jerry Schatzberg de 1973 «L’Épouvantail» avec Al Pacino et Gene Hackman. BiBi s’est trituré les méninges pour tenter de comprendre le pourquoi de cet extrait au milieu du film. Pas forcément parce que le film date de 1973 (année de naissance de Guillaume) mais peut-être parce que le réalisateur américain avait fait tourner Guillaume en 2001 dans le film «The Day the Ponies Come Back» et qu’en mettant cet extrait, Guillaume remerciait Jerry ? Bah ! Ce n’était que le énième petit merci  à un ami supplémentaire.

Il y a plus de 20 ans, on regardait le «Grand Bleu» de Luc Besson (1) et on se perdait au fond de la Mer. Le film nous disait : «Ben, oui, la mort existe mes petits loulous. C’est triste hein ?». Les grands ados du «Grand Bleu» ont grandi depuis 1988 : ils ont aujourd’hui 40 ans et ils sortent toujours leurs petits mouchoirs, pleurant chaudement encore aux enterrements. «Mince, semblent-ils dire, c’est con, hein ? On a beau faire, la Mort ça existe toujours».

«Grand Bleu», «Camping 1 et 2», «Petits Mouchoirs» : en tous les cas, la mort de ce cinéma, ce n’est pas pour demain. Il est toujours à l’agonie, n’en finit pas de mourir mais – paradoxe – il reste plus vivant que jamais sur nos écrans. Et BiBi, grand nigaud devant petits films, fait partie des trois millions de français qui ont couru voir le film.

Et même qu’il avoue : « J’ai beaucoup pleuré avec François, Marion, Benoît, Gilles et les autres. Je me suis longuement mouché dans mon petit mouchoir lors de cette incroyable séquence finale de la sépulture. Car, pour moi, tout triste à la fin du film de Canet, c’était peut-être bien le Cinéma qu’on avait enterré».

___________________________________________________

(1) C’est Europa Corp Distribution de Luc Besson qui a commandé, financé, distribué le film de Canet. Du «Grand Bleu» aux «Petits Mouchoirs», ainsi la boucle est bouclée.