Category Archives: Livres de lecture & Poésie(s)

Fuck La Sagesse.

Rembrandt. La Ronde de Nuit.

*

BiBi est tombé sur un petit livre de voyage de Théophile Gautier (1). Avec son ami Gérard de Nerval, le poète partit faire un tour

Écrire, se vendre, se laisser traire.

BiBi ne se souvenait plus du Livre du Rire et de l’Oubli de Milan Kundera. Au hasard de ses cahiers griffonnés, il a retrouvé le relevé d’un des passages de cet essai. La réflexion de l’écrivain tchèque portait sur la posture énigmatique

Les Sixties avec Imre Kertész et Witold Gombrowicz.

Comment se dépêtrer de ces langages mortifères qui nous envahissent et qui, trop souvent, nous assujettissent ? Il est impossible de viser à l’époussetage complet de notre for intérieur. Impossible d’avoir des pensées nickel-chrome. Impossible car toujours s’accrochent à nous scories, lignes ou blocs de langage insupportables, lambeaux et confusions, mots s’entrechoquant, phrases infinies ou écourtées, sitôt lues, sitôt avalées et/ou rejetées.
Parfois pourtant, pour notre plus grande joie, sous les tonnes de déchets, brillent des petites perles, pierres précieuses, diamants bruts qui donnent toute leur ampleur au pouvoir d’évocation du mot.

Ainsi dans ce «Journal de Galère» d’Imre Kertész, ces extraits recopiés qui nourrissent le Feu de nos intérieurs :
«L’artiste doit entamer son œuvre dans le même état d’esprit qu’un criminel qui commet son forfait».
«Ce n’est peut-être pas le talent qui fait l’écrivain mais le refus d’accepter la langue et les idées toutes faites».
Et encore plus loin, plus brûlant encore :
«Il y a dans la vie d’un homme un moment où il prend conscience de lui-même et où ses forces se libèrent ; c’est à partir de cet instant que nous pouvons considérer être nous-mêmes, c’est à cet instant que nous naissons. Le génie est en germe chez chacun. Mais tout homme n’est pas capable de faire de sa vie sa propre vie».
Nous sommes en 1964.

De cette lignée d’Est, le Voyage-BiBi a commencé à Budapest (Imre Kertész, exilé, vit aujourd’hui en Allemagne) puis s’est achevé (provisoirement) avec Witold Gombrowicz et son Testament (Entretiens avec Dominique de Roux chez Folio).
Lichen tenace dans les pensées-BiBi que ce passage :

« Si Freud et Marx ont démasqué beaucoup de choses, ne serait-il pas utile aujourd’hui de regarder derrière cette façade qu’on appelle «la gauche» ? Moi, ça me gêne que la gauche devienne trop souvent le paravent d’intérêts personnels, avouons-le, parfaitement égoïsto-impérialistes. Un politicien ambitieux, un écrivain soucieux de donner de l’écho à ses paroles, une équipe de journalistes consciente de ce que l’opposition accroît les tirages, un jeune homme désireux de trouver une issue à sa turbulence naturelle… est-ce que tous ces gens-là ne vont pas d’instinct se tourner vers la gauche ? Le socialisme devient un instrument entre les mains du libéralisme, qui se dissimule derrière lui. Le libéralisme, en tant que tel, ne m’effraie pas, mais la mystification sur une trop grande échelle, oui…
Voilà pourquoi je pense que les hommes honnêtes qui appartiennent à la gauche devraient la contrôler, cette gauche, sur ce plan-là. Il est temps d’étudier le conditionnement de la conscience non seulement chez les requins du capitalisme, mais encore chez l’étudiant qui profère des injures dans un meeting…
Mais ce ne sera certainement pas moi qui me chargerai de ce rôle. Je suis un adversaire déclaré de tous les rôles, et encore plus du rôle d’écrivain engagé. Je suis désolé, là, vraiment, je ne puis être d’aucune utilité ».
Nous sommes en 1967.

Quarante-quatre ans plus tard, nous avons encore beaucoup beaucoup beaucoup à apprendre de ces Voix antérieures.

Littérature & 16 gazouillis-Twitter.

A la question de Christian Salmon («Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain ?»(1), l’immense écrivain Bohumil Hrabal répondit :

« Attaquer les divinités conventionnelles et partager en même temps le destin de son peuple.

Avoir une femme querelleuse qui vous apprenne la dialectique, une mère sage-femme qui vous apprenne à faire naïtre les idées.

Ne pas écrire pendant 10 ans et davantage, changer de métier, savoir faire comme les autres et obliger en même temps les gens à s’exposer comme vous le faites vous-même.

– Chercher les rapports existant entre un génie et un homme parfaitement ordinaire.

– Apprendre sa langue, les argots, les diverses manières de parler.

Savoir imiter, parodier.

Étudier en même temps la littérature, la philosophie, les catalogues de marchandises et les barèmes de prix.

Savoir se griser non seulement avec ses amis mais aussi avec des buveurs rencontrés au hasard.

Aimer les femmes à la folie, au point de préférer ne rien avoir de commun avec elles. En un mot, augmenter la confusion et la tension.

Ensuite viendra peut-être un motif suffisant pour s’asseoir à une table et tenter d’esquisser une image du monde tel qu’on le voit».

*

Et pour finir, encore la Littérature pour horizon avec les gazouillis-BiBi (140 caractères maximum) de ces dernières semaines :

1. Débuter une histoire par cet incipit : «Six heures du matin, la Police française débarque». Mais non… j’ai trop peur du présent de la phrase.

2. Elle a cité Baltasar Gracian : «Il faut traverser la vaste carrière du temps pour arriver au centre de l’occasion» puis elle a refermé la porte.

3. Je l’ai entendue dire : «Profite de cet éclair et de cet orage nocturne pour inaugurer une ère nouvelle».

4. Elle m’a dit : «Menuhin – à force d’entendre parler de son génie – s’est demandé comment il faisait. Son jeu est devenu alors plus laborieux».

5. En écho m’est revenu ce qu’elle m’a dit : «Je n’ai pas eu une idée à moi avant l’âge de quarante ans».

6. M’est revenu cet écho : «Parler à voix basse. Écrire à marée haute».

7. De la mort de François Nourrissier, on ne va pas en faire tout un roman quand même…

8. «Nous pensons avec les mots et si nous changeons les mots, nous penserions et agirions autrement». Bibisou à cette Assistante sociale http://bit.ly/hXR6Ng

9. De la poésie, de la résistance, de la Beauté de partout http://memoireduvent.canalblog.com/

10. @Zgur_ (Dédicace à PPDA) Pour lui sonne le glas !

11. Bien vu, Karl ! «Dans sa pensée, le philosophe va de l’éternel au quotidien; le poète, du quotidien à l’éternel» (Karl Kraus).

12. On ne peut écrire sans d’abord faire taire les mots qui nous agitent (E. Jabès) et qu’on nous impose (BiBi :-))

13. Jankélévitch disait que les écrivains ne doivent pas avoir uniquement des réflexes littéraires mais qu’on attend d’eux des réflexes de citoyen.

14. A ceux qui croient que «tout est écrit», opposer cette réplique d’Henri Maldiney: «La Réalité : ce à quoi nous ne nous attendons jamais».

15. @marcvasseur @maitre_eolas Un peu de littérature chez les Gaymard ! http://bit.ly/fZldfo http://bit.ly/cNM5T5 http://bit.ly/hNjFbN

16. Bonne nuit… d’accord… mais ne vous endormez pas trop sur vos lauriers.

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(1) Christian Salmon : « A bâtons rompus » avec Bohumil Hrabal. Éditions Critérion.

Echos contemporains : Bram Van Velde, Primo Lévi.

1. Bram Van Velde [à Charles Juliet] :  «Quelque chose cherche à naître. Mais je ne sais pas ce que c’est . Je ne pars jamais d’un savoir. Il n’y a pas de savoir possible. Le vrai n’est pas un savoir».

2. « Les mots ne sont rien. Ils ne sont que du bruit. Il faut beaucoup s’en méfier.Quand je vais vers la toile, je rencontre le silence».

3. « Ma toile propose mais n’affirme jamais. Ne pas chercher à convaincre. A prouver quoi que ce soit».

4. « On connaît plus souvent l’échec que la réussite. En peinture comme dans la vie».

5. « Quand je peins, je ne sais pas ce que je fais, où je vais. Je travaille jusqu’à ce que je n’aie plus à intervenir».

Primo Lévi

« Tous nous devons savoir, ou nous souvenir que lorsqu’Hitler et Mussolini parlaient en public, ils étaient crus, applaudis, admirés. Les idées qu’ils proclamaient étaient en général aberrantes, stupides, cruelles, et pourtant ils furent acclamés et suivis jusqu’à leur mort par des milliers de fidèles. Ces fidèles n’étaient pas des bourreaux-nés, mais des hommes quelconques, ordinaires, prêts à croire et à obéir sans discuter »

Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voix que celle de la raison. Dans la haine nazie, il n’y a rien de rationnel. Nous ne pouvons pas la comprendre, mais nous devons comprendre d’où elle est issue et nous tenir sur nos gardes. Si la comprendre est impossible, la connaître est nécessaire parce que ce qui est arrivé peut recommencer« .

Les brèves annotations du peintre Bram Van Velde sont consignées dans le livre de Charles Juliet édité chez POL. Les deux longues citations sont de Primo Lévi.