Category Archives: BiBi en voyages

Nicosie (Chypre) ou les murmures d’un Mur…

________________________________________________

Ils habitent dans une maison contiguë à la frontière qu’on appelle encore « la Ligne verte« . En 1974, les forces turques s’installèrent juste derrière leur grosse bâtisse. M et S, frères, sœurs, oncles, grands-parents maternels sont restés aux deux étages pour monter la garde nuit et jour. M., le père, est inconsolable : il espère pourtant, les larmes dans les yeux, que Dieu, un jour, le ramènera dans la maison paternelle qu’il quitta, côté turc.

Il y a cinq ans, son fils et ses trois amis français ont passé la frontière et tentèrent de photographier la maison du grand-père, aujourd’hui en zone franche, interdite aux photographes. Malgré l’interdiction, le fils voulut ramener un cliché au père mais il fut aussitôt repéré par les gardes turcs qui mirent les menottes aux 4 visiteurs. Un quart d’heure plus tard, se rendant compte de leur bévue qui pouvait occasionner un incident diplomatique avec les autorités françaises, les soldats libérèrent les quatre visiteurs mais ne restituèrent ni appareils ni photographies. Depuis 1974, M., le père n’est jamais retourné voir sa maison natale.

Lors de ces évènements tragiques, à cause justement de ces violences inter-communautaires, la famille de S. fut obligée de murer la fenêtre qui donnait côté turc car les forces turques venaient les réveiller en pleine nuit à coups de crosses répétés. « Just for fun», lâche S., la femme de M.

La grand-mère maternelle s’éteignit dix jours après les évènements. Le grand-père la suivit dix jours plus tard.

De l’autre côté de la maison, au-delà de la Ligne verte, il y avait une petite église riche en icônes. Les Turcs, nouveaux propriétaires, ont tout emporté et ont vendu l’ensemble des richesses du bâtiment religieux laissé à l’abandon (sauf pour les moutons) aux Gouvernements anglais et US. Le gouvernement cypriote racheta alors ces mêmes reliques afin qu’elles reviennent côté grec.

Dans le paysage de la ville, au fond des ruelles, on aperçoit barbelés, sacs de sable, guérites, drapeaux des deux pays et le poste de passage obligé, Rue Ledra où se dressait, en mars 2007, un mur depuis démoli. Cette situation fait inévitablement penser à la Division de  Berlin mais méfions-nous des impressions trop rapides.

Seule capitale au Monde à être ainsi coupée en deux, Nicosie cherche une solution. Pour M. et S., il reste peu d’espoir de voir la situation changer et de parvenir enfin à une réconciliation. « Nous n’avons aucune aide » se plaint M., « Angela Merkel est venue, Ban ki Moon est venu mais rien ne change. Les Allemands préfèrent les Turcs et les Américains veulent le statu-quo». Une histoire à suivre… des deux côtés.

Prochain article : Des Anglais, des Russes et une lituanienne.

Les brodeuses millénaires de Lefkara (Chypre).

Petit village de montagne, Lefkara se tient à distance de l’agitation côtière. Écrasé par le soleil, le hameau, bien silencieux en ce jour de Mai, vit au ralenti. Seules quelques dentellières sur leur pas de porte enfilent, brodent leurs fils de lin. Ici, pas de machines industrielles pour une fabrication en série mais un savoir-faire millénaire inégalé. BiBi demanda à K. si elle avait pris des leçons. « Oui, au début, par ma mère. J’écoutais, je regardais tout en brodant. (Elle fait un geste du doigt sur le front). Et tout est resté là !« 

K. fait partie d’une Coopérative forte de 17 adhérentes. Les plus âgées, brodeuses les plus expérimentées, ont plus de 80 ans et elles travaillent à domicile ou devant leur porte d’entrée. K. et sa sœur tiennent la boutique pour toutes, mais font – elles aussi – dans la dentelle. Ce que K. préfère faire, ce sont les Motifs VINCI du nom de Léonard de Vinci qui fit une halte au village et qui fut si impressionné par les ouvrages de ces vieilles dames qu’il acheta en nombre chemins de table, rideaux, serviettes. La nappe d’autel qu’il ramena pour l’exposer dans la cathédrale de Milan fit même, dit-on, sensation par son extraordinaire beauté.

BiBi saluera la gentillesse de cette autre brodeuse hors-pair M. qui déplora que les jeunes générations ne suivent plus (« Mais je les comprends« , précisa t-elle). C’est qu’il est impossible aujourd’hui de vivre sa vie au village en s’adonnant à la seule broderie. La transmission de ce savoir-faire exceptionnel va bientôt s’arrêter car aucune école ne pourra renouveler le personnel.

Bientôt l’ALLEY ROAD deviendra une impasse (voir Photo). Les filles auront appris de leurs mères mais les petites filles, elles, s’en vont déjà ailleurs, dans les écoles de Nicosie, les collèges de Limassol ou encore les Universités d’Athènes. Loin, très loin de Lefkara et de ses brodeuses silencieuses.

Prochain billet : « Nicosie ou les murmures d’un Mur ».

Nouvelles du Monde prises au vol.

Dans les avions, on propose toujours à BiBi des journaux qu’il n’a pas l’habitude de lire. Penché sur le rébarbatif Financial Times ou l’écœurant The Sun, il a aussitôt le Mal de l’Air. Mais heureusement, il y a d’autres journaux et d’autres revues plus Digest. Voilà donc quelques nouvelles saisies au vol et rapportées sur sa terre bloguesque.

Fouilles du côté d’Agadir.
Dans l’Hebdo (Suisse) du 19 mai, on fouille le passé de DSK : «Le père de DSK, juif alsacien, avait été initié très tôt à la langue de Goethe après la guerre, recourant aux services de «Mademoiselles» allemandes appelées dans le foyer familial d’Agadir, face à l’Atlantique, au Maroc. C’était l’enfance». Dans cette affaire DSK, certains disent : «y a comme une gêne». D’autres disent : «y a comme un gène».

Les Fachos croient tenir la Langue.
Les Zurichois ne veulent plus de l’allemand officiel à l’école enfantine. A 54%, ils ont voté et plébiscité l’initiative lancée par les milieux UDC et évangélique qui fait du dialecte la langue «principale» d’enseignement. Jusqu’à présent, la loi scolaire prévoyait 1/3 pour le Schwyzerdütch, 1/3 pour le Hochdeutsch et 1/3 au choix de l’enseignant. Rêve éternel et vain des Fachos : avoir une langue aux Ordres.

Senteurs de l’Ohio.
Aux USA, dans l’Ohio, deux garçons de 13 ans se sont vus signifier une exclusion temporaire de leur établissement parce qu’ils s’amusaient à péter dans le bus scolaire. Les autorités scolaires auraient été mieux avisées de leur faire lire «Guerre et Pets».

Bien mal éduqué.
A Arcachon, un homme de 75 ans vient de comparaître devant le Tribunal correctionnel : il avait forcé la portière de 22 véhicules avec un couteau à huîtres. Avant sa retraite, il avait été éducateur spécialisé auprès de jeunes délinquants. Morale trop souvent oubliée : les ados ont toujours quelque chose à apprendre aux éducateurs.

Humeur d’un humoriste.
Le chanteur-humoriste Ricet Barrier est mort à 78 ans à Clermont-Ferrand. La voix de Saturnin le Canard ne manquait pas d’humour : «Les comiques, les fantaisistes, les rigolos, les clowns devraient être assurés par l’Etat et les places remboursées par la Sécurité Sociale car nous sommes en quelque sorte les soupapes, les Sorciers, les Médecins du Peuple».

Gnons et Champignons.
Pour marquer son mépris de François Hollande et nous faire croire que Nicolas le Chouchou boxe dans une catégorie supérieure, un parlementaire UMP a cru bon de dire que « Quand Nicolas dira : « J’en ai parlé à Obama », Hollande, lui, dira qu’il a vu ça avec Gérard Dugenou, ramasseur de champignons en Corrèze». Face à ce mépris de classe, le populaire BiBi monte au créneau, agite le drapeau rouge sur les pavés en criant à tue-tête:«Dugenoux de tous les Pays, unissez-vous».

Un Âne en Haute-Savoie.

BiBi revient de Chypre où – contrairement au cliché habituel – il n’a vu aucun âne. Par contre, dès son retour en France, dans les Montagnes hautes savoyardes, du côté du Plateau des Glières, il a entendu un petit homme qui s’agitait beaucoup en poussant de curieux « hi-han».

_________________________________________

Prochain billet : « Lefkara (Chypre) et ses brodeuses millénaires».

Rimbaud à Chypre : un CDI interrompu.

Lorsqu’on sait qu’Arthur Rimbaud (26 ans) posa les pieds sur l’île cypriote lors du mois d’avril de l’année 1880, on se souvient immanquablement – en admirant les Montagnes sauvages du Troodos (Photo 2) – de ses 4 petites lignes fulgurantes :

«Elle est retrouvée

Quoi ? L’éternité

C’est la mer allée

Avec le soleil».

« La mer allée avec le soleil » : Rimbaud a pu la voir plus à l’Est, du côté de Potamos Tou Lipetriou (près d’Agia Napa), mais il n’aurait pas reconnu cette côte massacrée par les promoteurs d’aujourd’hui et il se serait désolé des bateaux de pêche présents uniquement pour les yeux de touristes russes.

Sans le sou, réclamant de l’aide familiale, Rimbaud s’arrêta sur l’île pour tenter de trouver une place dans les carrières de pierre de l’intérieur des terres, précisément au-dessus du village de Pano Patrès, dans la région des Montagnes du Troodos. Terre bénie aujourd’hui des randonneurs et des cyclotouristes, havre de paix pour les habitants fortunés de Nicosie, cette région (point culminant : le Mont Olympe) offrit une place de contremaître à celui qui avait erré des semaines durant sur les plages de la côte Sud.

Le poète de Charleville – qui avait abandonné l’écriture depuis cinq bonnes années – aida à la construction d’un Presidential Cottage, résidence d’été pour nantis britanniques (réservée aujourd’hui à la Présidence de Chypre et à la Nomenklatura du pays). On dit que le Poète se désengagea de son contrat pour un dignitaire anglais le jour d’un accident qui arriva à un ouvrier de l’équipe que Rimbaud dirigeait. L’engueulade fut si importante que les employeurs anglais donnèrent aussitôt congé à Rimbaud qui se retrouva avec seulement 400 francs en poche. Regagnant Limassol, Rimbaud prit la décision d’embarquer pour Alexandrie puis Aden, le 20 juillet 1880.

Si un jour, vous vous attardez dans le coin de Pano Patrès, évitez l’Office du Tourisme : la préposée à l’Office de Platrès ne connait ni Rimbaud ni son œuvre. Peut-être avait-elle reçu des ordres des Anglais (encore maîtres de ce pays) pour faire silence sur ce CDI interrompu sans autre forme de procès ? 🙂

Il reste cependant cette lettre émouvante que Rimbaud adressa à sa famille, le 23 mai 1880 et qu’il posta à Limassol. Deux mois après sa demande d’aide pécuniaire à sa famille (Photo 3), Rimbaud, licencié, poursuivit son périple en gagnant Suez via Alexandrie pour arriver enfin à Aden.


Aphrodite pour l’Eternité.

BiBi revient de huit jours à Chypre où il fit le tour de l’île. Il s’aventura dans les villages de l’intérieur, un peu au hasard. Toujours, partout, la Déesse de l’Amour l’a accompagné : APHRODIT FOR EVER.

Selon Pausanias, explorateur grec, le premier lieu de culte de la Déesse de l’Amour et des Plaisirs se trouve près de Pafos. Aphrodite, fille de Zeus et Dioné, serait apparue sur le rivage de Petra Tou Roniou, plage toute proche de Limassol. Trouvant place dans un coquillage, elle fut poussée par le vent Zéphyr jusqu’à Cythère puis jusqu’à Chypre. Appelée quelquefois Anadyoméné («Celle qui sort de la Mer»), elle est devenue symbole de l’île.

Au Musée archéologique de Chypre, elle est exposée dans la Salle numéro Cinq. La statue est celle d’Aphrodite de Soloi et elle date du premier siècle avant Jésus-Christ. Toute fière devant BiBi, Aphrodite n’en resta pas moins de marbre malgré le trouble et l’invitation de de son adorateur.

Plus au Nord, dans la baie de Chrysochou, là où les promoteurs n’ont pas encore tout à fait posé leurs sales pattes, on tombe sur un écrin de verdure. C’est dans une cuvette d’eau douce et sous les eucalyptus qu’Aphrodite et ses amants venaient se délasser et s’enlacer. Il parait que, dans ces Bains d’Aphrodite, vous vous épongez le front avec l’eau qui coule doucement et vous retrouvez instantanément une éternelle jeunesse. L’espace d’un instant, BiBi y a vraiment cru.

Prochain article : «Rimbaud à Chypre : un CDI interrompu ».