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Elle n’est pas d’aujourd’hui cette Fatigue généralisée. Je parle de cette Fatigue qui traîne entre nos mots et qui les empêche d’advenir, de cette Langueur qui nous attriste et nous fige, de cette trop longue Nuit caucasienne.
Les mots, ils sont là, ils se bousculent, on les appelle à l’aide. Ce qu’ils tentent de nous donner c’est un aperçu, un misérable aperçu de notre Fatigue inconnue, incompréhensible.
Sur les blogs, ça se traduit par «Sauve Qui Peut», par une pause, par un décret de Retrait (1), on passe par la Consolation en rêvassant à une hypothétique Communauté («A l’arrivée, on a tous mal au cul de la même manière» (2), on tente de s’arraisonner mais la Raison et la Juste Colère ne suffisent plus.
Monolecte (2) a beau se persuader qu’il y a une «bonne nouvelle», que désormais «nul ne pourra prétendre que le PS est encore un parti de gauche», c’est oublier que la Vérité (ici la vérité sur ce pauvre PS) est un enjeu continu de luttes. Et que, du grain de vérité et de lucidité d’aujourd’hui (le PS est incontestablement une flottille au Service des Canonniers) ne se lèvera pas forcément le blé qui fait le bon pain (ou des jours meilleurs).
C’est qu’aujourd’hui, comme hier, le Réel est sans pitié. Et que demain persistera la Fatigue. La Fatigue : car ce qui nous achève c’est moins de devoir penser le Monde (pour ça on garde la forme) que de ne pouvoir compter sur des appuis qui tracent les lignes d’indispensables illusions (Front de Gauche nécessaire mais dans les langes, Verts dans le rouge, Gauchistes à l’agonie).
Reste écrit sur la banderole-début-de-manif, malgré et contre tout, ce seul mot d’ordre actuel, celui de Lénine : «Il faut rêver».
Est-il si loin le Temps où Marx et Engels achevant la Contribution à la Critique de l’Economie clamait avec cette fierté indestructible : «Nous abandonnâmes d’autant plus volontiers le manuscrit à la critique rongeuse des souris que nous avions atteint notre but principal, voir clair en nous-mêmes» ?
«Voir clair en nous-mêmes» n’a rien de cette clarté où tous les problèmes sont (seraient) résolus, de cette conscience «révolutionnaire», juste, prophétique, débarrassée enfin de toute scorie.
«Voir clair en nous-mêmes» serait plutôt de rêver éveillé (de le rester, coûte ce que ça coûte et coûtera).
Avec cette hallucination qui de temps à autre zèbrerait de long en large cette Fatigue inconnue. Flash de veilleuse, étoiles filantes dans le fond de nos Nuits : «Toutes nos tentatives sont des échecs. L’évidence a mis longtemps à nous sauter à la gorge, à nous prendre au visage, à nous accrocher, à nous tenir, maintenant elle ne nous lâche plus, toutes nos tentatives sont des échecs. Mise à part, peut-être, la phrase à venir, celle qu’on n’a pas encore écrite, mais à part elle, vraiment, il n’y a rien à redire : toutes nos tentatives sont des échecs». Isabelle Pariente-Butterlin
Tout est dans cette réserve, dans cette restriction : «Mise à part, peut-être, la phrase à venir». La phrase à venir, le Livre à venir, le Billet à venir, la Vie-Avenir. Petite lumière, à chaque fois, qui nous étreint sans nous éteindre.
C’est que produire, penser, porter au jour n’est pas une petite affaire. S’y engagent des forces (forces de travail, pesanteurs d’un impossible repos) qui (s’) épuisent.
«Spectacle étrange, écrit encore Isabelle Pariente-Butterlin, spectacle étrange qu’on ne voit pas, mais qu’on pourrait imaginer, que de se regarder se débattre, se débattre et se regarder se débattre, parce qu’au fond, depuis quelque temps, on n’y est plus, on se regarde se débattre certes, mais calmement, infiniment calmement (…) on ne crie même pas, on se regarde affronter calmement nos gouffres, comme si l’essentiel était de conserver l’apparence sociale intacte, de tenir le masque de calme qu’on s’est placé soi-même sur le visage»
Derrière cette apparence de calme : un visage aux traits tirés, des rides de fatigue inconnue. Et parfois, au revers du veston, un rire éclairant, fugace, vital, mon rire nietzschéen.
*
(1). D’abord chez «Ruminances», Le Diazec lâche les rênes : «Après bientôt cinq et riches années passées à taquiner avec plaisir un clavier ruminant, la fatigue gagnant du terrain, je cesse toute activité dans la blogosphère». Merci.
Et aussi chez Louis Watt-Owen (Blog et pépites d’exception : «La Main de Singe» ) qui laisse traîner ces lignes de Jean Follain : «Il faudrait un neuf courage / à celui qui rentre chez soi / mais il n’y a que temps, espace /un bout de ciel pervenche / montant l’escalier / il entend seriner / Dieu est mort / l’homme aussi / il s’arrête, le silence l’éblouit / il redresse sa face /pour continuer jusqu’aux mansardes / presque vides sauf pour l’enfance».
(2). «La bonne nouvelle, c’est que maintenant la ligne de fracture politique entre la gauche et la droite est parfaitement visible et que nul ne pourra prétendre que le PS est encore un parti de gauche» Billet de Monolecte (La mort du socialisme).
Merci BiBi.
Disons que comme je suis addict, je fais des pauses qui ne durent pas longtemps. Puis, à la fatigue s’ajoutent deux ou trois petites choses sans importance qui font que…
Cela étant, je continue en solo , ce qui m’ennuie un peu, attendant qu’un projet collectif ne me fasse replonger !
On ne se refait pas !
Dans le mille! Merci pour ce beau billet.
J’aime bien le texte d’Isabelle Pariente-Butterlin. Cette impression d’inutilité de notre personne me poursuit depuis des décennies, trop de choses échappent à ma conscience que je maitrise difficilement. Pourtant de multiples interactions au plus profond de mon être jusqu’à celles de l’Univers me tiennent éveillé et émerveillé sans que je sache pourquoi et dans quel but…Ah, si je sais: être simplement heureux de ma petite vie trés courte de bestiole.
Beau billet, on y revient forcément pour voir clair en nous même… Un instant.
Il y a le découragement que l’on nomme fatigue.
Découragement devant la montagne à déplacer. Découragement devant nos pauvres mains calleuses. Découragement devant nos pioches et nos brouettes quand d’autres disposent de machines puissantes pour leurs modestes taupinières. Découragement au petit matin froid quand on resterait bien volontiers dans un lit chaud de la nuit.
C’est le triomphe de ceux qui nous veulent soumis et silencieux chaque fois que nous plions qui nous fait continuer vaille que vaille.
Comme le sacre du monarque des richissimes au Fouquet’s. Comme les mots de Warren Buffett « My class has won and it’s been a rout ». Ma classe a gagné et ça a été une déroute.
Pour ne plus voir ces triomphes. Pour ne plus entendre ces triomphes.
@Un partageux
Bah, on le sait que l’Adversaire est surpuissant ( mais pas tout-puissant). Les Monarques des Océans détestent les grains de sable.
Georges Haldas disait justement : « Désespoir perpétuel, voilà ta faiblesse. Désespoir (découragement) momentané, voilà ta force ».