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Images extraites du film Close Up d’Abbas Kiarostami.
Première partie du billet ici.
Dans un vieux et riche numéro de Communications (N°23 de 1975), on avait deux belles interventions à propos de ce Spectateur de cinéma, animal étrange, dont la place était difficile (mais non impossible) à cerner. L’article de Roland Barthes s’arrêtait sur sa sortie personnelle du Cinéma après projection d’un film. Christian Metz, lui, développait les rapports de contiguïté entre le Rêveur et le Spectateur de Cinéma. Il y analysait les rapports entre le premier (qui ne sait pas qu’il rêve) et le second (qui sait qu’il est au Cinéma). Des extraits extra.
«Le sujet qui parle aime à reconnaître une chose : il aime à sortir d’une salle de Cinéma. Se retrouvant dans la rue éclairée et un peu vide ( c’est toujours le soir et en semaine qu’il y va) et se dirigeant mollement vers quelque café, il marche silencieusement ( il n’aime guère parler tout de suite du film qu’il vient de voir), un peu engourdi, engoncé, frileux, bref ensommeillé : il a sommeil, voilà ce qu’il pense; son corps est devenu quelque chose de sopitif, de doux, de paisible: mou comme un chat endormi, il se sent quelque peu désarticulé, ou encore irresponsable. Bref, c’est évident: il sort d’une hypnose. (…) C’est ainsi que souvent l’on sort du cinéma. Comment y entre t-on ? Sauf le cas – il est vrai de plus en plus fréquent – d’une quête culturelle bien précise ( film choisi, voulu, cherché, objet d’une véritable alerte préalable), on va au cinéma à partir d’une oisiveté, d’une disponibilité, d’une vacance. Tout se passe comme si, avant même d’entrer dans la salle, les conditions classiques de l’hypnose étaient réunies : vide, désœuvrement, inemploi : ce n’est pas devant le film et par le film que l’on rêve; c’est, sans le savoir, avant même d’en devenir le spectateur».
«Le Spectateur, durant la projection, se met en état de moindre alerte ( il est au spectacle, rien ne peut lui arriver); en accomplissant l’acte social d’«aller au cinéma», il est d’avance motivé à abaisser d’un cran les défenses de son Moi, à ne pas refuser ce qu’il refuserait ailleurs. Il est capable, dans une mesure toute relative et pourtant singulière, d’une certaine tolérance à la manifestation consciente du processus primaire». (Christian Metz).
«Le Spectateur a deux places : une immobile ( rivé à son siège : vision bloquée) et une mobile ( captif dans une suite d’images : vision libérée). La première le soumet aux intérêts collectifs du public, la seconde le livre à sa propre course derrière son ombre. Dans le premier cas, c’est le film qui « défile » pour lui, devant lui. Dans le second, c’est lui qui « se défile » et embarque incognito dans le film ( kidnapping, etc)». (Serge Daney).
«On sait que la participation à une tâche collective ne favorise pas la rêverie et que l’immersion dans la fiction filmique (dans la «projection» si bien nommée) a pour effet de séparer, d’autant plus fortement que le film plaît, les groupes ou les couples qui étaient entrés ensemble dans la salle et ont parfois un certain mal à retrouver cet ensemble lorsqu’ils en sortent. Il y faut dans le meilleur des cas d’entente, un moment de silence consenti en commun, pour que ne détonnent pas les premières paroles échangées : même si elles commentent le film, elles en marquent la fin, car elles portent en elles, l’activité, le réveil, la compagnie. C’est qu’en un certain sens, on est toujours seul au cinéma, un peu comme dans le sommeil encore». (Christian Metz).
Et, pour finir, une fois encore, Serge Daney – avec lequel on peut ne pas être totalement d’accord – : «Ce qui est sûr, c’est que les films ne font plus «débat» depuis longtemps, qu’ils laissent peu de traces, et que les cinéphiles eux-mêmes leur vouent plutôt une fidélité désenchantée qu’une passion écorchée vive. Bref dans l’expression «coup de cœur» c’est le mot «coup» qui compte, parce que pour le «cœur», c’est plutôt la leucémie».
Ce qu’écrit Daney est souvent vrai. Combien de films émollients ? Combien de sang de navet ? Combien de bluettes sans couleur et sans saveur ? Combien de « treizième de la douzaine » ? comme disent les néerlandophones pour décrire les endives fades…
Je ne vais plus guère au cinéma. Trop de « produits » calibrés pour (tenter de) plaire à un large public chimérique. Ça manque de mauvaises têtes, de têtes dures, de caractères bien trempés, de cinglés prêts à s’écorcher, s’étriper ou mourir de faim pour leur art. On retrouve cette médiocrité moyennisée un peu partout. La démesure du rock est maintenant confiée aux techniciens du son qui assourdissent à deux kilomètres à la ronde. Les peintres et sculpteurs font antichambre auprès des multimilliardaires. La littérature francophone tombe des mains les plus opiniâtres. La musique contemporaine est une morne plaine. On s’endort rien qu’en écoutant du Jazz.
Bon, on a très beaucoup tout plein de productions. Et peut-être qu’on est trop exigeant à rechercher notre bijou d’île aux palmiers dans l’immensité des océans de flotte saumâtre.