Cinéma américain et bistro français.

VAGABONDAGE PARISIEN (suite) : à Paris, il n’est pas forcément question que de Paris. Sauf lorsqu’on se souvient qu’ici est né le Cinéma avec la 1ère représentation publique (au Salon Indien du Grand Café, 14 Rue des Capucines). 

CAFÉ, CINÉMA : Voilà qui justifie le titre de mon billet. Ce 28 décembre 1895, il y eut à peine 20 spectateurs pour la 1ère séance mais l’invention fut vite généralisée. Le projecteur des frères Lumière fit alors le tour du Monde (de l’Amérique). Des opérateurs furent envoyés aux quatre coins de la terre pour filmer, pour montrer, pour découvrir et ouvrir une Terra Incognita.

 

Voir un film à Paris. Paris, cinémathèque du Monde. Les films noirs, les films Nouvelle Vague, les films confidentiels tiennent tête aux Superproductions. Ils y sont à égalité. Fantômas à l’égal de Batman. Burt Lancaster supplantant Tom Cruise. Et voila que paraît un gros livre de 900 pages de Serge Daney, percutant critique du dernier siècle. Inimitable Daney qui raconte ici sa naissance de Ciné-fils dans les années 50 :

 «Le cinéma promettait un monde. Il était américain à 70% mais l’Amérique était d’abord mondiale. C’était un sacré méli-mélo en termes de peuple et d’émigration. Deuxièmement, c’est le cinéma hollywoodien et le cinéma américain qui nous a faits, car quel autre cinéma aurait pu nous faire sinon le cinéma américain qui était à son maximum de bonheur, de capacité de bonheur, de grâce… ? Dans les films de Douglas Sirk, l’Amérique est belle à voir. Quand Fred Astaire danse, c’est beau. Et puis ça ne danse que là : ça ne dansait pas en Europe. Tout cela, on l’a su d’une façon absolue. C’était une promesse d’un monde, même si le monde était très américanisé. Car les Américains ont quand même été les seuls pendant très longtemps à toucher les mythologies des autres peuples pour raconter des histoires qui n’étaient pas les leurs : le Roi Arthur, la Révolution française etc. Bien sur avec leurs intérêts idéologiques et leur bêtise propre de villageois américains. N’empêche qu’ils ont fait ce que personne d’autre n’a fait (…) Heureusement ou malheureusement – je n’arrive pas à le savoir – les Américains avaient à l’époque et ont toujours une place absolument unique dans le monde. Le problème, c’est qu’ils n’ont plus les moyens de tenir cette promesse, ou de tenir la promesse de la promesse du monde. Si bien qu’aujourd’hui, ils sont quand même très très méprisés, tout en étant absolument culturellement dominants. Ce qui est très malsain comme situation mais dans les années 50, non».

*

Revoyant M le Maudit et Furie (avec Spencer Tracy), me reviennent les bonnes paroles de Jean-Louis Comolli. Elles disent tout de la position du spectateur, de sa manipulation, de son plaisir.

«Rien à faire : le cinéma est injuste, ou plutôt sa justesse n’est pas notre justice. Filmés dans leur calvaire, les bourreaux peuvent paraître «victimes». Dure leçon de Fritz Lang : le spectateur croit bêtement être du « bon côté » de la représentation, de l’histoire, du film. De l’autre côté des monstrueux. Et voilà que le film s’avance et que la police s’associe avec les bandits pour donner la chasse au Maudit (dans M le Maudit). Drôle d’alliance annonçant le consensus politique entre pègre et nazis ; encombrants alliés pour notre spectateur (…) Le bon côté, la bonne conscience, la bonne cause, la bonne âme sont au cinéma des pièges à nous tendus sous un masque protecteur. Le spectateur est exposé à perdre ses protections idéologiques et culturelles».

  

A Paris, pas une journée sans passer une fois par le zinc d’un bistrot ou par la terrasse du Café. Et chaque fois, tirant la chaise pour m’y asseoir, cette réflexion si juste de Roland Barthes me revient :

«Quand je suis au Café, je suis entièrement complice de ceux qui sont à la même table que moi, tout à l’écoute de ce qu’ils me disent et en même temps, comme dans un texte, comme dans une stéréophonie, il y a autour de moi tout un champ de diversion, des gens qui entrent et qui sortent, un déclic romanesque qui se produit. Et je suis très sensible à cette stéréophonie de Café».

*

Passant chez Virgin des Champs-Elysées, je demandais où je pouvais trouver les bouquins de Georges Haldas (l’homme qui écrivait dans les cafés genevois). Le préposé en littérature ne le connaissait pas. Il pianota alors sur son ordinateur et regarda défiler les œuvres publiées de l’écrivain sur son écran. «Désolé, Monsieur, nous n’avons rien de lui». Des centaines de livres édités, des chroniques, des carnets, des rencontres ; une vie tout entière tournée vers la Vie et l’Ecriture. Et rien de ce monumental écrivant rencontré jadis au Salon du Livre de Genève. Rien de lui dans cette grande Surface. Décidément, je crois que les livres de grande littérature, ceux qui changent votre vie de fond en comble, hé bien, il faut les chercher dans les Caves et les Souterrains.

«Ce n’est pas ce qu’on écrit qui compte. Nos livres, en effet, avec le Temps – et même bien avant – deviennent poussière. Ce qui compte en revanche c’est tout ce qu’en les écrivant on découvre : de nous-mêmes, des autres, du Monde et surtout de la Vie».

Et n’oubliez pas de venir me rendre visite au Bar FaceBook toujours ouvert… 

4 Responses to Cinéma américain et bistro français.

  1. MHPA dit :

    ça y est, j’ai commandé la première tournée (au bar). Très beau billet.

  2. Au café, tout le monde a un air de famille… 😉

  3. BiBi dit :

    @des pas perdus
    A bientôt de se trouver autour d’un verre, mon frère ! 🙂

  4. […] rédaction de vos articles ?  Vous terminez le dernier avec ceci : “Quel sens de l’actualité […]

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