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Vous avez continué de vivre cahin-caha et plutôt pépère tant d’années après la découverte des toiles de Van Gogh au Musée d’Amsterdam. Vous avez rangé toutes ces espèces de bouts de toile sciés, limés, râpés, martelés et rabotés dans un coin de votre mémoire. Mais les voilà qui resurgissent avec une force inentamée. Vous avez l’impression subite de croiser ses pinceaux et ses toiles. Vous vous souvenez alors des efforts d’énergie assez considérables du peintre, de sa mélancolie, de sa ténacité de son épuisement. Ce bouleversement ne peut revenir qu’en certaines occasions. Celle – par exemple – d’un passage à Auvers-sur-Oise, après-midi ensoleillé.
C’est mardi, tout est fermé, y compris l’Auberge Ravoux où, de toutes façons, vous n’aurez pas mis les pieds. En d’autres temps, vous aviez lu les Lettres de Vincent à Théo chez Gallimard et vous aviez été surpris de voir que Vincent Van Gogh n’était pas du tout le rustre qu’on vous avait présenté. Dans ses Lettres à son frère Théo mort six mois après mais qui – curieusement – a sa tombe accolée à celle de son frère, vous vous étiez aperçu que Vincent Van Gogh lisait du Zola, du Edgar Poe, Hoffmann, avalait Michelet, Balzac, Erckmann-Chatrian, Dickens, Hugo, Daudet. Un lecteur avancé. Un peintre à la carcasse bien démolie, plongé tout entier dans un métier opposé – écrivait-il – à celui de rentier.
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Lettres à THÉO.
« Qu’est-ce que dessiner ? Comment y arrive t-on ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. Comment doit-on traverser ce mur, car il ne sert à rien d’y frapper fort, on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement, et avec patience à mon sens».
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Antonin ARTAUD.
« Mais Van Gogh est un vieux choc, un de ces antiques traumatismes rentrés qui tournent en rond de tout leur corps d’homme le temps de trouver l’issue où sauter /et qui doivent sortir du monde / impayés / ayant achevé leur destinée. / Si Van Gogh n’était pas mort à 37 ans, peut-être n’eût-il pas peint encore une toile de plus, mais cela aurait voulu dire que vers sa 38ème année c’est le monde qui serait sorti impayé».
« Je suis toujours entre deux courants d’idées, les premières : les difficultés matérielles, se tourner et se retourner pour se créer une existence, et puis : l’étude de la couleur». Lettres à THÉO.
CÉZANNE : « Je sens l’exploitation partout».
Lettres à Théo VAN GOGH.
« Je peux bien dans la vie et dans la peinture aussi me passer du Bon Dieu mais je ne puis pas, moi souffrant, me passer de quelque chose de plus grand que moi, qui est ma vie, la puissance de créer ».
« Que serait la vie si l’on n’osait se mesurer avec elle ?»
« Quand Mauve me singe et qu’il imite ma façon de parler en disant : «Tu tires une bobine comme ça» et «tu parles comme ça», je lui réponds : «Mon cher, si vous aviez passé autant de nuits humides dans les rues de Londres que moi, ou autant de nuits glaciales à la belle étoile dans le Borinage – affamé, sans toit et frissonnant de fièvre, – vous aussi, vous feriez de temps en temps de vilaines grimaces, et votre voix en conserverait le souvenir par-dessus le marché.»
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« Les cochons ont voulu manger l’art démocratique au berceau mais l’art démocratique les mangera». Gustave COURBET.
A chacune de ses lettres, Van Gogh enfonçait le clou de la Dépense et de la Dette :
«Il n’est pas question de perdre courage ou de renoncer ; la vérité, c’est que j’ai dépensé plus de forces que je ne puis et que je suis épuisé ».
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« Parce que la dépense d’énergie qu’exigeait son travail excédait et excluait tout calcul relatif à la reproduction de la force de travail qui s’y consumait ; parce que l’inertie des rapports sociaux fit qu’il ne put jamais être payé pour ce qu’il faisait (une « peinture » qui réclamait une révolution) mais seulement pour ce qu’il ne faisait pas (des « tableaux ») ; et parce qu’il refusa toujours de forfaire à une certaine «conception de l’honneur et de l’équité» qui lui interdisait «de considérer cette situation comme durable», le besoin de produire de Van Gogh fut enchaîné à une dette que la production des tableaux ne faisait qu’augmenter » Michel POUILLE.
« Si le tableau servait à quelque chose, il servirait à jouir. Or une chose servant à jouir ne peut être qu’un fétiche, dont l’usage est précisément d’incarner un idéal assurant son plaisir au Moi, qui peut ainsi compter sur le soutien sans défaillance de l’objet de son fantasme pour limiter au besoin les dégâts et les dépenses excessives que ses pulsions risqueraient d’occasionner. Et pour que le tableau ne soit plus un fétiche mais la fente au contraire qui mène au matérialisme, il faut qu’un manque se creuse du côté de son usage – au niveau de son savoir-faire (« je ne sais pas moi-même comment je le fais») ou du mode d’emploi (« il n’est trop douteux que cela soit beau ou utile»). Michel POUILLE.
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