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Tout part d’une simple lecture d’un article de François Ruffin dans le dernier numéro de Fakir («Prolos, Intellos : qu’est-ce qui coince ?»). Voilà qui me reporta quelques dizaines d’années en arrière où, du haut de mes 20 ans, lisant la Nouvelle Critique, parfois Libération, parfois L’Humanité, suivant les interventions d’Althusser et découvrant Pierre Bourdieu en autodidacte, j’avais inscrit cette question de l’alliance des prolos et des intellos comme première et décisive. Je cherchais comment relier un parcours personnel à une trajectoire collective, je cherchais à faire du lien entre mon côté populo et mon côté d’entrant intello.
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Et puis voila ce billet de Fakir qui me retravaille («Prolos, Intellos, qu’est-ce qui coince ?») – via le compte-rendu de la bagarre des GoodYear (1173 emplois à Amiens). On y repose cette question toujours première, toujours décisive de l’alliance des Prolos et des Intellos. Un billet in vivo où l’on décrit cette «aberration» de voir les GoodYear crier devant la Mairie et, à quelques centaines de mètres, de noter la présence d’un second rassemblement où l’on proteste contre ce qui se passe en Espagne (les lois anti-avortement). Deux cortèges qui s’ignorent.
«Que s’est-il passé ? Ou plutôt : que ne s’est-il pas passé ? Qu’a-t-il manqué ? Comment la plus grosse entreprise de la ville, et même de la région, 1173 emplois, a-t-elle pu fermer sans un sursaut, ni des élus ni de la population ?»
Comment expliquer ces lendemains qui déchantent, ce pueblo unido jamas sera vencido mais ici, si dividido, comment se remettre de ces lendemains qui déchantent ?
«On aurait cru deux pays différents, séparés par une frontière. Les pneus cramaient sur la Zone Industrielle, les CRS préparaient leurs lacrymos mais à 5,4 kms de là, au centre-ville, dans les propos de bistro, entre «camarades», on causait de la pluie et du beau temps, voire de Besancenot et Buffet mais pas des GoodYear».
François Ruffin fait l’inventaire des représentants politiques élus à Amiens. Les ouvriers là-dedans ? Absents, écartés des pouvoirs locaux, des centres de décision en toute «démocratie»… représentative. Sur les 43 conseillers «de gauche», la part belle est faite à l’Education Nationale, aux Services publics (ingénieurs), aux permanents de la politique, et restent des miettes pour les associations. Ouvriers et employés (60% de la Somme) n’ont pas leur mot à dire. Aussi les questions annexes deviennent prioritaires. La souffrance des GoodYear ? Les enjeux de la délocalisation ? Les fermetures ? Pffttt.
Mais… mais ce billet de Fakir ne s’éternise pas seulement (et à juste titre) sur ce constat, sur cette indifférence de la petite bourgeoisie aux commandes de la Ville, sur cette léthargie là où on attendrait plus de la solidarité etc. Il renverse aussi le regard : qu’en est-il si on se place de l’autre côté, du côté prolo ? Qu’en est-il de ce mouvement ouvrier dans l’incapacité de rallier à sa cause cette frange des couches moyennes ? Pour dire vite, on y voit à l’œuvre ces courants «corporatistes», on pense «ouvriérisme», on ne se souvient plus de combats passés où l’on s’est trouvés isolés, où l’on a pleuré sur de si dures défaites ouvrières.
Attention, ici, n’allons pas trop vite dans le jugement car, contrairement à ce qu’on pourrait naïvement croire, ces positions, ces prises de positions, ces attitudes ne sont pas totalement négatives (c’est qu’on défend son bifteck, question de survie, on n’est pas dans des alternatives de Bisounours). Mais la force du Réel est là : le mouvement ouvrier est incapable de porter plus loin ses revendications, incapable d’englober d’autres couches sociales touchées elles-aussi par la crise, incapable d’élargir sa base de masse. On reste dans l’entre-soi. Avec de cuisantes défaites au final.
«Nulle surprise, alors, quand au bout du rouleau, les GoodYear finissent par occuper leur usine, s’enferment à l’intérieur, en refusent l’accès – pour des raisons de sécurité certes – à toute personne étrangère au site».
Un certain camarade (Vladimir Illitch Oulianov) posait cette question «Que Faire?». Peut-être alors répondre que dans ce «faire», il n’y a pas que de la combativité, que «faire» n’est pas qu’une expérience (irremplaçable) de lutte. Le combat ouvrier a toujours des échos et des effets précieux dans et autour de ceux qui luttent. Mais ce «faire», c’est aussi faire de la théorie, c’est aussi creuser dans la pensée, c’est aussi analyser ses propres positions, dégager les rapports de force, assimiler de façon critique les manques, s’ouvrir vers des solutions originales, tirer les leçons des échecs etc sans jamais perdre de vue et de pensée que «rien de beau ne s’est fait, à gauche, sans cette jonction/friction entre une fraction intellectuelle et les classes populaires».
Un pas à «faire» vers cette union rêvée, utopique, nécessaire.
Un pas aussi à «faire» pour défendre «la possibilité et la nécessité de l’intellectuel critique». De cet intellectuel critique d’abord «de la doxa intellectuelle que secrètent les doxosophes. Il n’y a pas en effet de démocratie effective sans vrai contre-pouvoir critique». (Bourdieu).
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A lire aussi sur ce blog :
« Les bonnes bouffes de nos Intellectuels » (Avril 2009)
« Intellos » : un compliment ou une insulte »
« Trajet d’un autodidacte qui a lu Pierre Bourdieu »
« Serons-nous heureux demain ? »
Et puis encore cette intervention de Pierre Bourdieu dans les luttes de décembre 1995.
J’ai lu cet article vraiment intéressant et essentiel qui pointait aussi les insuffisance des syndicats (au sommet) incapables de donner un sens global et porteur à une lutte locale. Un sens qui aurait peut-être permis de mobiliser plus largement.
Il ne reste plus qu’une catastrophe pour bouger les lignes!