A propos d’un meurtre à Vilnius.

Le chanteur Bertrand Cantat, connu pour ses chansons et pour l’homicide de Marie Trintignant en 2003, est à la Une des Inrocks. Pour son geste meurtrier, il avait été condamné à huit ans de réclusion. En réalité, il n’a purgé que quatre ans de prison puisqu’il avait obtenu une liberté conditionnelle à la moitié de sa peine pour bonne conduite. Qu’on soit d’accord ou pas sur le jugement d’alors, Bertrand Cantat a effectué sa peine. Il a recommencé à chanter et vient de sortir un nouvel album. 

Reflexions et interrogations-bibi.

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On peut comprendre la douleur de Jean-Louis Trintignant, de Nadine Trintignant et de leurs proches à voir Cantat sur les affiches de l’hebdo et sur tous les Médias qui – rapaces – ont repris cette Une à bons comptes financiers.

Un mot ici, pour dire mon admiration pour le courage et la dignité du père de Marie Trintignant : «Cela fait 14 ans et depuis, je n’arrête pas de penser à ma fille». Et ce même Jean-Louis Trintignant (à l’opposé des Médias si voraces) de rajouter : «C’est un peu stupide d’embêter les gens avec ça».

On peut aussi comprendre et approuver le combat de celles/ceux, victimes ou non, qui se battent contre les violences faites aux femmes et qui voient – indignées – la tête du chanteur en gros plan sur l’hebdo.

Pour ma part, je suis bien peu sûr de ma réponse à donner à ceux/celles qui réclament sa tête, à ceux/celles qui sont prêts à le lyncher, à ceux/celles qui n’acceptent pas que sa notoriété continue, qui trouvent insupportable le chanteur qui s’exhibe ainsi sur les supports de presse etc. Euh… crier avec les loups ? Très peu pour moi.

Je me suis quand-même penché sur ce qu’écrivait avec hargne Raphaël Enthoven dans son intervention radio sur Europe 1. Il versait sa haine contre la Une des Inrocksun magazine putassier qui met un meurtrier en une pour ses petites ventes»). Qu’il faille attendre cette Une pour clamer la «putasserie» de ce magazine cela en est presque drôle. Mais c’est une autre histoire. Ce n’est pas cela qui a retenu mon attention, c’est le fait que Raphaël Enthoven, cet homme qui parle, fait, vit d’une certaine philosophie, cet homme qui donne ses avis sentencieux quotidiennement et dont le métier est de réfléchir (avec, en plus, haute amplifications mediatique et radiophonique) ait qualifié Bertand Cantat dans son tweet de «meurtrier».

J’ai suffisamment travaillé avec des enfants martyrisés, avec des adolescent(e)s battu(e)s, avec, aussi, leurs pères aux actes violents, très très violents même, pour me méfier de ces catégorisations qui réduisent un humain (une vie entière) à un mot. En qualifiant Bertrand Cantat de «meurtrier», le «philosophe» le réduit tout entier à son meurtre. C’est cette précipitation du «philosophe» contre laquelle je m’insurge. Quitte à faire hurler mes lecteurs et lectrices, Bertrand Cantat n’est pas un meurtrier mais un homme qui a commis un meurtre, meurtre pour lequel il a été condamné. Et, avec cette différence dans la nomination, nous ne sommes pas dans une simple querelle de mots.

 Combien de fois dans nos vies n’avons-nous pas (moi y compris) pris de précautions pour asséner ces mêmes catégorisations ? Nous rangeons untel ou unetelle dans nos cadres préétablis, nous érigeons nos catégories en jugements indiscutables et définitifs sans voir qu’on enferme l’humain. Car, oui, il n’y a pas de monstres dans la gente humaine. Il y a des humains qui ont commis, oui, des monstruosités, des humains qui ont commis, oui, des crimes horribles (celui de Marie Trintignant l’est), des humains qui ont eu bien entendu des gestes inqualifiables. Des humains. Des humains comme le furent par exemple ces «Hommes ordinaires» dont parle Christopher Browning dans son livre, des humains qui passèrent des villages juifs polonais au lance-flammes chaque matin.

Et qu’on ne vienne pas me dire que je veux absoudre Bertrand Cantat. Dans mon métier, dans mes élans professionnels d’éducateur, j’ai souvent pesté contre les décisions judiciaires après les audiences, contre le tranchant à vif des décisions des juges mais – toujours avec le recul – je me suis calmé et je me suis raisonné en me disant qu’heureusement je ne suis pas, dans ces affaires-là… juge ! Il y a un tiers qui est venu – ouf ! – juger mais cette impulsion à prendre la place du SurMoi (celle du Juge) demeure, insiste, revient. Chez chacun. Chez tous. Méfiance.

 Mr MH, jusque-là exemplaire, a tué sa femme sur une pulsion meurtrière. Il entoure le cou de sa femme de son foulard et la traine sur deux mètres. Il se retourne. Avec ce geste, c’est un meurtrier. Depuis sa sortie, huit ans de prison après jugement, il a récupéré sa fille qui veut (et continue de) vivre aujourd’hui avec lui.

Que rajouter d’autre ?

De mon côté, il y a toujours cette sidération qui me surplombe en repensant à tout ça, à Mr MH, à sa fille (que je salue), à Marie Trintignant (superbe dans son rôle de Janis Joplin), à Nadine et Jean-Louis Trintignant. Qu’y aurait-il d’autre en effet à dire ? Plus rien pour moi. Mais il est interessant de replonger dans cet extrait du petit livre de Pierre LegendreLa Fabrique de l’Homme Occidental») en se rappelant les meurtres d’un certain Lortie. Dans cette affaire, il y a eu – comme pour le meurtre de Bertrand Cantat – procès, jugement, condamnation, verdict et peine effectuée. Il y eu Justice.

Une dernière petite pièce donc à verser au dossier.

Et… c’est avec tout ça que je vous laisse ainsi – via mes petites pensées confuses – seul «juge».

7 Responses to A propos d’un meurtre à Vilnius.

  1. Desanti dit :

    Bertrand Cantat n’est pas un ‘ cas social ‘ comme en rencontrent les travailleurs sociaux. IL sait ce qu’il a commis, même si cela l’a dépassė (pourquoi pas…). On ne se met pas en vitrine publique avec comme argument que l’on a payé sa dette à la société et que l’on passe à autre chose. T’as oublié aussi que sa femme, avant Marie, s’est suicidée avec cette histoire. C’EST indécent.

  2. Rémi Begouen dit :

    « Bertrand Cantat n’est pas un meurtrier mais un homme qui a commis un meurtre » (…)
    Il m’a fallu sursauter, froncer les sourcils et avaler ma salive avant de réfléchir, me calmer, te donner raison… sur le principe humaniste, bien sûr !
    Et même mille fois raison lorsque l’on pense à tous ces vrais meurtriers professionnels que sont les « bons-courageux-soldats-qui-cocorico… »

  3. BiBi dit :

    @RaphaëlDesanti
    Sur la vitrine publique de Cantat, je dois avouer que je n’ai pas d’opinion. Même si je comprends qu’on puisse considerer cela comme « indécent ».Je ne suis pas allé chercher ses justifications et ses arguments (tu as l’air d’en savoir plus que moi là-dessus). Excuse-moi, je n’ai pas beaucoup saisi pour quelle(s) raison(s) tu fais un parallele avec les cas sociaux. Au fond peu importe le cas particulier de Cantat. Mon article ne portait pas sur ce que faisait Cantat aujourd’hui. Ce sur quoi je m’échauffais c’est qu’un homme versé dans la philosophie comme Enthoven puisse qualifier Bertrand Cantat de « meurtrier »et que derrière l’emploi de ce mot se cache une haine mauvaise conseillère, qui nous traverse tous ( moi y compris), haine que j’essaye tant bien que mal de tenir à distance.

  4. Pour ma part je m’insurgeai contre le machisme de la couv…jamais sur le contenu de l’interview Donc j’ai dit que c’était un torche cul pour la « féministe’ que je suis

  5. Philippe Jouary dit :

    Bravo Bibi pour ce papier, et pour le texte de Legendre… On peut en effet avoir commis l’irréparable, et devoir continuer à vivre, à assumer ce qui doit être assumer… Je doute que Bertrand Cantat soit un homme heureux, le bannir à nouveau en le comparant à Hitler, Dutroux ou Landrau comme se complaisent à le faire certains sur les réseaux sociaux, relèvent de la bétise la plus crasse…

  6. BiBi dit :

    @PhilippeJ
    Oui vous avez bien saisi le sens de l’article. Petite réserve : ni attendrissement ni colère contre Bertrand Cantat. Qu’il soit heureux, heureux avec remords, malheureux malgré tout etc au fond m’indiffére.

  7. Philippe Jouary dit :

    Ni attendrissement, ni colère, mais pas d’indifférence non plus au malheur que, par identification, j’imagine être le sien…

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