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Il y a quelques années, je ne me souviens plus, j’étais tombé sur « Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas » et j’avais poursuivi avec « Etre sans destin« , deux livres qui m’avaient bouleversé. A cette époque, je cherchais – sans trouver – d’autres choses de l’écrivain hongrois, Imre Kertész. Aujourd’hui, je viens de finir « Dossier K. » (chez Actes-Sud), un livre d’entretiens avec un de ses amis. Imre Kertesz, rescapé d’Auschwitz et de Buchenwald, rapporte ce mot allemand « Weltvertrauen » qu’il a emprunté à Jean Améry, autre survivant. Ce mot, on pourrait le traduire par « la confiance accordée au monde », confiance basique, indestructible.
Malheur à qui la perd : il est perdu.
« Il est difficile de vivre sans cette confiance. Une fois qu’on l’a perdue, on est condamné à vivre éternellement seul parmi les hommes. On ne voit plus jamais en autrui son prochain, mais son ennemi. »
Mais ce qui m’a frappé et pris à la gorge, c’est la façon dont Imre Kertesz règle, dans l’entretien, la formule de son interviewer qui lui demande ses « gouts littéraires ». Là, on sent poindre l’agacement, la colère rentrée d’Imre Kertesz. Rappelons que les deux auteurs qui ont changé sa vie furent Thomas Mann ( avec la nouvelle : « Les Enfants de Wotan » et le roman « Mort à Venise » ) et Albert Camus ( avec « L’Etranger » traduit en hongrois en 1957).
Imre Kertesz remet alors – respectueusement mais fermement – les choses à leur juste place :
« Cette expression de goûts littéraires recèle quelque chose d’arbitraire qui ne correspond pas à la réalité. On dirait que je feuillette avec suffisance un très gros livre de « littérature », puis que je pose le doigt sur ces deux auteurs : voici mes goûts littéraires. En réalité, ça ne s’est pas passé ainsi. Ces deux auteurs ont fait irruption dans ma vie comme une catastrophe, au sens de bouleversement radical. Il est vrai que je les avais choisis, ces auteurs, mais je n’aurais pas pu ne pas les choisir ».
Là, une révélation décisive par la rencontre fortuite de ces deux écrivains.
Ailleurs encore, d’autres bascules, d’autres humains qui connaissent ces bouleversements, ces points-pivots qui vous changent une vie entière. Rama Krishna par exemple. C’est Hugo Von Hofmansthal qui rapporte ce qui fut décisif dans la vie du sage hindou, cette expérience qui le singularisa entre les hommes et fit de lui un Saint.
« Il se passa simplement ceci : il allait par la campagne, au milieu des champs, jeune garçon de seize ans, quand il leva son regard vers le ciel et vit un cortège de hérons blancs traverser le ciel à une grande altitude et rien d’autre, rien que la blancheur des créatures vivantes ramant sur le ciel bleu, rien que ces deux couleurs l’une contre l’autre, cet ineffable sentiment de l’éternité, pénétra à l’instant dans son âme et détacha ce qui était lié , lia ce qui était détaché, au point qu’il tomba comme mort ; et lorsqu’il se releva, ce n’était plus le même qui s’était effondré ».
La Vie : toujours plus grande, plus riche, plus incroyable que ce qu’on croit.
Merci. Oui, c’est exactement la manifestation de la vie. Surprise. Méprise. Surprise…