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Lire, relire. Lier, se relier. BiBi a slalomé entre les livres de Valère Novarina, de Primo Lévi, d’Arlette Farge et a écouté les chants déterminés (et parfois désespérés) des ouvriers de l’usine Doux à Graincourt.
Lire, relire. Lier, se relier : tout ce que les Pouvoirs détestent.
1. Après les lectures du torchon de Richard Millet, quel plaisir de plonger dans les écrits de Valère Novarina parlant dans «L’envers de l’esprit» (Chez POL) de l’Acteur. Ce Novarina prend l’absolu contrepied de cet indigeste Millet qui chosifie la langue en la voulant Une et Indivisible. Ce dernier navigue dans la futilité et le ressentiment tandis que l’autre s’attarde dans l’épaisseur, l’intensité, la lumière. L’un parle du «Sentiment» de la Langue croyant par cette formule impressionner son petit monde, l’autre s’attachant au drame de la vie et «au drame inhumain du langage» qui se joue (aussi) au Théâtre :
«Les théâtres sont d’extraordinaires chambres d’échos et laboratoires linguistiques à notre portée – et un terrain de chasse assez inexploré pour qui a la passion des langues : ils sont des lieux où saisir le vif». L’un saisit le vif, l’autre n’a que la Mort à la bouche.
Encore Novarina versus Millet : «Penser en langues, dit le philosophe Marco Baschera, qui pense chacune de ses pensées en sept langues: en allemand, en français, en latin, en grec et en italien, en Züricher Sprache et en apenzellois… penser en langues, c’est peut-être aussi, lorsqu’on est un simple monoglotte, «penser en langues» dans une seule langue».
Voilà toute la différence entre l’immense Novarina et ces écrivains asséchés et cul serrés, tout l’écart politique entre un penseur «hors de l’enclos» et ces pauvres écrivaillons (de Millet à Goux) qui veulent ramasser tous les mots «français» afin de leur passer la camisole de force. Espoirs vains. Minables tentatives de mises au pas. La polysémie des mots les mettra KO, la joie qui sous-tend chaque vocable les écrasera.
2. Dans les «Feuillets épars» (Robert Laffont) de Primo Lévi, déporté et survivant d’Auschwitz, voilà que me retient ce passage écrit en 1975 : «A présent nous ne sommes plus que quelques dizaines : trop peu sans doute, pour être écoutés; de plus, nous avons souvent l’impression d’être des narrateurs gênants, et il n’est pas rare que le rêve curieusement symbolique qui habitait nos nuits de détention se réalise sous nos yeux : notre interlocuteur ne nous écoute pas, ne nous comprend pas, il se distrait et s’en va, nous abandonnant à notre solitude. Et pourtant, il nous faut raconter».
3. Et feuilletant ce beau livre d’un Collectif Femmes («Histoires sans Qualités» chez Galilée 1979), je tombe sur ces quatre mots d’Arlette Farge (Chapitre : «L’histoire ébruitée») : «Le passé me provoque». S’ensuit ce beau passage sur sa façon de faire parler les sans-voix du XVIIIème siècle :
« Pour les gens du peuple, la rue est un espace subi qu’ils ne choisissent pas ; contraints d’y vivre, ils finissent par tirer parti de cet espace, de s’y modeler et de faire corps avec lui. C’est d’ailleurs un des aspects de la vie populaire dont la police se méfie le plus : cet amalgame entre peuple et rue, espace urbain et foule, l’effraie au maximum ; la ville est l’enfer d’où peut surgir n’importe quelle catastrophe ; du peuple entassé rien de bon ne peut sortir».
4. Des rapports des lieutenants généraux de Police aux directives de Valls, des colères féminines contre les disettes parisiennes aux cris très actuels des Ouvriers de Doux, le Passé – comme le Présent – nous provoquent… à la lutte, à la résistance.
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