Kafka au bordel.

Kafka sans sa geisha

Avec Kafka, l’Histoire est sans fin. On a voulu faire de l’écrivain un Visionnaire anti-totalitaire, un Désespéré, un Anarchiste, un Militant sioniste etc etc. Aujourd’hui, voilà qu’il y aurait une ènième affaire « K », un débat né en Angleterre qui soulèverait une fois encore les passions. Cette fois-ci, il s’agirait de savoir si Franz était oui ou non un… pornographe.
Cette grande Question vient à point pour fêter le 125ième anniversaire de sa naissance. On aurait donc découvert que l’écrivain pragois n’était pas si prude que ça, qu’il n’était pas du tout l’ascète que ses fervents admirateurs auraient décrit tout au long de leur Corpus critique. Un certain Monsieur James Hawes aurait lancé – preuves à l’appui – que notre écrivain idolâtré aurait commis de graves péchés (littéraires) en écrivant de la « prose » pornographique, voire aurait été sa vie durant un abonné aux bordels de Prague et d’ailleurs. Pour la démonstration, il n’y aurait qu’à lire le livre (et d’abord, évidemment : l’acheter) « Excavating Kafka » aux Editions Quercus.
 
Pourtant il n’y a pas de quoi fouetter un chat puisque l’écrivain lui-même, entre dénégations et aveux, le donnait à penser dans son Journal. Dans les années 1910/1913, il fréquente assidument les cabarets, cafés-concerts et bordels, goût qu’il conservera longtemps.
Sur cette photographie où Franz Kafka pose avec un chapeau melon et tend la main à un gros chien, il en manque une partie (censurée par qui ?). A sa gauche, de l’autre côté de l’animal, figurait ce qu’on pourrait qualifier avec pudeur de «serveuse de cabaret » et que Kafka lui-même appelait les « geishas ».

Rappelons aussi que par l’intermédiaire de son pote de virée, Max Brod, il a rencontré Franz Blei, un publiciste autrichien qui vivait entre Vienne et Munich. Ce même Blei éditait deux revues d’ « érotisme » dont Franz et Max étaient fidèles abonnés et fervents lecteurs. Ce sont dans ces deux revues (« Opales » et « Améthyste ») que le dénommé James Hawes dit avoir retrouvé des écrits pornographiques du cher Franz. Ces textes auraient été dénichés à la Bodhian Library d’Oxford et à la British Library de Londres. BiBi a hâte de lire.
Il y aurait encore plus en Israël. Max Brod, décédé en 1968, avait légué les écrits parcellaires de Kafka à sa secrétaire, Esther Hoffe. Aujourd’hui, ce sont les deux filles de Madame Hoffe, Hava et Ruth qui sont en possession des précieux écrits.
Franz Blei, cet éditeur munichois, lancera une nouvelle revue « Hypérion ». C’est dans les premiers numéros que Kafka verra ses premiers textes publiés ( en particulier Description d’un Combat) et des courts aphorismes qualifiés de « spirituels et rêveurs ».
Fin août 1911, Franz et Max Brod partent pour faire un grand voyage européen, dernier grand voyage en célibataires car Max Brod « partira en fiançailles » en 1912. Ce voyage les mènera de Prague ( Kafka y a noté dans son journal « le style Amazone » des bordels » de sa ville) à Pilsen, de Munich à Lindau avant de faire halte à Saint-Gall, Zurich, Lugano. Ils débarquent à Milan le 4 septembre 1911. Là ils s’arrêtent longuement dans le bordel milanais Al Vero Eden puis repartent à Paris via Montreux, Lausanne et Dijon. Kafka dans un bordel de Dijon ? Cocasse non ?
A Paris, les bordels « sont organisés rationnellement », plus rationnellement qu’à Prague, écrit notre connaisseur.
En 1923,  Léopold B.Kreitner, élève du même lycée que celui de Kafka, camarade de l’écrivain entre 1910 et 1914, rencontre Ottla la sœur de Kafka. Celle-ci se plaint amèrement à lui que son frère Franz « disparaissait en ville de temps en temps pour aller retrouver des femmes ».

BiBi note effectivement que dans les biographies de Kafka (celles de Marthe Robert, de Claude David, de Pietro Citati, de Klaus Wagenbach), on ne s’y attarde pas, on évite assez systématiquement le sujet ou on ne l’aborde que par la…bande. Peut-être veut-on préserver assez sottement l’image d’un homme qui serait celle d’un ascète (ce qu’il fut aussi au demeurant) ?  Probablement veut-on préserver le cliché de l’écrivain qui ne se sacrifierait qu’à son Art. Or Kafka fut pleinement un homme de son époque. Il était curieux de tout, il suivait la vie politique et sociale de son pays, partagé entre cul et culture de son temps.
 
Retenons plutôt ce qu’en dit justement ce même Léopold B.Kreitner dans son témoignage : « A l’époque, Kafka n’avait rien d’un homme introverti – contrairement à l’impression qu’on pourrait avoir à la lecture de ses œuvres. En société, il pouvait se montrer – et il l’était vraiment la plupart du temps – drôle et spirituel, toujours prêt à faire un jeu de mots que ce fût en tchèque ou en allemand ».(1)
Pour BiBi, ces petits riens retenus de cette histoire individuelle ne rajoutent rien à la compréhension de ses écrits fictionnels. Ils ne diminuent en rien non plus l’extraordinaire étrangeté de son œuvre ( ils la grandiraient même !). C’est qu’il plaît à BiBi de garder cela en mémoire au moment de sa relecture actuelle des incroyables lettres que l’écrivain pragois écrivit à ses amours, Felice Bauer et Milena Jesenska.
(1) in « J’ai connu Kafka » Témoignages. Solin. Actes-Sud.1998.

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