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Toujours bienvenus sont les livres critiques sur les Médias. Avec celui de Thierry Guilbert (L’«évidence» du Discours néolibéral» – Analyse dans la presse écrite), celui de Jean Stern («Les Patrons de la presse nationale»), celui, plus ancien d’Alain Accardo sur les «Journalistes au quotidien» (Editions Le Mascaret), le livre de Clément Sénéchal vient complèter la vision que chacun peut se faire de l’extraordinaire domination de l’idéologie libérale sur nos consciences, idéologie qui, toujours, «parvient à se présenter comme évidente, comme dépourvue de toute alternative»(Bourdieu). On veut croire quand-même, malgré tout, à une presse-papier alternative qui irait de Fakir à La Décroissance, des sites Web (Acrimed, Arrêt sur Images, Mediapart) aux blogs critiques et polémiques 🙂 mais le chemin est long pour gagner lecteurs et internautes-citoyens.
Le livre de Clément Sénéchal vient opportunément compléter ce trio Guilbert/Stern/Accardo en se focalisant sur le développement d’Internet qui aurait, selon lui, changé la donne. Le champ du Numérique y est donc analysé dans sa mouvance, dans ses contradictions, traversé qu’il est par des luttes sans concession.
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L’idéologie néo-libérale est retorse. Elle s’est certes retrouvée un peu médusée devant l’«horizontalité» des réseaux sociaux et la «gratuité» ( la non-professionalisation des intervenants) mais elle s’est reprise en main pour reprendre la main. Aujourd’hui, les menaces se démultiplient contre l’appel d’air critique et numérique et elles planent sur ce que Sénéchal appelle la neutralité du Net. Riche analyse que celle qui prend pour objet le pouvoir du Capital dans toutes ses ramifications.
Léger désaccord.
Léger désaccord lorsque Clément Sénéchal parle de la «passivité maintes fois déplorée des récepteurs» devant la télévision (p.34). Il me semble que cette passivité n’est pas absolue si l’on garde en tête ces trois choses : 1. On regarde souvent la télévision non parce qu’on l’aime mais parce qu’on la déteste 2. on la regarde parce qu’elle procure des sujets de discussion (où passent colère, révolte d’être placé en spectateur passif) d’où une relation à l’autre (et non – comme écrit page 34 – dans un «rapport aux autres» qui «n’existe plus») et 3. chaque téléspectateur sait consciemment ou non que d’autres, beaucoup d’autres regardent ce qu’il regarde, ce qui corrige l’idée d’isolement et fait donc lien (même s’il reste paradoxal). Ces liens-là avec l’autre passent aujourd’hui via les réseaux sociaux. Le «Live tweet» sur les émissions TV est quasiment en passe d’être généralisé. La preuve ? La prolifération des hashtags dans toute production/émission TV.
Judicieux rappels basiques…
Judicieux rappels basiques : la «réalité» est une construction dont on n’a pas forcément idée. Le «fait» ne parle jamais de lui-même, n’est pas une évidence car là où il y a fait, il y a de façon incontournable «interprétation». Ainsi planter sa caméra là ou ici – et donc pas ailleurs – est un geste politique, sujet à interprétation. C’est un geste qui est,déjà, avant toute image, une interprétation de la réalité.
Ce qui vient à manquer aujourd’hui dans les Médias de nos «démocraties», dans ce soi-disant pluralisme, c’est l’espace pour d’autres versants, pour d’autres versions de l’interprétation de la «réalité».
La verticalité du pouvoir (médiatique) y est bien analysée : on passe en revue les doxosophes du pouvoir (1), on décortique les pseudo-matches entre ces éditorialistes organiques indéboulonnables (2), on insiste sur l’importance des sondages, des chiffres, sur l’omniprésence des «experts» à pensée unique, on note la présence massive et la signification du «fait divers» dans le climat politique. On ironise justement sur ce Grand Frère (le CSA) censé superviser et corriger les outrances. On aurait aimé ici que Clément Sénéchal montre les liens de plus en plus prononcés entre ces experts et les émissions télévisées avec des exemples ciblés (comme le fait Acrimed aujourd’hui en analysant l’émission «C dans l’Air» ), aimé aussi qu’il s’arrête sur l’appartenance de ces Experts aux Think Tanks prédominants (Fondapol, Cercle des Economistes, Institut Montaigne). Voir ici mon billet sur les Nouveaux Idéologues.
Seconde partie.
La seconde partie analyse l’importance et l’utilisation stratégique que nous pouvons faire des réseaux sociaux numériques où le feedback est permanent. Flux où perce une contestation frontale du Système avec cet optimisme (trop d’optimisme encore pour BiBi lorsque Sénéchal écrit «La fin peut-être» page 98). Nouveauté extraordinaire dans le cours de nos vies de citoyens-internautes : notre pluralité, nos humeurs, nos révoltes peuvent se dire, se situer, faire conglomérat, s’ajouter, s’organiser, avoir de la puissance en rongeant la part des Dominants. Le Numérique est porteur d’une émancipation discursive inouïe, elle ancre un habitus participatif (qui fait grandement peur aux Puissants) et porte la critique jusqu’à coller désormais aux basques des Dominants.
Après s’être appuyé sur Gramsci et Guy Debord, Clément Sénéchal se saisit opportunément des travaux de Serge Tisseron et de son concept d’«Extimité», revient sur les erreurs du théoricien 1970 des Médias (McLuhan) qui n’a pas pu inclure le Numérique dans ses analyses.
Vive les blogs et les blogueurs(euses) 🙂
A bon escient, il s’arrêtera sur les «maquisards» trouvés dans cette actualité alternative. Il loue à juste titre les lanceurs d’alerte puis les figures héroïques que sont (seraient) LE (ou les)… Blogueur(s)! (Avec cette très belle page)
(Cliquez sur le texte).
Très beau passage mais un peu trop encenseur car le champ de la blogosphère est un enjeu de luttes féroces elles aussi, avec forces et combattants contradictoires, irréconciliables, avec ses Vieux de la Vieille, ses nouveaux Entrants etc. Là Clément Sénéchal en fait un champ unique où n’existeraient que des maquisards. Peut-être est-ce vrai mais quand-même (comme diraient les psys lacaniens) ! Ne nous leurrons pas sur nos «forces» et le rapport des forces : les blogs de Droite, d’Extrême-droite existent, s’organisent, fleurissent, perturbent, insultent, s’insinuent. Autre territoire en réaction, les sites de classements de blogs. Ces sites convertis au Hit-Parade (E-buzzing tenu par le libéral Chappaz par exemple) veulent devenir incontournables et cherchent à se légitimer en pôle-position.
C’est la Guerre (et la mobilisation).
Le livre de Clément Sénéchal s’achève enfin sur la Guerre de Mouvement, heureux chapitre (pas toujours aisé à comprendre pour le «vieux» BiBi venu tardivement dans le serpentin du Net), indispensable chapitre pour réfléchir sur le territoire guerrier qu’est le Net d’aujourd’hui et de demain. Le Pouvoir n’a jamais abdiqué, il revient à la charge, subtilement, indéfiniment, il modèle, structure et censure en douce (au nom de la Liberté, du Droit, au nom de la défense contre les Terrorisme et la Pédophilie), il se présente comme ouvert et démocratique mais veut garder le pouvoir sur la technologie.
Ainsi va cette guerre d’usure et de position qui n’en finira pas.
L’essai de Clément Sénéchal est édité aux Prairies Ordinaires, là où poussent les hautes herbes vertes du Numérique. BiBi vous encourage vivement à sa lecture et aux ruminations qui s’ensuivent.
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(1) Ce matin encore, Bernard Guetta, chroniqueur à vie de France-Inter et ses dix minutes de bla-bla- bla libéral. Mais à quel titre ?
(2) Trop mignon. Hier, dimanche 4 mai, LCP, la chaîne parlementaire, passait le film de Gilles Balbastre («Les Nouveaux Chiens de Garde») qui dénonce l’omniprésence des Experts du Pouvoir sur les chaines TV. Et qui furent les invités du débat qui suivit ? Deux chiens de garde (FOG et Elie Cohen) et un communicancan Dominique Wolton.
Bibi, toujours aussi intéressantes tes fiches de lecture ainsi que les rappels…Tu rumines, je rumine,ruminons!:)