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Ecrire le même billet, refaire ce que l’on a fait, ressasser la même idée Ad Vitam aeternam : ces projets d’écriture programmée sont-ils à fuir ? Et peut-on y échapper ? Car écrire, c’est aussi insister, creuser le même filon, tailler (polir) et retailler les mêmes mots, les mêmes idées, s’attaquer aux mêmes branches afin de garantir – sans garantie aucune – la nouveauté et la beauté du fruit à venir (…)
La répétition nous guette, elle est prête à nous enrôler, elle déploie ses armées, fait continuellement notre siège, nous tient sous sa coupe. Et parfois (souvent, trop souvent), nous tombons dans le piège : piège de la pseudo-nouveauté, piège de la Vanité du Scribe (du scribouillard), piège de la Grandeur de notre Ego, piège de l’autosatisfaction et du Devoir «accompli».
Mais, au fond, n’avons-nous pas peur de nous lancer, de rater la planche d’appel, peur de sauter pour rien, peur de sauter dans le rien ? N’avons-nous pas aussi cette crainte de décevoir notre lectorat (qu’il soit de 5 lecteurs ou de 5000 revient au même), de ne plus ressentir sa chaleur, son assentiment, son amour ? Pourquoi cette volonté de ne pas le brusquer ? Quel bloggeur se risquerait à le perdre sans sourciller, sans en être mortellement ébranlé ?
Et ce lectorat, ce Monstre invisible, dites-moi un peu, que cherche t-il ? Que demande t-il? Ne voudrait-il pas que l’on s’assigne au même clou et que le scribe y tape dessus jusqu’à l’enfoncer encore et encore, encore et toujours ? Les lecteurs ne veulent-ils pas reconnaître ce qu’ils connaissent déjà ? Ne veulent-ils pas de l’Un et de l’Identique comme Principes de Vie et de Grandeur consolatrices ?
Mais bien sur, je déraille un peu, je suis à côté de la plaque, emporté par… Mais par quoi, au juste ?
*
Hors de cette demande d’amour d’être lu – coûte que coûte – y a-t-il autre chose ? Je ne sais mais la seule voie de délestage serait celle de piquer du nez, de se boucher (un peu) les oreilles et de faire ce que l’on a à faire : écrire sans trop s’occuper du reste, écrire sans demander son reste, écrire sans se retourner. Quitte à ne plus être lu ? Réponse grimaçante, psalmodiée à contre-coeur : «Ben oui. Tant pis !»
J’ai commencé ce billet sans savoir où il mènera. Sinon qu’en ces pensées matinales du Vendredi, Elias Canetti m’a tenu à nouveau compagnie. J’ai remis en ordre ses «Divagations» que je n’ai pas hésité à graver par quatre sur mon compte Twitter. Même lues il y a longtemps, ces quatre perles continuent de contenir du Neuf à leur relecture. Ne gît-elle pas ici la Beauté de ces pensées écrites ? Dans le fait d’être lues comme si elles avaient été lues pour la première fois ? Souvenons-nous de nos premiers émois d’adolescent. De nos stupeurs, de nos tremblements devant les Grands Commencements. Ici, avec ces quatre échos, c’est pareil. C’est pareil, à nouveau.
Les voilà ces 4 incises qui m’ont fait tanguer :
– «Il ne suffit pas de penser. Il faut aussi respirer. Les penseurs qui n’ont pas assez respiré sont dangereux».
– «La tâche de la Pensée n’est pas de répéter le connu mais de se porter vers ce qui a été exclu».
– «Découvrir la stupidité, la cruauté des hommes est chose simple. Le plus difficile c’est de découvrir ce qu’ils sont en-dehors d’elles».
– «Paranoïa : maladie du Pouvoir. Créateurs et poètes y échappent par la métamorphose».
Et peut-être n’ai-je été porté vers ces aphorismes que parce que – quelques jours auparavant – j’étais tombé sur cet article de Pierre Bourlier (numéro 31 de la revue «Sarkophage») :«Il y a une inexactitude fondamentale dans l’épatante précision avec laquelle les Sciences mesurent et définissent les besoins humains, calculent leur rapport aux ressources disponibles : elle occulte ce qui, dans le désir humain, ne tient pas dans des limites. Elle occulte le désir de réaliser l’illimité, le désir de liberté, qui est présent dans tous les gestes humains».
Une semaine plus tôt, ces questions étaient peut-être aussi venues s’aligner sous mes yeux à la lecture de Télérama. Claire Denis, la cinéaste y disait : «Le contrôle, ça n’est pas mon problème. Ils sont nombreux, dans notre société, à s’en occuper tout le temps. Ce qui m’intéresse dans le travail de cinéaste n’est sûrement pas la maitrise, mais plutôt l’idée d’être au front où tout est incertain, où le monde est mouvant… »
*
Il est bon de se rallier à ces blocs de langage distillés par gens connus et Inconnus, bon de sentir notre Solitude arrimée au Lien social, bon de trouver écho, de s’y appuyer, de faire étape aux bornes des Humains.
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