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En juillet 1991, Armand Gatti présentait Ces Empereurs aux ombrelles trouées, au Festival d’Avignon. La création du spectacle se fit avec des habitants des quartiers périphériques, particulièrement avec des jeunes en réinsertion. Armand Gatti en parla dans cet entretien qu’il fit au Magazine Littéraire. Deux ans auparavant, paraissait La Lettre aux Acteurs de Valère Novarina que chacun trouvera en entier dans le volume Le Théâtre des Paroles.
Juillet 1991 : Armand Gatti s’entretient avec Michel Seonnet du Magazine Littéraire. L’homme de théâtre parle théâtre, idéologie et des «loulous» de banlieue à qui il confia ses mots. Extraits.
«S’adresser au public ! Quelle bassesse ! Qu’est-ce que c’est le public ? Des gens qui viennent acheter leur place ? Ca ne veut rien dire «le public». C’est une abstraction totale. Paul, Pierre, je comprends. Mais «le public»…
«Le poème, c’est la seule justification du théâtre. Des êtres humains porteurs de parole. Qui s’emparent de la parole. Si on enlève ça, qu’est-ce qu’il reste ? De la production ? La billetterie ?»
«Lorsque vous rompez le Pacte, il ne faut pas attendre de reconnaissance. Lorsque vous refusez le langage du théâtre tel qu’il se pratique, son idéologie, vous ne pouvez que vous écarter, et être écarté. Je ne dis pas «sortir du système». C’est autre chose. Pour monter une pièce, il faut quand même trouver de l’argent (…) N’empêche que du point de vue de l’idéologie, du point de vue des éléments même qui constituent ce théâtre : c’est en dehors ; les loulous, c’est en dehors…»
«Exprimez-vous les gars ! Allez-y !» : ça ne veut rien dire. Ils n’ont rien pour s’exprimer. Ils ne sont pas préparés. Il faut les amener sur les lieux de l’écriture. Avec toutes les interrogations que cela comporte. L’écriture, c’est aux antipodes du laxisme. Dire «allez-y, exprimez-vous», c’est se condamner – et les condamner – à une absence de grammaire totale. Ce qui compte, c’est l’aventure de l’écriture, qu’ils tentent cette aventure. Et pour qu’il y ait écriture, il faut qu’il y ait le poète. Il faut que le poète parle en tant que poète et que les autres reconnaissent leur propre voix dans la parole du poète». [Photos de Jérôme Siran]
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J’avais déjà écrit un billet ici même pour dire toute mon admiration pour Valère Novarina. Dans le fatras de mes paperolles, j’ai retrouvé un entretien de cet étonnant homme de théâtre avec Philippe Di Meo :
«Dans la phrase écrite, toute l’énergie vient de la ponctuation : on ponctue comme on souffle ; là est la marque, là est l’aveu, la maladie propre à un seul. Chaque écrivain a son empreinte digitale respiratoire, unique, partout présente… Prenez la phrase de Pascal : «Travailler pour l’incertain ; aller sur la mer ; passer sur une planche», ce sont ces points-virgules qui sont magnifiques, qui donnent le bond, le risque, le bondissement, l’incertain respiré (…) Ce n’est pas simplement la parole qui est respirée, ruthmée, ponctuée ; c’est notre pensée elle-même qui va comme ça. En soufflant, par bouffées, par ouverture et asphyxie. La pensée respire. Elle brule sans cesse. Pas de repos pour nous».
Pour compléter cet entretien, je retranscris ici les dernières lignes de cette magnifique Lettre aux Acteurs que toute personne voulant monter sur les planches devrait avoir apprise par cœur. Elle a été écrite en novembre-décembre 1973, pendant les répétitions de L’Atelier volant, à l’intention des comédiens qui ont créé cette pièce en janvier 1974, dans une mise en scène de Jean-Pierre Sarrazac.
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«Faut des acteurs d’intensité, pas des acteurs d’intention. Mettre son corps au travail. Et d’abord, matérialistement, renifler, mâcher, respirer le texte. C’est en partant des lettres, en butant sur les consonnes, en soufflant les voyelles, en mâchant, en mâchant ça fort, qu’on trouve comment ça se respire et comment c’est rythmé. Semble même que c’est en se dépensant violemment dans le texte, en y perdant souffle, qu’on trouve son rythme et sa respiration. Lecture profonde, toujours plus basse, plus proche du fond. Tuer, exténuer son corps premier pour trouver l’autre corps, autre respiration, autre économie – qui doit jouer. Le texte pour l’acteur une nourriture, un corps. Chercher la musculature de c’vieux cadavre imprimé, ses mouvements possibles, par où il veut bouger : le voir p’tit à p’tit s’ranimer quand on lui souffle dedans, refaire l’acte de faire le texte, le ré-écrire avec son corps ».
Voir Sara Forestier sur scène dans « Confession d’une Jeune Fille » le premier texte écrit par Proust: la limpidité du texte,inoubliable!