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1968. Il y eut le Mouvement du 22 mars. Mais souvenons-nous aussi du Geste du 16 octobre.
Ce 16 Octobre 1968 : une belle journée s’achève à l’Estadio Olimpico de Mexico. On découvre le cran d’une petite française nommée Colette Besson, vainqueur-surprise du 400 mètres féminin. Les nuages s’amoncèlent dans le stade ; l’orage ne va pas tarder à gronder : c’est bientôt le départ d’un 200 mètres historique.
Acte 1 : Au départ du 200 mètres, tous les yeux ( et les caméras TV) sont braqués sur les athlètes de couleur, John Wesley Carlos, Tommie Smith, sur l’australien Peter Norman et sur le trinitéen Roberts. Au bout d’une magnifique ligne droite, Tommie Smith, bras grand-ouverts 20 mètres avant le fil, gagnera en établissant un nouveau record du monde : 19 secondes et 8 dixièmes.
Acte 2 : Une demi-heure plus tard, les trompettes sonnent pour la cérémonie protocolaire de ce même deux cents mètres. Dans le couloir d’attente, Tommie Smith et Carlos (troisième) s’approchent de Peter Norman. Smith lui demande :
– Crois-tu aux Droits de l’homme ?
– Oui, je crois. – Et en Dieu ?
– Oui, de tout mon cœur.
Aussi, lui faisant confiance, les deux noirs américains lui expliquent leur plan :
– Dites-moi ce qu’il convient de faire et je le ferai, ajouta Norman qui participera à cette protestation en arborant sur sa veste de survêtement un badge où est inscrit : « Un projet olympique pour les Droits de l’homme ». C’est lui qui a l’idée de la paire de gants en cuir noir, lui qui ira se les procurer et les donner à ses deux comparses. Sur le podium, la main droite en poing levé sera utilisée par Tommie Smith et la gauche par Carlos, médaillé de bronze.
Acte 3 : Avec ce seul geste et à vingt-trois ans, Tommie Smith va sceller son entrée dans l’histoire. Tête baissée, le vainqueur du 200 mètres des JO de 68 lève son poing ganté de noir dans le ciel orageux de Mexico pour dénoncer le racisme US. Le foulard autour de son cou rappelle les lynchages sudistes, les chaussettes noires sans chaussures symbolisent la pauvreté des conditions du peuple noir et le rameau d’olivier, la paix. Tout ceci durant l’Hymne national américain, sous le regard des télévisions du Monde entier et sous les huées des spectateurs. Tommie Smith se souvient : « Lorsque je suis descendu du podium du 200 mètres, on me hurlait : « Sale nègre, tu vas mourir à 14 heures demain ! » Il répliqua : « Nous ne sommes pas les braves garçons, ni de braves animaux que l’on récompense avec des cacahuètes. Si vous ne vous intéressez pas à ce que les Noirs pensent en temps normal, ne venez pas voir les Noirs courir en public… » et encore : « L’Amérique blanche ne nous reconnaît que comme champions… »
Acte 4 : Le président du CIO, Avery Brundage, déclare qu’une protestation concernant la politique intérieure d’un pays n’a pas sa place au sein d’un évènement apolitique tel que le sont les J.O. Il ordonne que Smith et Carlos soient suspendus de l’équipe américaine et bannis du village olympique. Déjà en 1935, ce même Avery Brundage déclarait à ceux qui prétendaient boycotter les Jeux de Berlin : « Les Juifs doivent comprendre qu’ils ne peuvent utiliser les Jeux pour boycotter les nazis » ! C’est qu’il les connaissait, les Juifs, ce M. Brundage. Au point de leur avoir interdit l’entrée du Country Club qu’il présidait à Santa Barbara. Ainsi qu’aux Nègres, bien entendu…
Acte 5 : Ce qu’on sait moins, c’est que depuis cet instant, et à cause des pressions et diktats des comités olympiques américains et australiens, ces trois athlètes ont été obligés de mettre fin à leur carrière. « Quand je suis rentré de Mexico, dira Tommie Smith, j’ai été considéré comme un pestiféré. Il n’y avait personne pour m’attendre à l’aéroport. Les gens me fuyaient. Ils avaient peur d’être vus en ma compagnie. J’avais vingt-trois ans et j’ai eu beaucoup de difficultés pour trouver un travail ». Tommie Smith et John Carlos recevront des menaces de mort contre eux et leur famille. Le CIA et le FBI les poursuivront sans relâche. La femme de Carlos se suicidera. Tommie Smith passera néanmoins une maitrise de sociologie. Exclu à vie des J.O., il jouera pendant trois ans pour l’équipe de football américain, les Bengals de Cincinnati. Par la suite, il deviendra entraîneur des équipes de sprint du collège d’Oberlin dans l’Ohio puis de l’université de Santa Monica en Californie. Aujourd’hui représentant d’une grande marque de sport, il vit dans une villa de la banlieue d’Atlanta. Il explique ses motivations de l’époque. « Est-ce que je voulais m’engager ? Non, pas du tout. Par ce geste, je voulais simplement signifier mon envie de pouvoir suivre des études, fonder une famille, regarder la télé et mourir heureux. Comme tout le monde. » Alors que l’on se fixe souvent sur le poing levé, il décrypte deux autres éléments de sa pose : « Je me suis mis en chaussettes sur le podium pour symboliser la pauvreté des Noirs américains. Et ma tête baissée n’était pas un signe de défiance envers le drapeau américain, mais celui d’une prière. »
En France, en 2004, Saint-Ouen inaugurera un gymnase qui porte son nom. Le 17 mars 2007, en sa présence, La Courneuve fera de même avec sa nouvelle Maison des Sports. Un brin désabusé, il lâchera : « En 1968, à Mexico, lorsque j’ai levé le poing, c’était l’homme qui était au centre de mon projet, pas l’argent. Les temps ont changé ».
Epilogue :
Ces trois personnes, ces trois hommes d’exception, sont restés en contact durant trente-huit ans. Ils sont devenus et restés les meilleurs amis du monde. En 2006, à soixante-quatre ans, Peter Norman décède d’une crise cardiaque. Durant les obsèques qui ont lieu à Melbourne, le cercueil de l’athlète blanc est porté par… Tommie Smith et John Carlos.
C’était ça aussi l’esprit 68.
Savez-vous l’heure exacte du geste ?
@baptiste.
Je pense que la remise des médailles s’est faite le soir, bien après la tombée de la nuit. Il faisait noir et l’orage grondait. Mais je ne saurais dire l’heure exacte du poing levé.