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Pour le début du billet : voir première partie.
7. J’ai photographié ces Lecteurs aux extrêmes : hommes, femmes, enfants au bas de l’échelle comme hommes, femmes plus en hauteur sociale. Le désespoir ne gagnait jamais la partie. Dans la façon de poser du modèle, il y avait comme une volonté de reprendre un droit perdu, de reconquérir un droit de regard et de visée sur le monde, un droit, si ténu soit-il, si rapide, de lutte contre l’Obturation.
8. Dans ces photos, n’étaient pas uniquement mobilisés la tension et la rétention, la pupille et la rétine. Les opérations techniques – réglage, mise au point, cadrage – ne sont que des élans vitaux, des transferts d’énergie oculaire qui mettent en marche une vision du monde. Ces photos me remettaient sur d’autres rails, me déportaient vers d’autres rayons, sur d’autres étagères, vers d’autres murs.
9. Toute Photo est une histoire violente. Nous nous devons d’être en guerre contre nos Clichés : œil en visée et mauvais œil, lignes de mire, optiques sanglantes, violences à perte de vue, regards intimidants, tirs à vue dans tous les angles, sommations d’obéir au doigt et à l’œil. Aujourd’hui, un peu partout, il y a des troubles, des troubles de la vue et des regards troublés. Continuation interminable de la Nouvelle Guerre Optique. Drôle de guerre d’ailleurs avec pour armes : trafic de photos, manipulations et censures de certains Regards.
10. Un regard sur une seule photo peut suffire à la révision de nos anciennes visions. Tout s’y passe à la vitesse de la lumière ou à la vitesse de l’escargot, du Noir animal à la Balance des blancs. Dans nos vies, nous rêvons de changer continuellement de focale, de changer d’objectifs, de changer le fonds et l’arrière-fonds (cliché rêvé du Grand Soir ?)
11. Une photo : il n’est pas d’autre objet devant lequel être en arrêt signifie faire mouvement. La photo porte en elle ce paradoxe. Ce qui y est figé nous met en mouvement, ce qui part d’elle va et vient vers nous, opère des déplacements non seulement dans l’espace de nos réflexions mais dans les réflexions sur notre espace. La photo placée sous nos yeux se déporte sous d’autres cieux, se déplacent vers d’autres yeux. Bougés comme autant de cadeaux rendus au millième.
12. Entre ces temps de prises et de reprises de vue, la photo m’a changé, je suis devenu l’observateur observé, le photographe photographié comme pouvait l’être autrefois l’arroseur arrosé à vingt-cinq images secondes. Toutes ces photos me regardent. Les visages me regardent, les livres qu’ils portent me regardent. En plongée et contre-plongée, je suis saisi à mon tour, courant en tous sens, tombant dans les bacs, fixé, révélé, mouillé jusqu’au cou. Toutes ces prises m’ont appris quelque chose de ma présence au présent mais ne soyons pas trop fixé là-dessus. Restent pourtant le doute, l’incertitude, l’inquiétude, la Grande Inquiétude.
13. Il y a des titres sur les livres de mes Lecteurs, il y a des visages sur leurs noms, il y a des éclairs dans leur nuit, des flashes, des mots qui mettent en lumière, des livres qui rendent sombres, des livres, encore des livres et des tas de photos que je ne sais comment classer, des tas de photos qui me renvoient toujours au déclic, au déclencheur, au déclenchement de fictions.
Cette Fiction, par exemple.
14. Nous ne parlons jamais de la même chose devant la même photo. Nous nous demandons d’ailleurs la raison pour laquelle nous devons parler d’une photo, devant elle, sur elle. Dans la Solitude du regard, notre Monologue est infini. Dans le partage de la photo, il y a Dialogue qui s’instaure tout autour. Que nous soyons dans le regard solitaire ou solidaire, c’est le tohu-bohu : bougé inimaginable de nos mémoires.
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