Les Grands Oiseaux dans le Ciel.

Les Oiseaux bleu nuit

Le Don, le Contre-Don et aussi… la Douleur, l’Amour, l’Aide à son prochain : qu’est-ce donc au juste ?
L’histoire qui est arrivée à Liv Ullmann, et que rapporte ici BiBi, est exemplaire des malentendus, des écarts et des décalages qui font la richesse et la diversité du Monde, de notre Monde.

L’actrice suédoise d’Ingmar Bergman a raconté qu’un jour elle s’était retrouvée avec une délégation de l’Unesco quelque part en Éthiopie ou au Soudan, dans un endroit bien peu accessible. La population qui y vivait avait été avertie que les ambassadeurs de l’Unesco débarqueraient d’un grand Oiseau métallique. Seulement ce grand Oiseau ne pourrait se poser que si un espace de fortune était préalablement aménagé pour son atterrissage. Qu’à cela ne tienne, tous les hommes se mirent alors, avec des pierres et des morceaux de bois, avec leurs bras et leur courage, en devoir-express de défricher et de dégager cet espace afin de construire une piste d’atterrissage. Les travaux durèrent près de six mois. La piste achevée, ils s’assirent tout autour pour guetter l’arrivée du grand Oiseau de fer.
L’Oiseau apparut enfin dans le Ciel et se posa. Il fit un tour jusqu’au bout de la piste de bois et de pierres pour, finalement, revenir vers ce Comité d’accueil terrifié par ce spectacle surnaturel. L’Oiseau s’immobilisa et la porte s’ouvrit. Ils virent alors descendre un Ange blond aux yeux bleus, les bras chargés de chocolat et de cadeaux de toutes sortes. L’Ange, suivi par les représentants de l’Unesco, venait d’un autre monde et jamais on n’avait rien vu de semblable.
Leur tradition imposait à ce peuple d’offrir quelque chose  aux hôtes de passage. Mais qu’offrir quand on n’a rien ? Une femme s’est alors approchée de l’Ange blond – l’actrice Liv Ullmann – et lui a demandé si elle était mariée. L’Ange a tourné la tête à droite puis à gauche, signe qu’aucun homme ne l’avait encore prise pour femme. On lui a proposé alors de choisir un mari parmi les plus beaux jeunes gens du village…
BiBi se marre parce que l’histoire ne dit pas comment Liv Ullmann s’y est prise pour repartir… célibataire.

Cette histoire d’Oiseau s’est posée sur moi à l’arrivée du premier jour de printemps et, allez savoir pourquoi, me sont revenues en plein vol les deux phrases haut-perchées qui suivent, deux aphorismes descendus en piqué, droit sur mon écran. La première du Grand Léonardo Da Vinci, énigmatique Homme-à-tout-faire, inventant déjà la première fiction anticipée de ce Grand Oiseau métallique : « Le grand Oiseau prendra son premier Vol, remplissant l’Univers de stupeur ». Et la seconde, cette phrase-mésange, belle et simplissime envolée, signée Confucius : « Un arbre ne peut choisir les Oiseaux qui viennent s’y percher. Mais les Oiseaux, eux, peuvent choisir leur arbre».

Mais revenons sur Terre : m’est tombée entre les pattes, cette Etude et Poèmes intitulée « Le Courage des Oiseaux » (Editions Compact) d’un certain Patrick Laupin. Ce poète et écrivain lyonnais rapporte dans ce livre une forte et intense expérience d’écriture avec des enfants en échec scolaire. Patrick Laupin y parle de sa pratique de lecture et d’écriture sur une période d’une dizaine d’années avec des enfants (pré-adolescents, soit de 11 à 16 ans) étiquetés et stigmatisés, adolescents avec troubles du comportement associés, troubles de l’ordre de la névrose, de la mélancolie ou de la psychose.

Ces travaux peuvent se picorer, peuvent se déguster à petits coups de bec. Chacun peut sauter d’une mangeoire à une autre, d’un nid à l’autre, peut passer d’une analyse de Patrick Laupin aux textes produits par ses élèves. Cette lecture en pleins et déliés ne va pas de soi, elle est exigeante, elle éreinte, elle bouleverse, elle époustoufle, elle érode nos clichés. BiBi n’en donnera pas ici de résumé. C’est un livre qui mise sur l’intelligence et la sensibilité exacerbée du lecteur. C’est un livre qui ne s’adresse pas seulement aux enseignants, aux travailleurs sociaux, aux psychologues mais à tous ceux qui s’intéressent aux enfants, à tous ceux qui travaillent occasionnellement avec eux ou qui veulent simplement « entendre l’Essentiel venir frapper à la porte« .

La position de maître-accompagnateur n’est pas ici une position pédagogique classique de transmission de la connaissance. Patrick Laupin veut plutôt renouer des liens de confiance, de gratitude et d’estime possible de soi, veut prendre en considération – avec l’autre – l’existence de son espace psychique, de manière à ce que l’enfant puisse s’impliquer lui-même en son nom et se responsabiliser dans son acte (d’écrire). Ce long travail d’approche qui court sur plus de dix années d’expérience donne des résultats à vous foutre le cul par terre. Qu’on lise : « Les hirondelles s’envolent/ Elles sont belles et folles/ Amoureuses de la terre/Joyeuse avec la mer/Elles frôlent le sol/Touchent leur route/ Tombent dans l’eau/Comme un dur morceau/Leurs ailes sont fidèles/ Car leur chemin est encore loin. » Des arabesques saignantes et percutantes bien éloignées de ces Poètes aux gants blancs qui occupent nos écrans, qui remplissent nos magazines et nos magasins. Simples mots jetés qui en dix lignes envoient dans les cordes les Rodomontades de Gavalda, les Roucoulements d’un Pennac ou les Soupirs d’un Begbeider.
On est là dans un entre-deux : cette prose prodigieuse d’enfants au Capital scolaire et culturel proche du Néant vous redonne ce Courage qui n’appartient qu’aux Oiseaux. Et pour BiBi-Lecteur, c’est alors reparti pour un tour, pour un nouveau décollage, pour un étonnant départ ascensionnel, pour une nouvelle montée aux cimes et aux cirrus, voilà qu’on se redresse en pleine détresse, voilà qu’on fait ficelle pour s’envoler au plus vite et au plus haut, voilà qu’on veut repartir et s’élever au plus pressé, voilà qu’on rêve d’être ce grand oiseau qui déploie ses ailes et son zèle, voilà qu’on devient – le temps d’un battement d’aile – ce Volatile qui « remplit l’Univers de stupeur ».
 

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