Lectures croisées.

Jacq

BiBi fait son canevas : lectures croisées de deux livres sur Picasso. Le premier d’un fidèle ami de Pablo Picasso, Claude Roy (« L’Amour de la Peinture »), l’autre d’une proche, sa petite-fille, Marina qui parle de son « Grand-père » (Denoël). L’un porte le peintre aux nues, l’autre présente un peintre ne vivant que pour son art, sacrifiant presque toute une famille (de nombreuses fois composée et décomposée). Picasso, un mètre soixante, à qui on demandait ce qui lui aura manqué dans cette vie, dira : « Cinq centimètres ». BiBi fait l’hypothèse non vérifiée que ces centimètres manquants à la Toise décidèrent du destin Pablo Picasso à la Toile. Toute une vie pour dépasser Papa, Don José Ruiz Blasco, lui aussi peintre et professeur de dessin à l’école de Malaga. Taille : un mètre soixante-quatre. Le Papa sera plus grand – à jamais – de quatre centimètres mais le fiston fera tout pour être au-dessus et le dépasser. Tout : c’est-à-dire des tableaux à perte de vue, des céramiques, des dessins épurés, des esquisses, des portraits, des cahiers entiers. Une œuvre gigantesque pour être le Géant qui terrasse Papa-Dragon.

Curieux comme la phrase d’Olga, rapportée par Marina Picasso à son frère Pablito, pourrait correspondre silencieusement à Pablo Picasso se débattant avec ses élans œdipiens : «Pour l’instant, tu es le petit-fils du grand peintre mais, bientôt, tu seras le grand fils du petit peintre ». Dans le Roman familial des névrosés décrit par Freud, c’est le schéma classique inversé… Dès les huit ans de Pablo qui peignit à cet âge son premier tableau, Zeus aurait pu dire : « Pour l’instant, Pablo, tu es le petit fils en taille et en mesure de ton père, peintre important de Malaga, mais bientôt, par la démesure de ton œuvre future, tu deviendras le Grand fils du Petit peintre ».

Ah Œdipe, quand tu nous tiens !

Bibi trouve de plus très rigolo et très « humour picassé » que Pablo ait retenu le nom de sa Maman pour exister artistiquement. Exit le Papa. Et pour ce Picasso, il n’y aura pas d’autre chemin à emprunter que celui de combler les cinq centimètres manquants au tableau. Picasso aima une photographe (Dora Maar), une peintre (Françoise Gilot) ou encore des modèles (Jacqueline, Olga, Fernande) qui furent ses égéries et ses muses. Plutôt lucide, Marina Picasso : « Cette œuvre était son seul langage, sa seule vision du monde. Enfant déjà, il était enfermé dans un univers autistique (…). Personne n’avait accès à sa corrida. A son éternelle croisade. »

Grand et merveilleux peintre. Pour notre plus grand bonheur. Pour le plus grand malheur familial.

Mais que Picasso fût ce père indifférent à un fils qui se suicidera, fût un grand-père qui laissât ses petits-enfants sans le sou, un patriarche qui vît sans sourciller Dora Maar mourir dans la misère au milieu des toiles du maître et Marie-Thérèse Walter pendue dans son garage de Juan-les-Pins…. cela a l’air d’en surprendre beaucoup. Bibi, lui, se fout bien de savoir qui des Héritiers accusés de Loups ou des amis de Picasso (grosses pointures artistiques) a raison. C’est sur cette stupeur de certains admirateurs qu’il s’interroge. Beaucoup d’entre nous ( BiBi y compris) peuvent difficilement concevoir l’alliance du génie (ou du talent) avec une grave forme déficience de l’esprit ou avec d’insupportables conduites dans la vie réelle.

Encore aujourd’hui, on hausse les épaules devant les témoignages de la famille proche, les minimisant, les calomniant, les rejetant. Chacun vient juger selon ses sentiments, ses intuitions, ses caprices, réactions subjectives plus ou moins bien motivées. Ternir les gloires consacrées fait horreur à certains qui crient à la jalousie et à la mesquinerie des proches. D’autres se servent des témoignages pour rabaisser le travail inédit et révolutionnaire du Créateur. Ils crient d’autant plus au scandale qu’ils ne comprennent rien, rien de rien etc. D’autres encore, impressionnés, écrasés par les données de Grandeur, admettent les faux-pas dans les comportements mais disent que ce sont des choses minimes comparées au Sublime de l’Œuvre etc, etc.

Vaines querelles pour BiBi.

Il y a longtemps que BiBi ne suppose plus que l’Individu constitue un bloc entier, un bloc compact identifiable avec ses parties les plus avancées. BiBi rit aux éclats car il sait que la Vie inconsciente conserve en chacun de nous une forte proportion de préhistoire et d’arriération mentale. Celles-ci se lisent dans notre Quotidien, dans nos jugements à l’emporte-pièce, dans nos positions politiques aberrantes etc. Oui, il règne en chacun de nous cet égoïsme, cette part de sadisme, cette indifférence destructrice, ces aveuglements. Lorsqu’il s’agit d’une Grande Figure de Progrès et des Arts, on est étonné, déconcerté car, dans notre tradition intellectuelle et morale (malgré les découvertes freudiennes), le Génie est regardé comme facteur de Progrès. Même le Négatif chez la Grande Figure peut toujours être sauvé ou excusé. Ou alors – mais cela c’est kif-kif bourricot – on la déclasse, on la traîne plus bas que terre. Il est difficile d’admettre les vues arriérées et les archaïsmes chez les Génies. Par exemple, Voltaire et Shakespeare, Hegel et Voltaire antisémites (au contraire de Montaigne et Cervantès).

Et combien de Supporters pour sauver les fourvoiements de nos grands hommes ! Combien de jugements minimisant les aberrations du grand Céline, de Knut Hamsun, du délirant et génial Georg Groddeck. C’est cette attitude superstitieuse qu’il faut mettre à l’épreuve lorsque le Génie côtoie la méchanceté, la haine, le sadisme. Car l’Inconscient ne connaît ni Bien ni Mal ni sa Gauche ni sa Droite.

BiBi sait ce que chacun attend dans ces dernières lignes : une réponse carrée. Pas de bol : BiBi n’a pas de réponse. Il ne connaît que les Ellipses et les Questions bien rondes.

One Response to Lectures croisées.

  1. TARTARIN Jocelyne dit :

    Je ne sais qui se cache derrière Bibi, mais cela pourrait fort bien être écrit par bibi, c’est à dire moi-même.
    Comme vous, je ne comprends guère qu’on pardonne tout à certains, soit parce qu’ils ont du talent, soit parce que ce sont des personnages au-dessus des lois, les uns et les autres des intouchables.
    OUi, Picasso était un être malsain et destructeur ; oui, son « complexe d’échec » et d’infériorité (sa relation au père) est à l’origine de son oeuvre, de son besoin de réussir, de dépasser le père, artistiquement et matériellement. Une revanche à prendre.
    Un être sans coeur et sans morale.
    Si un individu « ordinaire » avait eu un tel comportement, avec tout ces morts autour de lui, nul doute qu’il aurait eu des ennuis, qu’il aurait été suspecté, ou déconsidéré.
    Mais voilà, à notre époque, peu importe la morale ; il suffit d’être célèbre, d’avoir une grande notoriété, et on refoule tout ce qu’on ne veut pas voir de la réalité…
    Aujourd’hui, en 2010, voilà qu’on met en examen cet électricien qui possède au moins 200 toiles de Picasso, qui lui aurait été donnée ; mais la famille ne l’entend pas de cette oreille ! Sans doute l’héritage n’était -il pas suffisant. Il leur faut encore ces 200 toiles, et chercher des ennuis à un type qui a eu le mérite justement de les garder ; alors que les oeuvres sont éparpillées dans le monde au gré des ventes.
    Quelle cupidité.

    Jocelyne Tartarin
    Astrologue

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