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Le chapitre 12 voit l’Adulte, travailleur social, se souvenir de Marvin, tête brûlée d’hier, racaille de notre Temps présent. Avec ses yeux, l’adulte, éducateur spécialisé consigne ses annotations sur le jeune fugueur dans ces Cahiers que les Professionnels du Social nomment « Cahiers de Liaison ». Sous les pieds de l’adulte qui note, on entend le bruit des roues sur les rails. Le train, ici, se fait accélérateur des pensées du travailleur social parti rechercher Marvin, fugueur aux fugues incompréhensibles.
Ces pensées, les voici condensées en un chapitre. Le douzième.
CHAPITRE 12.
Je lis tout : les notes inachevées, les affirmations péremptoires et les à peu-près, les sentes de recherches, les hypothèses devenues caduques, les projets abandonnés écrits sur Marvin, je relis tous ces mots jetés en urgence, ces phrases désabusées, je parcours attentivement le fouillis habituel de nos cahiers de liaison.
Je lis tout, en vrac :
« Curieux comme cet enfant a la bougeotte. Il monte dans les arbres de la cour, il est le premier à grimper au cerisier à la belle saison. Il fait des cabrioles, des pirouettes arrière mais lorsque je lui parle du club de gym, il hausse les épaules, il crache par terre. »
« Soirée difficile. Marvin rigole à table. Il se barbouille le visage de yaourt pour faire son intéressant. Mais foin de rire et de sourire, c’est une sorte de crispation jaune qui barre son visage. »
« Marvin s’est endormi en serrant son ours en peluche alors que je m’étais assis au bord de son lit pour lui parler. »
« Le désespoir dans ses yeux lors de la visite de sa mère ce samedi. Ne viens plus, M’man, implorait-il. Au départ de sa mère, il saute le mur et part en forêt. Revient une heure après, apaisé. »
« Marvin veut faire de la boxe pour, me dira t-il, casser la gueule à son père le jour où il sortira de prison. Le lendemain, il me persuadera que la boxe, c’est pour défendre ce même père contre les prisonniers qui lui font du mal.»
« Je lui rappelle les bons souvenirs qu’hier encore il me racontait. Après un court silence, il sera disert sur les bons moments partagés avec son père, surtout me dit-il les pique-niques à Conflans, surtout les traversées en forêt. Ses yeux s’allument lorsqu’il me dit que son père avait pris l’habitude de rapporter du petit bois lors de chaque sortie champêtre, qu’il avait désappris à se promener sans utilité. Il me dira encore : « Lorsqu’il était petit, mon père devait aller couper le bois, approvisionner et chauffer la maison familiale tous les jours de tous les hivers et de tous les printemps. Autrement c’était le nerf de bœuf, la trique de grand-père. »
« Marvin casse son poste de radio. Il ne donne que des mauvaises nouvelles, se justifie t-il. Pierre qui passe par là ironise : « Ouais, c’est parce qu’on parle pas de toi dedans ».
« Marvin dit au dessert qu’« une forêt noire, c’est un gâteau avec plein de sapins dessus ». L’a t-il dit avec sérieux ? Avec distance ? Avec humour ? Ô Forêt des signes, comme tu es noire ! »
« Je lui parle du Club des Randonneurs, il me rit au nez. Il me demande s’il existe un club de bûcherons. Je lui ris au nez mais j’ai tort. »
« Lecture du jour sur la préservation de la forêt. J’extrapole, je pars au large : des arbres, tu sais, Marvin, on en fait des planches puis de la pâte, puis du papier, puis des pages, puis des livres, oui des livres qui parlent de la forêt, de la vie de la forêt, des animaux de la forêt. Je suis maladroit dans mes explications. C’est le rôle des arbres de nous protéger etc, etc… Juste une éclaircie dans ces zones d’ombre : je promets de lui raconter un jour l’histoire de Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage. »
« En couchant Marvin, je le vois au fond de son lit comme au fond des bois. Pour son avenir scolaire : une orientation en menuiserie, non ?»
« Marvin a marché dans la forêt de M. avec obstination. Lorsque je le récupère, il me dit qu’il n’a rien fait, qu’il n’a pensé à rien, il a seulement observé les oiseaux, les mouvements des rongeurs, le déplacement des escargots. »
« Marvin a quitté le repas sans mon autorisation. Il s’est réfugié dans le bois de M. jusqu’à la tombée de la nuit. »
« Marvin est reparti en forêt alors que nous devions aller acheter des vêtements. Lorsque je lui dis que la forêt est l’endroit où la parole de l’homme n’existe pas, il me regarde, il me tance et se tait. »
J’avais rajouté, juste pour moi : « Comme Marvin, j’ai trouvé assez de forêt libre, j’ai trouvé des signes et du bambou, j’ai dégotté des branches d’arbres taillées en Y. Et dans la forêt, j’ai caché mes pensées compliquées, pareil à ces bêtes qu’on dit féroces, pareil à ces sangliers qui descendent en furie défendre leurs petits, pareil à ces lièvres qui passent leur courte vie à éviter de passer à la trappe et à la casserole. J’ai tu mes cris dans la nuit, à l’abri des fourrés, tout enroulé dans l’herbe humide ou encore perché si haut, à la cime des arbres noirs. »
« Magnifique Marvin ce matin, au saut du lit. Il me demande en bafouillant, oui, il bégaie, il trébuche dans les fourrés, il bute sur le mot : « C’est quoi l’arbre généo…logi…gênalogique ? »
« Marvin s’est fait casser la gueule pendant son escapade. Il porte des ecchymoses à la joue droite. Il me dit que deux clochards l’ont rançonné, lui ont appuyé le visage contre terre et qu’il a dû avaler du terreau. Mais je crois que ce sont des mensonges. Plus plausible, il a attendu des écoliers dans le bois et les a probablement dévalisés. Il avait deux billets de vingt euros dans ses poches. La bataille a dû être serrée. Les deux écoliers se sont manifestement défendus. »
« Marvin a encore dormi cette nuit dans les bois. Je l’ai retrouvé la main droite ensanglantée. Un renard me dit-il. Je soupçonne Marvin de vouloir éviter l’école et le travail d’écriture. Après les soins à l’hôpital, le Docteur confirme la version de Marvin. »
Le train s’enfonce à présent dans une forêt épaisse. Il ralentit l’allure. Les bruits des roues sur les rails s’espacent. Du regard, j’essaye de percer les branchages s’entrecroisant, je tente de deviner le bleu du ciel derrière le fouillis et les feuillus, je pousse mes yeux au-delà de la myriade de points blancs qui scintillent et qui piquassent le vert des arbres immenses.
Le train va bientôt perdre de la vitesse. Curieusement mes pensées épousent la décélération, elles vont tourner derechef au ralenti, elles vont suivre le mouvement au bruissement près, à la secousse près, au tremblement près.
C’est une voix nasillarde qui, dans un des haut-parleurs subtilement dissimulés, annonce l’entrée en gare. Le train s’ajuste le long du quai et s’y glisse avec sûreté. A l’extérieur, une voix crie à nouveau le nom de la gare et la bienvenue aux voyageurs. Son écho précède une dernière secousse.
Je n’ai pas bien compris, la gare est un nom à rallonge, Meudon-la-Forêt, Milly-la-Forêt, La Forêt-le-Roi, Fontenay-sous-Bois mais je suis dans l’erreur. Nous sommes certainement loin des feuillus de Marly, des arbres centenaires de Paris.
Car innombrables, innombrables sont les forêts.
merci, j’ai pas pu m’empêcher de le mettre sur mon blog