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Peu de gens parlent de son courage…
… du courage qu’il lui faut pour se taire devant TOUS (puisque désormais sa parole, consignée en main-courante, est devenue publique).
… du courage qu’il lui a fallu pour faire ces deux cent mètres entre la maison et le Commissariat du quartier.
Du courage, il lui en faudra encore et encore pour tenir bon devant le déferlement médiatico-politique, pour affronter ami(e)s et ennemi(e)s, pour subir probablement les réserves, les sous-entendus dans sa propre famille, les inimitiés dans sa belle famille qui parlera – elle en est sûre – d’un geste impardonnable.
Elle commence à percevoir que, du courage, il lui en faudra pour être tout simplement Céline, femme parmi les femmes, pour repousser l’image à vie d’avoir été celle qui a détruit son mari, celle qui a stoppé la carrière d’un politique prometteur. Et ce cirque autour d’elle n’est pas prêt de s’arrêter. Elle a déjà essuyé toutes sortes d’insultes publiques, un panel incroyable, des insultes avec doigt vengeur, elle a vu ces désapprobations silencieuses, tous ces regards, tous ces murmures, toute cette méchanceté inimaginable, surtout aux sorties d’école et – paraît-il – aussi sur les réseaux sociaux. Elle a déjà entendu Sorcière, Mégère, Souillasse, Balance, Salope, déjà entendu que, merde, il fallait régler ça en privé, et que, bordel, qu’avait-elle besoin d’aller voir les flics pour si peu.
Ils ne savent pas.
Ils ignorent le prix à payer en silence, ils sont dans cet autre monde où tout est nié de cette souffrance qui vous mine et qui vous consume intérieurement. Quoi ? Une gifle serait un simple mouvement d’humeur ? Toute cette histoire, ce serait trois-fois-rien ? Mais que savent-ils du poids d’une gifle balancée par un être qu’on aime, qu’on a aimé et à qui, en toute confiance, on a dit oui pour une vie commune ? Savent-ils seulement que ce cataclysme est pire qu’un coup de grisou, pire qu’un tsunami, qu’un tremblement de terre. Non, ils ne savent pas. Ils résument cette gifle reçue à une douleur physique, à une marque temporaire laissée sur le visage. Et puis, ce genre de choses, ça passe, ca s’oublie vite. Ils n’ont pas idée du poids indicible que pèse ce geste, d’un poids si profond qu’il pénètre dans les chairs, dans les fibres – à l’insu ou non. Ils ignorent que cette main lancée, elle la voit partout, tous les jours, en faisant son lit, en passant l’aspirateur, dans les rayons de Carrefour, aux premières pages du livre qu’elle vient d’ouvrir.
Lors de ses passages télévisés, elle regardait ses mains, elle n’écoutait plus ce qu’il disait, ce qu’il répondait avec ce calme impressionnant qui fait l’admiration de chacun – même hors de leur camp politique. Elle devinait ses mains à plat (celle de droite) sur le pupitre, elle pouvait presque admirer ses justes réparties, sa finesse politique (qu’elle partage) mais pour le reste, en ce qui la concerne, personne ne peut imaginer quelle force il lui a fallu pour repousser la fatigue qui la mortifiait, quelle énergie il a fallu engager pour continuer à jouer son rôle dans la Comédie sociale. Ah cette obligation de paraître digne et parfaite en tous points ! Il n’y a pas que chez les riches qu’on est astreint à tenir son rang. Tenir son rang ? Céline a compris ce que cela veut dire : se taire, se terrer, ne rien laisser paraître. Il y a une semaine encore, accompagnant X à l’école, son amie Josie s’est exclamé « Tu as une mine superbe » alors que son cœur faisait naufrage. L’épouse doit rester à la place assignée de tous temps, de toutes les sociétés, à cette place du retrait, du visage apaisé ou de l’invisibilité.
De plus, il lui a été impossible de trouver une porte ouverte pour s’épancher, se plaindre, dire sa peine, la déposer en toute confiance, impossible de trouver un interstice vivable pour se délester un peu de son effroi, pour partager la dévastation qui a suivi la gifle… geste dont elle ne l’aurait jamais cru capable. Quelle instance pour accueillir sa parole ? Qui dans le Mouvement d’Insoumission pour accepter qu’elle fasse valoir la vérité de cette violence ? Qui pour lui venir en aide ? Où trouver cet espace-là ? Depuis la gifle, personne ne le sait plus qu’elle : tout a changé, absolument tout. C’est que depuis, il est devenu l’homme politique en pleine ascension, le premier et le préféré dans la filiation politique. Se plaindre. Dire la vérité : sacrilège.
Que deviendra le Mouvement ? Elle n’en sait rien mais elle ne regrette rien. Ses amis qui lui tournent le dos, elle s’en désole, elle en pleure mais elle reprend pied et ses insomnies ont quasiment disparu. Elle ne regrette rien. La brèche ouverte dans les têtes et le cœur des gens de Gauche ? Elle est là, elle ira s’élargissant mais, aux épreuves de la vie politique, de la vie tout court, le Futur (proche ou lointain) offrira toujours des solutions. Les espoirs déçus, les fuites en avant, les désertions, les réponses désolantes au plus haut point hiérarchique, les faveurs prioritaires au fils préféré et à la filiation 2027, ce n’est pas de son fait. Que chacun se débrouille avec ! Que chacune s’en arrange ou non !
Et… que la Police ait divulgué le contenu de ses propos, qu’elle les ait vendus au Canard Enchaîné, qu’il se soit agi d’un honteux secret professionnel bafoué… tout cela n’est pas sa priorité, n’est plus vraiment sa question. Il y a des citoyens et des citoyennes pour s’en emparer. Ses fibres à elle restent définitivement, tranquillement ancrées à Gauche. C’est son socle.
Elle a relevé la tête. Le soir, elle pleure toujours un peu avant de trouver le sommeil.
Mais les matins, elle ne joue plus le même rôle dans la Comédie sociale généralisée. Elle relève les manches, elle n’attend rien. Elle plie mais ne rompt pas.
Et elle marche. Elle s’arrête puis repart.
Elle tient, elle tiendra bon.
Merci pour ce texte.
Merci infiniment.
Merci pour Céline.
Merci pour nous, les militantes et militants des journées d’espoirs fous et des soirées d’infinie tristesse.