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Il est toujours très chic/facile d’asséner des généralités sur l’homme. Cela reste très peu discuté lorsqu’on assimile l’Humain à la saloperie. Il y a accord quasi-général à le présenter tel. Ce que l’on remarque moins c’est que, d’emblée, à le dire, cela situe l’Énonciateur aux antipodes de la Saloperie. Ce dernier en devient aussitôt probe, propre, nickel, incontestable. Il l’est au nom de ce principe qui dit que celui qui dit que l’homme est une saloperie, dit surtout «moi je peux en être un mais, comme je n’hésite pas à le dire, cela me dédouane. Du coup, je ne ne fais pas partie de la race de ces immondes salauds». (J’espère que vous m’avez suivi).
Examinons encore plus avant. L’homme qui commet un meurtre est généralement et à jamais déclaré/catégorisé/figé en meurtrier. L’homme qui dit des insanités racistes est désormais un raciste. Définitivement. Et comme le chante Georges Brassens, «quand on est con, on est con». Oui, à jamais. Et tout nous prouve que c’est vrai. Il y aura toujours un ami dans notre entourage pour rapporter que Monsieur Machin – qui est mort depuis – a gueulé contre les Arabes jusqu’à son dernier jour, a été collabo sans jamais renier ses positions, qu’il a toujours été UDR puis UNR puis RPR puis UMP puis LR et qu’il n’aurait pas fallu aller le chercher car on aurait su de suite qu’il ne fallait pas le chatouiller. Des cons donc, des cons qui auront été cons toute leur vie. Qui n’en connaît pas ? Ils pullulent dans nos cages d’escalier, dans les réunions de parents d’élèves ou de copropriétaires, dans les fêtes foraines, sur les parvis de l’église, chez les électeurs FN. Quand on est con, on est con : qui oserait contester, aller contre cette opinion basique indiscutable et indiscutée ?
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Et pourtant. Pourtant, à penser ainsi, on s’interdit de penser autrement.
Et qu’est-ce «penser autrement» ? Ce serait peut-être reconnaître qu’un meurtrier n’est meurtrier que par le geste meurtrier qu’il a commis, qu’un raciste n’est raciste que par la parole infâme qu’il a éructée. Pas plus. Pas moins.
Hélas, c’est à ce stade précis qu’on voit arriver toutes sortes de gens (amis & ennemis) pour vous étriper : «Comment ? Quoi ? Tu les excuses ? Tu leur pardonnes ? Tu… Tu…». Ce qui reste, hélas, profondément humain, c’est la vitesse supersonique avec laquelle un homme peut catégoriser un autre homme : tout ça se met en place à une vitesse incroyable. Le meurtrier ? Un salaud sur toute la ligne. Comment peut-on ? Cet enfant qu’il a dépecé ! Cette femme qu’il a violée puis découpée en morceaux ! Et ce raciste ? Un monstre. Sauf… sauf que c’est un… homme (plus rarement une femme). C’est un homme et à ce titre, un homme, c’est comme vous et comme moi. Et c’est alors à ce moment-là, que tout se complique, que tout peut devenir explosif et insupportable. Hein ? Quoi ? Moi meurtrier ? Moi, raciste ? On n’est pas celui-là, on ne peut pas l’être, nous, on se compte parmi les bons vivants. On n’est pas de la racaille assassinant femmes et enfants. On ne tire pas dans le tas. On… on…
Il y aurait donc eux et moi. Eux les assassins (on dit «terroristes») et toi, moi, habitués de Twitter, lecteurs et lectrices de blogs, tous innocents. Nous les Innocents, nous avons été un peu mal aimés, mais bon an, mal an, on n’a jamais été jusqu’à ces épouvantables extrémités. On a traversé des dures épreuves, on a surmonté des catastrophes mais merde, on n’a jamais assassiné. Oui, bien sur. Et pourtant.
Et pourtant, sur ce fil funambulesque, qu’est-ce qui me pousse à me demander : qu’est-ce qui nous lie, lui et moi, et lui et toi, et lui et vous ? Qu’est-ce qui me lie à lui ?
Là encore les livres, la Voix des autres, nous font un signe pour comprendre, expliquer, démêler l’écheveau. Ici, ce sera Pierre Legendre dans son petit livre («La fabrique de l’Homme Occidental») :« A chaque crime, à chaque meurtre, nous sommes touchés au plus intime, au plus secret, au plus obscur de nous-mêmes : un bref instant, nous savons que nous pourrions être celui-là, le naufragé, un meurtrier. A chaque crime, à chaque meurtre commis, il nous faut réapprendre l’interdit de tuer».
ton titre m’a renvoyé en écho à un poème de Lucien Jacques, méconnu, que j’affectionne tout particulièrement :
Je crois en l’homme, cette ordure,
Je crois en l’homme , ce fumier, ce sable mouvant, cette eau morte.
Je crois en l’homme, ce tordu, cette vessie de vanité.
Je crois en l’homme, cette pommade,
Ce grelot, cette plume au vent, ce boute-feu, ce fouille- merde.
Je crois en l’homme, ce lèche sang.
Malgré tout ce qu’il a pu faire de mortel et d’irréparable.
Je crois en lui
Pour la sûreté de sa main, Pour son goût de la liberté,
Pour le jeu de sa fantaisie.
Pour son vertige devant l’étoile,
Je crois en lui pour le sel de son amitié,
Pour l’eau de ses yeux, pour son rire,
Pour son élan et ses faiblesses.
Je crois à tout jamais en lui
Pour une main qui s’est tendue, pour un regard qui s’est offert.
Et puis surtout et avant tout
Pour le simple accueil d’un berger.
Lucien Jacques
[…] juillet 1932, las des crises à répétitions, les allemands ont donné les clefs du pays au NSDAP (le parti nazi) qui ne les a plus lâché jusqu’à la fin que l’on connaît tous. […]
Je vous félicite dans votre envie de nuancer les assertions faciles vitupérant contre l’Humanité. En revanche, il me semble tout-à-fait salutaire d’être conscient que l’homme est un prédateur belliqueux, comme d’autres primates tels que le chimpanzé qui est territorial et est habitué aux conflits les plus violents (à présent par mimétisme devant l’homo sapiens, selon les zoologues). Ce qui me gêne au-delà de tout, sont ces gens antihumanistes qui se croient supérieurs. Souvent des intellectuels d’ailleurs, qui se croient au-dessus de la populace, quand ils en sont la quintessence. Là il y a un vrai problème de bêtise et de prétention. Je crois que si l’on fait un portrait antihumaniste, la moindre des choses est de s’inclure dans le lot, ou du moins, regretter jusqu’à un certain point de ressembler aux autres membres de cette espèce.
Comme tu l’écris, il ne faut pas s’interdire de penser donc de s’instruire. Les « Voies des Autres » ne manquent pas.
« L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident » d’Edward Saïd
« L’Europe et le mythe de l’Occident : La construction d’une histoire » par Georges Corm
« Connaitre notre ignorance » sur le site:
http://jeanzin.fr/2015/07/26/anthropolitique/