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DISCOURS TOUT AUTOUR.
Auparavant, je soulignerais les discours qui ont gravité autour de ce film unanimement salué (à Cannes et ailleurs). Ce long métrage nous montre Thierry, chômeur cinquantenaire, marié, père d’un adolescent handicapé, propriétaire d’un appartement dont il n’a pas encore fini de payer les traites et d’un mobile-home qu’il veut vendre (Bouh, quelle scène interminable). Thierry pointe à Pôle-Emploi avant de trouver un poste de vigile dans une grande surface.
Ce qui est frappant dans les commentaires qui entourent le film, c’est le mal qu’ont les critiques à caractériser la société (ca-pi-ta-liste) dans laquelle Thierry vit (essaye de vivre) : la nôtre. «Capitaliste» : nous sommes quasiment toujours dans l’évitement du mot.
Lisons Corinne Pelluchon dans Libération : «Nous sommes en présence d’un système que nous pouvons, faute de mieux, appeler «capitalisme», à condition d’ajouter qu’il ne se caractérise pas exclusivement par le fait que le profit ou la loi du marché règnent en maîtres». Un «faute de mieux» qui ringardise implicitement ceux qui l’utiliseraient sans correctifs !
Pour La Tribune, il s’agit d’un «film cinglant sur la brutalité du monde du travail». Le monde du travail, bien vague dénomination, doux euphémisme sur notre Monde, non ? Allez, hop, «monde du travail», et hop, c’est emballé, pesé. Le Capital ? Le Travail ? Nous, on fait de la critique de cinéma, hein ? Pas de la politique.
Challenges parle des «incohérences du monde du travail». Evidemment, on n’attendra rien d’autre de ce journal patronal.
Ailleurs, dans LePlus, ce qui est privilégié, c’est l’expérience personnelle. On fait alors appel au témoignage direct. «La loi du marché : comme Vincent Lindon, je suis vigile. Je dois fliquer mes collègues».
L’Express de son côté fait dans le commentaire «neutre», caractérisant le film de «fiction sociale». Point barre.
Au hasard de la lecture des blogs, on parle des «conséquences désastreuses de la nouvelle barbarie économique».
Résultat des affaires : «Le cinéma français se porte bien, merci». (La Tribune.fr).
LOUANGES ET CRIS IDOLÂTRES.
On remplit de pleines pages avec des louanges de l’acteur («Impressionnant en chômeur confronté à un dilemme moral»). Louanges et cris idolâtres d’un côté / dénonciation du Capital mise sous silence de l’autre. On peut hausser les épaules sur ce rapport tu. Mais pardonnez-moi de mettre le doigt dessus : c’est par la grandeur de l’un qu’on minimise (ou qu’on détourne de) la brutalité de l’autre.
Sur BFM, par exemple, «Lindon est bestial dans le film».
Sur TF1 News : «Selon notre spécialiste cinéma, David Verhaeghe, pour l’acteur c’est «plus qu’un simple film, un acte politique». Bigre ! Bouygues en serait-il tombé de sa chaise ?
Chez le brun Français de Souche, on loue «ce héros de notre (triste) temps». Etc.Etc.
DISCOURS-BIBI SUR LE DEDANS.
De la gêne en plusieurs points :
1. L’admiration voire l’idolâtrie de Stéphane Brizé pour Vincent Lindon (son ami hors-champ aussi) le pousse – cinématographiquement – à remplir son film avec du Lindon dans tous les plans. Brizé refuse de donner sa chance aux personnages «secondaires» malgré la louable intention qu’il a eu – Directeur d’un Pôle-Emploi Cinéma ? – d’embaucher des non-professionnels. La femme de Thierry par exemple ne pipe pas mot de tout le film. Du coup, toute une partie de l’intime (le couple avec aléas, difficultés, bonheur conjugal, dissensions, clashs) passe à l’as alors qu’une telle direction aurait pu étoffer le film. Dans la même veine, Brizé choisit de «montrer» les seuls rapports familiaux avec la présence d’un fils handicapé qui s’exprime mal, qu’on comprend mal avec des scènes fichtrement mal emballées.
2. Brizé filme avec des vues par bribes sur les voleurs (petit vieux, la femme qui se suicidera, la jeune femme noire), des plans rapides sur les ex-collègues ou sur le nouveau personnel (sauf sur le Directeur du supermarché et du DRH dans leurs discours de récitants). Bref, le rôle de chaque non-professionnel est quasi-inexistant. Qu’en tirer comme conclusion ? Peut-être que ce cinéaste croit à cette douce illusion que «les images peuvent parler d’elles-mêmes» ? Comme lors de cette scène finale où Lindon s’en va, tourne le dos à son boulot sans piper mot. Illusion là aussi de tout dire dans ce geste : courage, ténacité, dignité etc. Alors que cette séquence peut dire tout à fait son contraire pour moi: vision individualiste, désespérance petite-bourgeoise, abandon du sens collectif de protestation, impasse politique etc.
3. Un mot sur le jeu de Vincent Lindon (un acteur vu dans d’autres fictions) : il est filmé en gros plans, en plans moyens, de dos, de trois-quarts, de profil droit, de profil gauche, hésitant (guère souriant, pas vraiment en colère), il tient le rôle demandé. Avec cette impression que cet acteur ne sortira plus de «celui-qui-fait-la-gueule», qu’il ne fera que rejouer dans le futur des personnages avec des «airs de chien battu». Brizé nous enferme avec son héros, nous jette dans ses bras, éliminant toute distance critique. Petit aparté : j’attendrais que Vincent Lindon me fasse – un jour, un film – rire aux éclats avant de le classer dans mon Panthéon.
4. Cette attention de groupie de Brizé pour son acteur-fétiche est évidemment signifiante pour moi. Et là, hélas, on ne rigole pas. Cette «admiration» hors-normes vient dire la prise de position du réalisateur : cette adoration/amitié vient redoubler l’éloge de l’individualisme sous couvert de faire l’éloge du courage individuel. De là, mon malaise quand Brizé confond les deux.
Écoutons Lindon durant le seul moment où le héros s’explique avec Xavier Mathieu (ex-Conti). Que lui dit-il ? «Cela ne sert à rien de continuer à se battre». Bien entendu, on comprend la fatigue de Thierry (il a beaucoup donné donc ne peut être taxé de dégonflé) mais Brizé choisit là son camp : foin des luttes, nous dit le réalisateur, elles sont perdues d’avance, foin de la solidarité, on est dans un monde nouveau et moi, Stéphane Brizé, j’opte pour le renoncement, je choisis la «Solitude» face au Monde, toutes attitudes individualistes dont le Patronat raffole.
La prise de position de Brizé est particulièrement lisible lorsqu’il parle de son empathie pour ces acteurs non-professionnels. Vis-à-vis de ses acteurs d’un jour, le réalisateur ménage chèvre et chou, distribue bons points à tous, acteurs, non-acteurs : «Je doute qu’ils sachent faire ce que des acteurs font mais ce qu’ils font, je pense qu’aucun acteur n’est capable de le faire». Dans le Monde de Brizé, on montre la servitude mais on ne nomme pas le système capitaliste qui la crée. Et on peut arriver à la conclusion bien peu concluante qu’il faudrait prendre le Monde tel qu’il est, avec ses sacrifiés christiques broyés par une Machine innommable.
Le capitalisme, c’est tellement caca qu’on demande aux enfants de ne pas dire ce mot.
Bon, je pensais aller voir ce film mais puisque tu me dis d’économiser mes sous pour autre chose de plus intéressant…
@Partageux
Ah non, je ne t’incite pas à ne pas aller le voir. Au contraire. Bien au contraire.
Toujours très sain de se confronter à des films qui vous « résistent », des films qui nous mettent à l’épreuve de répondre en quoi on est ou pas d’accord.
Salubrité personnelle.
Enfin, à la relecture, c’est vrai que je n’ai pas beaucoup insisté sur les « qualités » du film ( mais j’ai la flemme de faire un autre billet là-dessus).
Bibien à toi.
Bonjour,
Très intéressant. Enfin une voix discordante. Je n’ai pas (encore) vu le film. Mais l’évitement d’une analyse critique du capitalisme et le jeu caricatural de Vincent Lindon (ce qu’il fait en effet le mieux: les chiens battus, jusqu’aux yeux et aux oreilles) m’avaient été suggérés par les commentaires de la presse. Pas étonnant que Valls ait salué le film…
@poliproductions
Je pense qu’à me lire, certains pourraient croire qu’il faut faire ci, faire ça, qu’il faut faire oeuvre politique, réduisant ainsi l’oeuvre d’Art au slogan etc.
Loin de moi cette idée car je considère que l’oeuvre d’art a une autonomie relative vis à vis du politique et de l’économique. Chez Brizé le travail sur la forme, c’est des séquences longues où il prend son temps (interview d’embauche via Skype, visite du mobile-home, rendez-vous pour l’orientation du fils etc). Bon, pourquoi pas : ça veut prendre le contrepied dominant qui veut qu’on filme en clip et en zapping (pour montrer probablement le vide qui traverse le héros).
Mais même si cela n’est pas forcément une innovation, là-dessus, rien vraiment à dire contre.
Mes gênes sont ailleurs… principalement sur la superposition (et la confusion) du courage individuel avec un éloge (critiquable de mon point de vue) de l’individualisme.
Enfin, il faut aller voir le film.
Oui, je vais y aller. Tout à fait d’accord: le cinéma de propagande est insupportable (et de triste mémoire). Toutefois, et c’est je crois ce que vous dites, quand on aborde la loi du marché, oblitérer ses conditions économiques et politiques sous cet éloge, c’est pratiquement faire la propagande du système d’exploitation qu’elle commande.
Hélas, oui.
Bibi, il faut voir ce film et lire surtout ce chapitre remarquable sur la formation de la Cité par projets (dans Le nouvel esprit du capitalisme) parce qu’il nous apprend beaucoup de choses justes sur notre monde d’aujourd’hui. La connaissance de la littérature du management m’a donné les moyens de résister aux discours de dirigeants qui ont essayé de me convertir au « toyotisme » et de me transformer en militant du capital (sans le nommer, bien sûr).
@RobertSpire
Tu n’as pas été sans remarquer que la photo qui ouvre mon billet est la couverture de ce très très grand livre d’Eve Chiapello et Luc Boltanski « Le Nouvel Esprit du Capitalisme » chez Gallimard qui reste mon livre de chevet et dont le chapitre sur La Cité par projets est essentiel.
Essentielles aussi les transformations admirablement décrites par les auteurs.
Je me demande d’ailleurs comment on peut avoir des idées précises sur notre Monde contemporain sans passer par ce livre.
Bien à toi.
Effectivement j’ai vu la photo, et il faut souligner que ce livre est important car il donne des outils de défense. Il faut dire qu’il est surtout une théorie de la récupération qui nous explique comment le capitalisme survit à ses critiques. En cela il est passionnant parce qu’il éclaire les faits économiques des 50 dernières années avec la dégradation des protections sociales, avec les évolutions des discours et modèles dominants. Par contre il ne propose rien comme alternative au productivisme capitaliste.
Je suis bon public. Je n’avais pas remis les pieds au ciné depuis trois ans. Je n’ai pas ton œil cinématographique, il n’empêche que le film montre crûment le capitalisme dans toute son horreur.
La scène à Pôle emploi est terrible quand les « collègues » de Lindon le jugent avec la complicité du formateur. sur sa prestation vidéo. C’est une scène d’humiliation extraordinaire. De quoi casser un homme.
J’ai trouvé Lindon sobre dans son jeu, criant de vérité. Celle un peu plus soft de la banque n’est pas mal non plus quand la conseillère lui propose de vendre et de prendre une assurance vie.
Ce film montre combien le capitalisme est un système qui non seulement broie les travailleurs (autre mot démodé dans les médias), mais parvient à les diviser, voire à les déshumaniser (la convocation des deux collègues caissières est terrible).
Il est vrai que le film est centré sur Lindon. Mais, il permet de s’identifier à un personnage et se poser des questions qui dépassent le capitalisme : jusqu’où accepter l’exploitation, l’humiliation, et même la collaboration avec ce système quand tu n’as plus une thune et un gosse à élever ?
Des questions qui me rappellent la lecture de « La barbarie ordinaire, Music à Dachau » où Jean Clair fait une analogie entre capitalisme et nazisme avec le recours à une novlangue qui travestit la réalité.
@despasperdus
J’ai essayé de pêcher les discours autour du film et ton mot « capitalisme » est bien vite dit. Oui, je suis d’accord que le « film montre crûment le capitalisme dans toute son horreur ». Mais ça, c’est ton oeil de spectateur qui prend des positions. Stéphane Brizé ne le dit jamais : il pose des constats qu’on peut distordre de telle façon qu’on met en cause « le monde du travail » (notion bien vague et très vision petite-bourgeoise). De même l’humiliation de Vincent Lindon en stage (vidéo) : on peut finalement trouver dégueulass les personnes qui l’enfoncent (elles sont méchantes, pas sympa – vocabulaire psychologique). De même encore la dame de la banque dont on peut interpréter les positions comme » ah c’est une personne qui manque de psychologie, qui n’a pas de coeur ! » etc.
Là-dessus, points faibles de Stéphane Brizé et de son filmage qui s’accomode très bien des illusions « réformistes ».
C’est bien vague ton « il n’a plus une thune ». Non, il est dans la frange sociale qui peut basculer dans la misère la plus totale mais il est propriétaire, il peut se permettre d’aller en cours de danse, il trouve un boulot etc. Donc une certaine couche sociale pas vraiment à la rue mais evidemment en position de précarité et de souffrance sociale.
Donc pour me résumer, Stéphane Brizé en reste aux constats, traduit la détresse – sans paroles- récuse la position de la lutte, s’arc-boute sur une volonté de s’en sortir individuelle.
La fin du film : la fiction sauve le personnage. On salue le courage ( louable démonstration) mais c’est au prix d’évacuer le réel implacable. Car le plus dur commence pour le personnage de Thierry.Le pire est à venir. Stéphane Brizé s’arrête en chemin et croit mettre le spectateur de son côté. Mais le capitalisme ne laisse pas de répit. Il est implacable pour les gens qui s’isolent. Pour ma part, j’attends le film qui le montrera en images, en paroles et en situations.
Cette semaine, j’ai revu « Le Mariage de Maria Braun » (1973) de Fassbinder : impeccablement situé dans l’Allemagne après-guerre avec la cruauté du capitalisme, avec des personnages prisonnier du dispositif social et économique, l’implacabilité d’un système qui broie jusque dans l’intimité des personnages toute possibilité de joie, avec l’union d’une femme blanche et d’un militaire US noir…
Rajout de ce matin (1/06) :
Libération nouvelle formule met le film en Une. Avec ce commentaire : « …une société traversée par la crise ». « La crise » : tous les Medias dominants en parlent. La crise. La crise. Mais « la crise » est introuvable si elle n’est pas suivie de « …du capitalisme ». La crise du capitalisme. Mais pour en arriver à lire ça, à ce que ce sens soit majoritairement légitimé, il faudra encore quelques luttes d’envergure…
Je suis d’accord avec toi sur la thune, mais tu as compris ce que je voulais dire 😉
j’ai relu ton billet, et il me semble que tout en citant les médias que tu critiques à juste titre, tu as vu ce film à travers eux. Ils ont aimé ce film, mais l’ont-ils bien vu ou vu comme je l’ai vu ?
Je ne peux dire si le cinéaste est révolutionnaire ou pas ? Cela ne m’intéresse pas. L’œuvre ne lui appartient plus. j’avoue que je ne me suis même pas renseigné sur lui.
La dernière fois que je suis allé au ciné, c’était pour La part des anges. Je sais qui est Ken Loach, ses opinions politiques, ses combats, et pourtant, son film ne m’a pas paru porter un message révolutionnaire éclatant. On suit un jeune délinquant qui va finalement s’en sortir grâce à un don inné. Donc, happy end. Donc, le système capitaliste est finalement formidable, il donne à chacun sa chance, à chacun de s’en saisir ! On peut avoir cette analyse ou une autre diamétralement opposée qui loue Loach de montrer cette Angleterre post Thatcher et Blair où sévit la misère sociale. Louer aussi l’importance du social (même dévasté) car sans son éducateur et à sa conscience professionnelle, le jeune serait probablement resté dans la délinquance.
La loi du marché n’est pas non plus un film à thèse. Il montre juste un individu qui tente de s’en sortir, lui, sa femme, son gosse… Il montre combien ce système capitaliste peut contraindre un individu, pourtant intègre, digne, courageux et même militant, à faire des actes qui vont à l’encontre de sa conscience.
A mon sens, Brizé fait comme Loach. Il raconte une histoire simple en plaçant son personnage dans un contexte particulier. Il ne fait pas de démonstration lourdingue, il donne juste des clés et des éléments susceptibles d’amener les spectateurs à la réflexion, et de tirer leurs propres conclusions.
apparemment parisot n’a pas saisi les nuances du film de brizé : http://www.metronews.fr/culture/pour-laurence-parisot-la-loi-du-marche-avec-vincent-lindon-est-un-film-caricatural/moeE!0VdYjFCcDsxNg/
Par ailleurs, quand bien même le terme « capitalisme » serait-il prononcé, cela suffirait-il à définir ce que serait un socialisme souhaitable ? C’est à la limite une facilité que d’employer le terme capitalisme, comme un coup de chapeau à la gauche véritable.
@despasperdus
L’histoire est simple certes.
Mais la monter (en film), l’organiser, la montrer n’est pas si simple. Toute histoire a un sens, une multiplicité de sens ( à l’insu – comme tout créateur – de ce qu’a voulu S.Brizé).
Le fil conducteur reste pour moi à l’opposé de la vision des Medias (dominants) : j’y ai relevé une confusion entre courage individuel (c’est cela qui fait de cette histoire une histoire simple) et individualisme (c’est cela qui est – dès lors – plus complexe).
C’est cette confusion (centre du film pour moi, hein? Pour moi…) qu’humblement j’interroge. 🙂