LE DROIT A MOURIR DE RIRE.

Canard

Le Rire.

Voilà que je tombe sur les Dossiers du Canard Enchaîné qui s’ouvrent sur les nouveaux Rois du Rire. 

Bizarre de ne parler que de «Rois» : il n’y aurait donc pas de Reines pour nous faire rire avec l’intention délibérée de nous faire rire (nous = hommes et femmes) ? Pourtant ces femmes existent mais elles ont peut-être – moins que les hommes – cette envie de se mettre en scène. Leur rapport quotidien aux mots est déjà là, joyeux, ludique, si fort, si intense qu’elles ont moins besoin de raconter des histoires.

Certes, il y a des femmes qui font rire : Valérie Pécresse au visage fermé, Nadine Morano assujetti à son Maître Nicolas, Claire Chazal qui bafouille au Journal de 20 heures, mais c’est involontaire de leur côté, et c’est affaire de réception modulée du nôtre. Dans le paysage social et culturel, les femmes sont plutôt celles qui rient, celles que les hommes font rire. C’est Marilyn éclatant de rire qu’on pourrait mettre en modèle du genre.

Marylin

A la lecture du numéro spécial du Canard, on se rend compte à quel point le rire est devenu une marchandise. Tout sert, tout se recycle. On peut moquer qui on veut, on balance des vannes, ici, ailleurs, subtils jeux de mots savants ou traits d’Almanach Vermot. On rit partout, sur les écrans TV (Les Guignols, le Petit Journal de Canal Plus, Nicolas Canteloup, Laurent Gerra, Michel Drucker), sur les écrans Ciné (Christian Clavier, Dany Boon au Top ou encore Jean-Marie Bigard remplissant le Stade de France), sur le Net (Rémi Gaillard and Co). On rit partout mais une fois le rire éteint, on pleure, on se remet silencieusement au boulot (quand on en a un), on recommence à reconstituer douloureusement notre force de travail, on continue à jouer notre rôle d’Intermittent dans le Spectacle social. La Mort ou l’agonie sociale ne sont jamais loin du Rire.

Parfois, au contraire, tout explose : le rire du groupe envahit tout. Bienfaisant renouvellement du lien social. Bienfaisante que cette secousse de nos corps chavirés. Le rire est ininterrompu, éternel. Une extase groupale. Le rire en partouze ?

Rire-fem

Combien de gens qui ont le rire facile ! Toujours étonnant la façon qu’ils ont de ponctuer tout moment de dialogue par un éclat de rire (pas forcément feint). C’est peut-être cette étrangeté à l’entendre qui m’a fait me souvenir de cette phrase de Lautréamont («Je ris d’un rire qui ne rit pas»). C’est que le rire de l’autre – sans partage – vous met en retrait, vous exclut du Monde. Si j’avais à filmer un jour l’Enfant (que je fus), pas de doute, je le mettrais à part, au fond de cette pièce où des adultes mangent et rient de raconter leurs histoires d’adultes (de Q le plus souvent). L’Enfant serait dans ce coin, dents serrées, rictus étrange, rire rentré, inquiet, maudissant l’avenir que ces mêmes adultes lui préparent.

Noel

Et vous qu’est-ce qui vous fait rire ? Ce fut le titre d’un de mes anciens billets. Souvenir d’une rencontre et d’un dialogue avec l’ami GV.

Et vous qu’est-ce qui vous fait rire ? Voilà une chaîne qu’il faudrait lancer. On se rendrait compte qu’il y aurait une impossibilité de faire l’unanimité. Toujours l’autre dans son coin qui ferait la gueule et qui minerait l’ambiance.

A moins que.

A moins que Raymond Devos ne ressuscite. (Les grands comiques se meuvent dans la langue, somptueux sont leurs mouvements d’anguilles dans le bain langagier). Et s’il fallait donner ou rayer des noms, il faudrait écarter Lacan et ses jeux de mots tristounets, Freud peu rigolo dans son livre sur le Rire et son rapport à l’Inconscient. Il faudrait plutôt redonner corps à Pierre Repp ou à Darry Cowl. Allez les regarder, les écouter sur You Tube.

Devos

A moins aussi que la Vie ne vous offre des surprises totales, entières car le terreau du rire reste et restera la surprise, le lapsus, l’inattendu qui fait césure avec la linéarité (l’ennui) du Quotidien. Le rire naît et grandit dans l’imprévu et l’inouï… de ce rire qui facilite le transit intestinal, qui gomme la légère dépression post-coïtale, qui s’égale aux Puissances divines, qui fait pendant aux tremblements et aux secousses du séisme charnel et/ou amoureux. En y incluant la touche grave de la Mélancolie nietzschéenne, je verrais bien le rire du «Philosophe» pour s’en approcher le plus.

Pour finir, convoquons une nouvelle fois magnifiquement Raymond Devos :

«Les mets appelant les mots et les mots les mets… Les mots qui voulaient sortir se sont heurtés aux mets qui voulaient entrer… les convives ont commencé à mâcher leurs mots et à articuler leurs mets. Et il n’y eut plus que des éclats de « voie » digestive et des mots d’estomac. Ce fut à qui aurait le dernier rot».

Allez, allez, tous à table !

 

2 Responses to LE DROIT A MOURIR DE RIRE.

  1. Robert Spire dit :

    Le rire, nécessaire mais pas suffisant. En 1976 le poete Alain Jouffroy écrivait dans une lettre à Sollers:
    « Le rire de Chaplin devant Hitler était nécessaire, mais Hitler a été écrasé par des bombes, pas par des rires ».

    Aujourd’hui, face à Gaza il n’y a pas, il n’y a plus de Chaplin!

  2. Ce que je regrette c’est que les humoristes en vue sont fades, conventionnels. Aucun ne conteste les puissants comme pouvaient le faire un Coluche, de Luron ou Raynaud.

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