-
Bibi sur Facebook
Dernières Découvertes
Les Ami(e)s photographes
Les meilleurs Amis de BiBi
Poètes, Psycho, Socio, Musiko
1400 billets depuis que j’ai ouvert mon blog en mars 2008.
C’est presque par hasard que je suis tombé sur ce nombre. En relisant mon premier souhait de blogueur d’alors (mars 2008), j’ai été plutôt content d’avoir gardé toujours ce même désir (leurre nécessaire) dans mes billets: «que les Esclaves acceptent un peu moins leur servitude, que les Damnés de la Terre souscrivent un peu moins à leur propre domination sociale». (Pierre Bourdieu).
OK, applaudissez-moi sauf que… j’ai tort de ne m’en tenir qu’à ce désir particulier. Non qu’il soit faux (il est de première nécessité) mais il peut donner à penser que mes états d’âme n’auraient à être lus que dans un rapport d’extériorité avec le Monde. Bref que je me poserais en donneur de leçons.
Or, dans ce Monde, j’y suis. Et pas qu’un peu. J’y suis… et jusqu’au cou. Et je rajoute que vraiment vraiment je ne suis pas au clair en cette période troublée.
*
Ce vendredi, j’ai croisé le fer avec une groupie à 200% de Mélenchon et du Front de Gauche (FdG) sur Twitter. J’avais relevé deux de ses tweets qui mériteraient une plus longue discussion qu’en 140 caractères. Elle avait écrit :
1. «Tous les responsables FDG ont été patients à tout vous expliquer de long en large… C’est VOUS les fautifs qui ne faites pas l’effort» et
2. « «Réfléchir» chose que le peuple ne fait pas ! Le FDG a beau expliquer encore et encore, le peuple ne veut pas comprendre».
Cette analyse est souvent répétée jusque dans les rangs de cette Gauche (dont je partage généralement les principes et convictions). Elle laisse entendre quelque chose que les Sciences Sociales ne cessent de combattre à savoir que l’adhésion de ces «fautifs» ne relèverait que d’un accord conscient au «Système» (au PS, à la Droite, au FN). Ceux qui refusent le bulletin FDG seraient «fautifs», coupables de ne pas voir la Vérité révolutionnaire et de ne pas entendre raison.
Cette analyse est fondée sur une vision erronée du consentement. Cette militante s’appuie sur le postulat qui est de ramener le fonctionnement du corps social à des interactions délibérées entre agents. Elle pense que ces derniers prennent des décisions réfléchies et qu’il n’y aurait qu’à écouter «les responsables du FDG» qui sont très «patients à nous/vous expliquer de long en large» pour sortir de l’ornière des 6,7%. Elle conclut alors naïvement que le «peuple» devrait écouter la bonne parole (si bonne d’ailleurs soit-elle) mais qu’hélas, pauvre de nous, il «ne veut pas comprendre». Sortons les mouchoirs.
*
Si l’on pouvait (partiellement) se dégager de cette vision subjectiviste, on ne s’attarderait alors pas (trop) sur ces moments de la vie politique qu’on croit décisifs, on ne se laisserait pas submerger et étouffer par ces campagnes électorales (avec, au final, le vote, qui est le paradigme de la conscience politique). Je sais que pour certains de mes lecteurs (lectrices) les discours des sciences sociales (pour dire vite Bourdieu-Accardo(1)-Boltanski) paraissent souvent obscurs, difficiles et complexes. Je sais les rudes chemins qu’il faut emprunter pour tenter de comprendre (un peu) le monde. (Billet sur la trajectoire d’un autodidacte). Autodidacte moi-même, slalomant encore aujourd’hui entre la clarté et le noir complet, j’ai gardé envers moi quelques bouées éclairantes auxquelles je me raccroche.
Un «conseil» qui me vient : à chacun, à chacune de s’acharner, de voir, d’aller y voir.
*
Du coup, on pourrait aller plus loin et avancer que la critique du système capitaliste ne peut pas seulement tenir avec des méthodes qui ne mettraient en cause que les structures objectives du Capitalisme (en exemples, citons : le marché délirant et la circulation folle des capitaux financiers, le laminage des politiques publiques et des acquis sociaux, le caractère technocratique de la construction de l’Europe etc). L’analyse est insuffisante si on ne met pas en cause, en même temps, la part que nous prenons personnellement, singulièrement, à la «bonne marche» du Système.
Nous voilà alors pris en tenaille dans cet ensemble double, inconfortable, qui fait peur, qui mine le moral, qui vous rend insomniaque. C’est qu’il ne suffit pas d’avoir un œil sur le Forum (l’espace public), encore faut-il avoir l’autre œil sur le For Intérieur, là où règne notre Subjectivité perso. Et là, dans l’«intime», c’est une autre affaire – surtout lorsque débarrassé de nos corvées diurnes – s’avance la Nuit (2). Et là, comme le disait Gilles Deleuze (3), penser ça fait mal, ça traverse nos chairs, ça nous explose en dedans, ça nous remue de fond en comble, ça nous déchire, ça demande du feu, des pleurs, bref ça demande, sous toutes les coutures, de la révolution.
*
Et s’il faut repartir vers 1400 autres billets-BiBi, peut-être faudrait-il faire effort collectif et individuel pour se pencher et analyser plus justement ces «trois ateliers de production (et de violence) symbolique» que sont 1. le système scolaire et universitaire 2. le système médiatique d’information-communication et 3. le système politique de la démocratie représentative. Car c’est au cœur de ces sous-ensembles énormes et complexes que beaucoup de choses se jouent. En effet, comme le précise Alain Accardo, le travail de ces trois systèmes s’adressent à «l’entendement rationnel et à la sensibilité conscientes de leurs publics» mais ils ont pour «effet principal de structurer solidement notre inconscient social».
Alors, à bibientôt pour d’autres aventures.
*
- (1). Sur cette connivence non intentionnelle, je renverrais cette militante vers les travaux plus approfondis de Pierre Bourdieu (sur le Sens Pratique, sur l’Habitus) et vers les livres d’Alain Accardo.
- « La soumission au système relève, très généralement, moins d’une démarche volontaire que d’un ajustement pratique spontané et socialement conditionné, dont les mécanismes sont hors du champ de la conscience immédiate et ne peuvent s’appréhender clairement que par une socioanalyse – c’est-à-dire une analyse en profondeur des effets des déterminants sociaux en chacun de nous – de nature à nous faire comprendre la façon dont le dehors s’installe aussi dedans et dont le dedans s’extériorise en retour dans notre rapport personnel au monde». Extrait de De notre servitude involontaire. Editions Agone. 8 euros.
- (2). «Pendant le jour, il n’y a rien de plus facile que de jouer au type qui s’en fout, mais la nuit c’est une autre affaire». (Ernest Hemingway).
- (3). «Qu’est-ce qu’une pensée qui ne ferait aucunement mal ?» (Gilles Deleuze).
« …Il y a certainement une fin des illusions politiques qui doit prendre la suite de la fin des illusions religieuses (certes loin d’être achevée) pour ramener la démocratie à des rapports de force et l’argumentation publique, non pas à une supposée conscience formant le monde à sa mesure comme fait l’artisan. Ce n’est pas parce que nous avons des finalités qu’on pourrait les imposer à la terre entière (et c’est un véritable blasphème de le dire). Nous avons besoin de réexaminer notre position à partir de données plus réalistes. Toutes nos prouesses technologiques et la somme de savoirs accumulés donnent de nous une image bien faussée que la simple expérience suffirait à corriger, expérience de la vie avec ses changements d’idées à changer d’époque, ou même simple expérience de l’écriture quand changer de mots change le sens ou corrige la pensée. Si l’opinion n’était pas trompeuse et que l’illusion plus encore que l’ignorance n’était première, aucun besoin de philosophie ni d’apprendre à se connaître… » Jean Zin
http://jeanzin.fr/2013/12/30/qu-est-ce-que-la-subjectivite/#more-7206
« …Au contraire des démagogues qui flattent le savoir du peuple comme d’une assemblée inspirée par les dieux pour mieux l’endoctriner, c’est notre ignorance commune qui devrait nous rassembler et qui est bien plutôt le principe de la démocratie aussi bien chez Aristote que John-Stuart Mill. Répétons-le, il ne s’agit pas de tomber dans un scepticisme généralisé et la passivité d’un spectateur désabusé mais bien d’en rabattre sur nos prétentions et revenir à un peu plus d’humilité au lieu de prendre des airs de héros déchus ou d’anges vengeurs en se comportant comme des perroquets répétant de vieux discours depuis longtemps caducs. Aussi bien en politique qu’en économie, notre désorientation est manifeste et peut mener au pire. Il faudrait en prendre acte. Cependant, le constat sévère de son insuffisance est ce qui devrait rendre le travail intellectuel encore plus crucial et non pas du tout le disqualifier complètement…. » Jean Zin
http://jeanzin.fr/2013/02/14/commune-connerie/
Avec des billets de cette qualité, j’espère bien que vous repartez pour une nouvelle série de 1400.
J’aime aussi le commentaire de Robert Spire (et Jean Zin, que je découvre grâce à lui).
Merci à vous deux.
@Zap Pow
Merci pour tes encouragements : j’en rougis jusqu’au drapeau de la même couleur 🙂