Légendes d’Hélène (2) : La demande en mariage.

A marier

Mon ami, l’, m’a écrit.

Hier fut pour lui une journée particulière : il avait reçu trois femmes, trois femmes au prénom similaire : . Il a écouté leurs histoires puis sous leurs trois dictées, il a écrit. Deuxième rencontre : Hélène, la jeune femme qui reçut une demande en mariage.

*

   « Une heure plus tard, dans le calme revenu, Hélène s’est présentée, elle désirait répondre à un cultivateur jurassien qui lui avait expliqué son récent veuvage et qui désirait… que, que, quoi, vous me comprenez, Monsieur, n’est-ce pas ? Oui, ce Jurassien voulait se remarier, il voulait qu’il y ait une remplaçante à sa femme décédée d’une leucémie, «Hélène qu’elle s’appelait aussi, le même prénom que moi. On s’est déjà écrit, Monsieur, il tient à moi, Monsieur, vous comprenez, Hélène c’est toute sa vie». Elle s’est reprise aussitôt en corrigeant : «Hélène, c’était toute sa vie. Il ne me connaît pas encore, on ne s’est pas encore vus et il veut me prendre pour épouse. Enfin vous comprenez, c’est que je m’appelle Hélène comme elle…» J’ai fait oui, je comprends mais elle a baissé la tête comme si elle avouait une faute. En pauvre enfant coupable. Mais de quoi êtes-vous coupable, Madame ? La question m’a brûlé les lèvres mais je ne suis pas là pour poser des questions indiscrètes. Je dois saisir le climat, cerner la météo psychique de mes clientes en les laissant dire, en laissant leur dire venir à moi.

   Toile« Sa femme, cette Hélène-là, vous comprenez Monsieur, est morte d’une leucémie. Il l’aimait beaucoup cette Hélène-là. Il l’aimait». Elle n’a même pas butté sur le mot «aimait ». Surprenant parce que toutes ses phrases, elle avait du mal à les commencer, à les finir. Elle s’arrêtait au milieu, perdue dans ce que je croyais être les vallons des Vosges. Mais elle ne rêvait pas ma cliente, «pas Vosgien, Monsieur, il est Jurassien». Oh, oui, elle n’était pas perdue : elle était venue pour quelque chose de précis et il fallait qu’elle le fasse.

   «Voilà, Monsieur, je suis sa remplaçante et je voudrais que vous lui disiez que c’est d’accord». C’est alors qu’elle m’a tout raconté, que cet Eugène avait cherché timidement mais obstinément, dans les Annonces du Chasseur Français, une remplaçante à son Hélène défunte. Eugène, propriétaire foncier au Mouchard. Il disait qu’il voulait une Hélène, et «que justement il voulait qu’elle s’appelle aussi Hélène et que, oui, ce serait un très bel atout pour nouer une relation, alors ça n’a pas manqué Monsieur, il a retenu Hélène, coché Hélène, moi sur sa liste, moi première de toutes».

   J’ai alors vu à ses yeux qu’elle avait attendu toute sa vie d’être la première dans le cœur d’un Homme et qu’elle ne laisserait pas passer l’occasion. Elle m’a tendu la dernière lettre d’Eugène, du papier-velin, une écriture au crayon sur des lignes. Eugène disait qu’il ne pouvait pas appeler une femme par un autre prénom, que toutes ses fibres, toute sa chair pensait «Hélène» que les monts, les bois, les sous-bois, les futaies, les rondins, les branches, le petit bois sec c’était Hélène, que le moindre ru c’était Hélène et que, Dieu en soit témoin, ce n’était pas possible, pas pensable un autre prénom, qu’il fallait que cette Hélène présente dans mon bureau devienne l’absente Hélène, qu’elle devienne une nouvelle Hélène, sa nouvelle Hélène, mais bien sûr, il n’imposait rien directement, il avait du tact, pas un de ces paysans bourrus qui font cliché dans la tête des citadins, oh un bonhomme assez frustre, ça oui, mais très sensible. Il désirait lui laisser toute la liberté possible pour qu’elle vive comme elle voulait et qu’elle ressemble un peu, beaucoup à Hélène la défunte, la disparue. C’était clair pour Eugène, c’était clair pour ma cliente. Ils étaient prêts à franchir le pas, déterminés tous deux.   

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Mais à force de me parler, de parler, de parler, au bout d’un certain temps, ce ne fut plus très clair pour moi car ma cliente devenait de plus en plus hésitante et réticente au sujet du contrat. «Un contrat pas vraiment normal, hein ?», rajoutant «Monsieur, je vous en prie, tournez vos phrases de telle façon que ce Monsieur Eugène ne soit pas offusqué, mais qu’il sache quand même que non, non je ne peux pas me battre avec une morte, je ne peux pas, je ne peux pas me battre contre une disparue, je n’ai pas de leucémie, je ne suis pas la remplaçante, la lutte ne sera pas égale et que donc donc donc je je je refuse, je refuse, oui je refuse».

   Elle s’est alors effondrée, elle s’est mise à pleurer en disant cela, à sangloter comme jamais, dans mon bureau, je n’ai même pas pu la consoler, lui remonter le moral, surpris que j’étais par cette volte-face. Il m’a donc fallu écrire tout ça, l’acquiescement puis le refus, tout en ruminant sur les incohérences des Humains qui pensent oui et qui font non dans la seconde suivante. Je devais écrire tout ça parce qu’elle me payait pour ça, pour écrire, pas pour la consoler. Elle s’est arrêtée de pleurer, s’est montrée soudainement très déterminée, très présente à ce qu’elle me dictait. Elle est repartie une heure après, lettre en main, satisfaite. Elle a ajusté ses lunettes et réajusté son chapeau. Elle s’est remise à pleurer, pas de doute, mais cette fois-ci c’était au loin, au bout de la rue, maugréant, maudissant certainement tous les hommes».

*

    Cher BiBi, il se fait tard. Tu attendras l’aube pour la troisième Hélène. Mon mail arrivera incessamment sous peu. Tu n’auras pas beaucoup à attendre : déjà, je vois pointer le jour. Ton ami, le Narrateur tout endormi.

Légende 1 : La jeune femme turque. 

Légende 3 : La Rupture.

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