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En moi, autour de moi, tout est mouvement. Mouvement continu, ininterrompu. Pas question de prendre pause, de prendre du recul. Y a du direct tout le temps, toujours. Le Présent est là, il se déploie via les ondes, les écrans, les haut-parleurs, via le bombardement incessant de Nouvelles, de Flashes d’infos, de dernières mises au point. Ce Présent sans temps morts… est-il possible de le juguler ? De le rendre vivant, habitable ?
*
Devant ce déferlement en continu, on se doit d’avoir ce sursaut, celui de donner son avis même si on nous l’interdit, on devrait forcer nos pensées au détachement, essayer de les amener à prendre de la hauteur (de vue). On devrait pouvoir ne pas se coucher devant cette terrible intimidation du Présent. On aurait alors cette esquive magnifique, celle de contourner l’immédiateté des Médias qui nous englue, nous poisse, nous rend même complices de ce Présent… à notre corps défendant, à notre corps hélas participant.
Le Présent va de soi.
Le Présent fonctionne comme une évidence, il n’admet aucun doute, aucun retrait, aucun pas de côté. Sur-informés que nous sommes, nous participons personnellement à la Grande Fabrication de la Platitude, aux Jeux Olympiques de la Mascarade et de l’Oubli. Par exemple, ce matin encore, je tendais mon oreille radiophonique pour connaître le moindre déplacement de Valérie Trierweiler.
Et je me suis haï de faire écoute.
Pierre Legendre (1) écrivait.
Il écrivait : «Il faut des mots (nous les avons, envahissants), des images (elles constituent notre horizon quotidien) et un corps pour que s’élève la voix humaine (oui le Corps est bien là, mais le plus souvent avec ses hauts le cœur, ses aigreurs, sa bile, ses maux d’estomac, ses vertiges, ses larmes, ses cris qu’avec ses grandes exaltations et ses rires divins). Il faut cela, plus une quatrième dimension : il faut la raison de vivre».
Il faut la raison de vivre, bien entendu mais cette Raison, il faut aller la chercher, la trouver, ne pas la lâcher, la cajoler, l’enfermer, la délivrer, la laisser s’envoler, la prendre au piège, l’engueuler, la bisouiller, la ramener à soi, aux autres… Nous n’avons pas d’autre choix que de nous dégager du rapport primaire au Monde, de ce Monde que nous entretenons, dont nous assurons la reproduction. Mission quasi-impossible ? Quasi.
Restent : lutter, ne pas mourir.
Lutter contre le Présent, contre le Présent-Télévision, contre le Présent d’Eglise et de Confession, tenir à distance le Présent des Stades, le Présent des Chefs, des Editocrates et des Gourous. Ne pas mourir sous les coups du Présent et de ses directives. Ces Valeurs imposées, nous les connaissons bien. Énumérons-les : éviter de se mouiller, ne pas trier, ne pas hiérarchiser, faire que tout soit égal, effacer toute aspérité, pas de bourgeons qui éclatent, pas de pensées qui font mal, pas de brûlures du Soleil. En toute occasion présente, on nous oblige de rechercher maniaquement de la Précaution, on nous force à la génuflexion devant les omniprésents Discours sécuritaires.
Ce qui nous est demandé, imposé – avec sourire par devant et crocs par derrière – c’est une gestion très correcte et très polie/policée de nos Gestes, c’est de continuer d’être une Boite automatique, d’avoir un Rendement économique maximal, de porter notre Moi au pinacle, de pleurer pour les bonnes causes humanitaires etc,etc. Et si tu n’as rien de tout ça dans tes bagages, t’as qu’à crever comme un chien.
La Pompe, le Souffle du Présent, son Délire, c’est la Communication.
Cette Planification comptable, drivée par les Boites de Com, c’est l’Oiseau noir de nos vies. Elle gomme et dégomme toutes nos Raisons de Vivre. C’est que toute Raison – selon ses Communicancans – est vaine, il faut se laisser-aller, se laisser-faire, il faut laisser aller, laisser faire. Jouir sans compter. Cool. Cool, Baby. Bientôt le Grand Capital nous dira que l’Humanité a vaincu la Vieillesse (il y a réussi partiellement avec la Multiplication des Alzheimer), il dira que nous sommes In-des-truc-ti-bles, des Immortels, des Infaillibles. Tout est égal, tout devient relatif. La Gravité (et les Centres du même nom) est oubliée. On gomme, on dégomme. Le Présent naît non du Passé mais de lui-même, nous n’avons pas d’histoires, ni devant, ni derrière. Et nous assistons, sidérés, atterrés, tendant nos bras, à des perfusions à jet continu. On avale avec joie nos doses télévisuelles, on obéit à des Injonctions totalement intériorisées pour tenir debout dans le Présent asthmatique.
Présent déjà-là.
Et dès demain (qui ressemble terriblement à aujourd’hui), nous jouirons sans entraves, nous continuerons à n’avoir aucune conviction, on s’interdira même d’admirer les Œuvres, les Poètes. Nous aurons des Opinions, des Idées, des Fascinations. On célébrera les quarts d’heure de Célébrité, on fera les sociologues en analysant le Monde aux voix distillées par les micro-trottoirs, on brandira les Sondages pour dire la Marche du Monde, on exhibera l’Audimat et la Loi Majoritaire comme étalons-or.
Ce Présent-là est déjà-là.
Au hasard d’une échappée belle.
Il y en a pourtant qui brandissent, d’une main, leurs perceuses, leurs scies-sauteuses, leurs marteaux-piqueurs et leurs aiguilles. De l’autre main, ils nous montrent leurs Brevets d’Humanité. Ils/elles sortent de leurs trous, ils/elles bricolent un peu, ils/elles redorent cette noble Gestuelle qui lie le Mental et le Physique, qui relie le Verbe à la Chair et la Matière aux Corps. Essayons d’être un peu de ceux/celles-là : agitons nos bras en sémaphores, gardons bon pied d’acrobates, professons du Gai Savoir, élargissons les failles… avant que ne revienne le Temps présent, avant que nous empruntions à nouveau le dur chemin du retour au bercail.
*
(1) Pierre LEGENDRE. La Fabrication de l’Homme Occidental. Editions Mille et Une Nuits. (ou encore ce billet-bibi).
L’Histoire n’est qu’une succession d’avatars de présents, car l’humain vit sous le joug biologique de la recherche du plaisir et de la dominance. D’aprés Henri Laborit il y a moyen de surmonter ces déterminismes en en favorisant d’autres plus largement:
« Conscience, connaissance, imagination, sont les seules caractéristiques de l’espèce humaine. Ce sont celles aussi le plus exceptionnellement employées. Par contre, l’homme entretient de lui une fausse idée qui sous la pelure avantageuse de beaux sentiments et de grandes idées, maintient férocement les dominances. La seule façon d’arracher ces défroques mensongères est d’en démonter les mécanismes et d’en généraliser la connaissance. »
Henri Laborit « La Nouvelle Grille ».
@Robert Spire.
« Démonter les mécanismes et en généraliser la connaissance ». Des formules qui me plaisent.
Sauf que sur ce chemin de connaissance de ces Dominances, y a de la douleur, de la solitude, du désenchantement.
Restent in extremis les Rêveries à travers le brouillard.
Dans le tryptique cognitif de Laborit, le dernier: « L’imagination » (Ou rêveries dans le brouillard) est le plus important. Cette faculté que seul l’Homme possède, lui permet de surmonter la solitude, le désenchantement et même la douleur physique (les progrés de la médecine sont le fruit de cette capacité imaginante). C’est vrai que sur la plan social, ce n’est pas encore la panacée. Se débarrasser des dominances demande et demandera des efforts et on peut les imaginer non-violents.
@Robert Spire
Que serait notre Monde sans imagination ? Il ne serait pas, tout simplement. Mais il y a des forces obscures (facilement reconnaissables mais hélas pas suffisamment reconnues pour qu’on les mette en pièces) qui concourent à couper court. Des forces obscures qui ne glorifient que l’Homo Economicus et dont les Prototypes sont le Trader de la City ou les louveteaux de Wall street.
Me revient en cet instant le cri de résistance de Patrick Mac Goohan dans les épisodes du « Prisonnier », ce hurlement qui traversa mon enfance de téléspectateur : » Je ne suis pas un Numéro ! ».
L’Homo Economicus. Laborit utilisait l’expression « Homo Mercantilis » pour qualifier le niveau de l’homme moderne, estimant que l’expression « Homo sapiens » conviendrait mieux à un futur possible de notre espèce. Trop de « Forces obscures » restant à élucider par un « Homme » qui pense réellement. Il le dit mieux que moi:
« La vraie mutation, le début de l’ère nouvelle que certains nous chantent, apparaîtra le jour où le stade de l’homo faber que nous n’avons point encore dépassé, même complété par celui de sa symbiose avec l’homo mercantilis qui domine actuellement la planète, fera place au stade de l’homo sapiens que nous n’avons pas encore atteint. Nous ne l’avons pas encore atteint parce que, jusqu’ici, trop occupé à consommer, nous n’avons point encore appris à penser »
L’Humanité est-elle capable de passer ce cap? Telle est la question. Peut-être que nous n’avons pas la capacité à l’image du « Prisonnier » dans son village ou de la mouche sur la vitre, de bifurquer vers la sortie….J’ose espérer le contraire, sinon à quoi bon vivre dans une « Réserve ». La « Grande boule blanche » qui se meut tel un chien de troupeau n’est qu’une illusion, celle de nos peurs et de notre trop grand respect des hiérarchies.
il parait que l’homme est la seule espèce animale qui s’obstine à commettre les mêmes erreurs….Bon dimanche !
@despasperdus
Certes, il est humain de se tromper mais mon père m’a toujours dit : « Oui l’erreur doit te servir, fiston. On peut la pardonner mais si tu fais deux fois de suite la même, tu continueras à être un imbécile, n’ayant pas réfléchi sur la première ». Merci à toi. Et à bibientôt de se revoir.
Il y a des absolus qui non seulement préexistent à l’humain mais existent en dehors de l’humain. Le temps est une donnée fictive, un mot pour se repérer (comme tous les mots en fait).
Qu’avons nous en réalité ? La causalité, fixée dans l’éternel présent qui se génère lui-même. Objectivement le passé n’est plus, le futur n’est pas encore ; ne reste que le souvenir que nous pouvons avoir du passé et la projection de l’avenir ; constructions chimériques qui sont unes et indivisibles à un instant T, l’ensemble des instants liés par la causalité, se dupliquant d’instant en instant et s’altérant fonction de ce qui est à ce moment là.
Je ne suis vraiment pas sûr de pouvoir exprimer correctement ma pensée, j’en suis navré, peut être un exemple sera plus parlant :
Une horloge ne montre pas l’écoulement du temps, elle montre un mécanisme qui produit une action à intervalles plus ou moins réguliers dépendant de l’obsevateur (tout est relatif) ; le reste n’est qu’interprétations.
La vision subjective du monde que nous avons est une déformation de la réalité absolue.
Tout ce que nous vivons serait-il faux alors ?
Non, cette réalité subjective que nous percevons appartient à la réalité objective. Peut-être même que cette vision subjective nous épargne du nihilisme structurel de l’univers, c’est peut-être de là que nait l’imagination et l’importance qu’elle peut avoir.
Ainsi nous savons que nous savons que nous ne savons rien, présentement.