Contrôle des frontières : un juteux business.

Claire Rodier est juriste au GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), et co-fondatrice du réseau euro-africain Migreurop. Elle travaille surtout sur les politiques européennes d’immigration et d’asile.

Elle vient de publier «Xénophobie business» aux Editions La Découverte. Dans la rencontre avec Jérôme Vachon, journaliste à la revue ASH (n° de novembre 2012, page 26), elle revient sur le marché très rentable bâti autour des politiques migratoires. Un secteur économique dont les Médiacrates et les grands experts de Think Tanks se gardent bien de décortiquer. Extraits.

«Le contrôle des frontières est devenu un business. Jusque vers le début des années 2000, l’Union européenne affirmait officiellement qu’il fallait faire venir des émigrés».

Crise + montée des extrêmes-droites + impact du 11 septembre + laissez-faire des Droites (et hélas d’une certaine… Gauche) vont légitimer une «inversion du discours sur la protection des frontières avec une législation plutôt protectionniste. Au même moment, on a assisté au redéploiement des industries de l’armement et de la sécurité. Avec pour conséquence une véritable «mercenarisation» du contrôle des frontières».

Claire Rodier parle alors de deux Opérateurs privés dominants sur le marché :

  1. L’entreprise G4S : multinationale du Secteur-Sécurité (40.000 employés, +de 1 milliard de livres de chiffre d’affaires). Prestation de gardiennage, de sécurisation, de protection, de transfert de prisonniers, de gestion de prisons, intervention dans les contrôles migratoires (Afrique du Sud, Royaume-Uni). La société gère des centres de rétention et encadre les expulsions. Juteux marché, non ? En France – pour l’instant – c’est du domaine public. Jusqu’à quand ?
  2. L’Agence Frontex : des entreprises privées lui fournissent du matériel. Elle possède : «48 hélicoptères et avions, 113 navires, 500 appareils spécialisés comme radars et caméras». Depuis 2004, elle est «le bras armé de l’Union Européenne pour la surveillance des frontières».

Question : Que rapporte un centre de rétention aux entreprises privées ? Quel est l’intérêt des gouvernements à faire appel à elles ?

«C’est difficile à chiffrer mais ce doit être une entreprise rentable car la concurrence est forte». Au Royaume-Uni et aux USA, les personnes retenues dans les Centres sont utilisées comme main d’œuvre bon marché, « ce qui rentabilise le système».

Claire Rodier rappelle que, hélas, la tendance à la privatisation des missions de Service public est générale. Cela permet aux pouvoirs publics de «se dédouaner d’un certain nombre de difficultés de gestion et aussi de ne pas endosser une responsabilité directe – plaintes aux tribunaux – lorsqu’il se produit des incidents».

Question : Ces acteurs privés n’auraient-ils pas intérêt à ne pas être trop efficaces afin de ne pas tarir le filon ?

«C’est mon interprétation. Tout le monde a intérêt à ce qu’il y ait toujours des migrants à contrôler car bloquer complètement les frontières porterait atteinte à ce secteur éco en pleine expansion. Je ne crois pas à une théorie du complot, simplement à l’installation d’un marché grâce à une succession d’effets d’aubaine. Cette économie a besoin d’un flux migratoire régulier. Et les migrants passeront toujours….»

Les points de passage se déplacent. En 2003-2004 : Détroit de Gibraltar et Canaries. En 2006 : désert libyen et algérien. En 2010 : Grèce-Turquie-Balkans-Ukraine.

Dans ce même interview, Claire Rodier signale que l’Europe «sous-traite aussi avec des Etats-tiers, en général les pays d’émigration mais aussi de transit. La mise en œuvre des politiques migratoires fait figure de monnaies d’échange… avec pour les migrants des sévices, meurtres, viols, trafics d’êtres humains de la part des passeurs comme des forces d’ordre locales».

La juriste retient les négociations en 2006 entre le Sénégal et l’Espagne (plan de rapatriement contre 20 millions d’aide), avec le Maroc, avec la Libye (traité signé en 2008 entre l’Italie et la Libye avec 5 milliards de dollars d’investissement européen – on peut se demander où sont passés aujourd’hui ces millions).

La conclusion de Claire Rodier est à méditer :

«Depuis une dizaine d’années, des chercheurs ont montré que cette politique de contrôle migratoire est coûteuse et n’aide en rien à l’intégration de ces populations (…). C’est l’image de l’autre qui est à revoir. On doit arrêter de penser que le migrant est a priori menaçant. C’est le fantasme de la forteresse dans un monde complètement internationalisé».

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Je renvoie ici mes lecteurs aux interviews de Claire Rodier mis en ligne sur d’autres sites :

2 Responses to Contrôle des frontières : un juteux business.

  1. Robert Spire dit :

    Voilà un article bien utile. Sur le terrain il est difficile de faire passer ces infos mais on y arrive sur le long terme. Je suis membre d’une association locale de Défense de 69 africains « Sans papiers » et en 3 ans nos démarches ont abouti à en régulariser 68.

  2. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Plutôt content que mes petits papiers (du Net) puissent un peu aider les Sans-papiers.

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