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La presse minoritaire restera toujours minoritaire, non par la volonté très chic de l’être mais parce que le libéralisme crie toujours plus haut et plus fort. BiBi aimerait bien porter le slogan de Fakir «C’est nous qu’on va gagner» au sommet. Seulement, BiBi ne prend pas son désir pour le Réel : hélas, les lendemains ne chantent pas, le Capitalisme n’est pas forcément à l’agonie et la Victoire n’est pas pour demain.
Il n’y a pas non plus de lutte finale, il y a plutôt une lutte ininterrompue où s’arracheront des petites victoires (avant qu’elles ne soient encore et toujours remises en cause).
«Comment se fait-il, se demande François Ruffin, qu’après la chute de Lehman Brothers, nous n’ayons pas su saisir cette chance, imposer nos réformes, faire mettre un genou à terre à la finance ?»
Tout de cette question est entendable (BiBi y adhèrerait bien) sauf qu’il faudrait quand même s’arrêter sur ce «nous» qui se glisse souvent, trop souvent dans les articles (jusqu’à en faire un slogan du Journal).
Car, en se penchant sur ce «nous» si vite écrit et imprimé, on verrait hélas bien autre chose qu’une Machine à gagner («C’est nous qu’on va gagner»), on s’éloignerait de cette impression de naturel non-interrogé, on y verrait plutôt à l’œuvre toutes les difficultés, toutes les embûches qui empêchent le «nous» de se constituer en «nous», de s’imposer en Force suffisamment massive pour gagner. Derrière ce «nous» bien superficiel de Fakir, on verrait au contraire tout son émiettement, on y verrait des groupes épars qui partent vers les braillards de droite extrême comme vers les muets de l’abstention, on verrait de la solitude, du désespoir, du silence, du vote Bleu Marine et heureusement du vote rouge.
Et surtout en face de ce «nous» toujours en construction, versatile, changeant, fragile, à peine en position de force, on verrait cet autre «nous», un «nous» toujours idéalement préparé, armé jusqu’aux dents, on verrait cette infime minorité qui se serre les coudes pour ne pas à avoir serrer les fesses, ce «nous» d’une Upper Class qui se forge des remparts et garde toujours debout son unité (grâce aux mariages, aux legs et héritages qui lui assurent sa propre reproduction sociale, grâce aussi au larbinage du personnel politique, des élus conformistes et des Experts médiatiques).
Dans le dossier sur le Poulet et les difficultés que connaît l’aviculture, Fakir s’arrête sur cet Institut intello où se fabrique le discours productiviste et libéral de la filière.
«Quelle importance que ce laboratoire (l’ITAVI) inconnu ? A quoi bon lui consacrer une page ? Réponse : Parce que ce sont les véritables penseurs de la filière. Qui ne se contentent pas de réfléchir dans une tour d’ivoire : par des salons, des newsletters, des colloques, leurs idées se diffusent dans les séminaires d’entreprise, dans les tables rondes syndicales, jusqu’aux cabinets ministériels».
L’homogénéisation de la Classe possédante se fait bien entendu par ces biais. Rajoutons que pour populariser ces idées, les experts des Think Tank viennent ici puiser des références (libérales la plupart du temps).
Autre question d’importance : aujourd’hui, les sociologues ont beaucoup de difficultés pour entrer dans les entreprises, pour y analyser les rapports de force. On leur ferme les portes. On ne veut plus des Bourdieu en herbe qui viendraient fouiner – comme dans les belles périodes des années 80. Alors la seule possibilité reste de s’appuyer sur les études de ces «adversaires idéologiques». Tu veux étudier l’aviculture française, trouver des données, des chiffres? Alors tu t’adresses à l’ITAVI.
«C’est dans leurs documents, écrit Fakir, qu’on trouve la plus grande richesse de données, de statistiques. Pour repérer les obstacles sérieux, objectifs, à une reconversion de la filière, il nous faut donc partir de leur état des lieux».
On voit là toute la difficulté de penseurs non-libéraux qui analyseraient puis donneraient des conseils et orientations dans la lutte des producteurs et salariés. Il leur faut passer par les données de leurs «adversaires idéologiques». Pas simple.
Ce numéro de Fakir (septembre-novembre) est riche en dossiers, en analyses, en chiffres. Signalons qu’en Italie, on a relevé 49 suicides pour raisons économiques depuis le début de l’année, qu’au Portugal les 339000 allocataires du revenu d’insertion perçoivent en moyenne 92 euros par mois, qu’en Allemagne le journal Der Spiegel a classé Alexis Tsipras (gauche dite radicale, adversaire des plans d’austérité) comme «l’homme le plus dangereux d’Europe» (n°du 8 août) qui «alimenterait les stéréotypes et le ressentiment» alors qu’à longueur d’année, la Presse-Merkel traite les grecs de tricheurs, fainéants, menteurs.
Enfin, refermant le numéro acheté seulement trois euros, BiBi se demande la raison pour laquelle Jean-Marie Cavada, supporter de l’ex-petit Chef, a droit à une page entière pour débiter sa phraséologie. Une page pour alimenter à bons comptes la pensée unique (et soi-disant réaliste) avec des propos néo-libéraux :
«Ce qui est bon pour notre continent n’est pas forcément populaire. Dans les périodes de crises, les gouvernants ne sont pas là pour flatter l’opinion mais pour lui indiquer un chemin de meilleur comportement. Y a des moments où il faut savoir guider le peuple».
Hé, gens de Fakir, la prochaine fois, si vous pouviez guider les Cavada de tous poils vers la sortie, votre Numéro serait parfait.
J’ai rarement été déçu par ce canard. Les bouquins de Ruffin sont également intéressants.
http://www.despasperdus.com/index.php?post/2010/09/27/la-guerre-des-classes-%28Jean-Fran%C3%A7ois-Ruffin%29
@Pas perdus.
Je suis « Fakir » sans discontinuer. Parce qu’il faut défendre la presse minoritaire qui est toujours comme un grain de sable et un grain de folie pour faire tousser ++ le Moteur des Dominants.
Je n’ai pas lu le bouquin de F.Ruffin avec lequel je suis globalement d’accord. Mais il reste cette petite chose qui demanderait à être analysé : comment/pourquoi la justesse des options politiques et économique de la Gauche ( la nôtre) ne rencontre pas l’assentiment plus important du peuple français ? Dans cette analyse, le côté rigolo (« c’est nous qu’on va gagner ») m’énerve (un peu). Reste – pour moi – qu’on a guère élagué et/ou surmonté les manques, les ratés dans notre Politique de Gauche.
Déjà en décembre 2011, j’avais écrit un billet précis ( sans réponse) http://www.pensezbibi.com/categories/revue-de-presse/a-propos-dun-article-de-francois-ruffin-de-fakir-10521