Lectures croisées.

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Les grands livres nous révèlent des choses que nous n’avions pas prévues, nous révèlent des choses de nous-mêmes et de notre rapport au Monde. Ils font lien avec le Réel indéchiffrable, ils y tracent des pistes, ils y dessinent des portes de sortie et – plus rarement – des arcs de triomphe et des arcs-en-ciel. Outre la relecture de Georges Haldas, je viens d’achever, dans un même temps, un livre d’entretien avec John Berger.

J’aime ces lectures croisées, j’aime repérer des homologies entre les textes d’auteurs si différents et si éloignés. J’aime les biefs, les ponts, les chemins de traverse, les passages écrits qui finissent par converger. J’aime ce Fonds essentiel, humain, trop humain, où chaque auteur va puiser et qui – finalement – les relient inside me.

Quand Georges Haldas (1) écrit : «Je crois qu’il n’est pas possible de vivre en Etat de Poésie, sans être toujours en état de disponibilité, de vigilance, d’attention et surtout de réceptivité au monde sous toutes ses formes, que ce soit un paysage, un moment ou un être. Il n’est pas possible de faire quoi que ce soit, s’il n’y a pas au fond de vous un «oui» primordial dit au Réel. Qui est précisément la confiance», cet extrait choisi aurait pu tout aussi bien être écrit par John Berger.

J’aime ces moments où les noms d’auteur se perdent dans un horizon commun, où le texte seul resplendit, faisant à la fois loi et désir.

J’aime aussi l’écrivain qui se transforme en lecteur. J’aime les écrivains qui me rapportent de petites perles du fond de l’océan de leurs lectures. Ainsi de John Berger, écrivain anglais de Haute-Savoie, citant dans ce petit livre d’entretien (2), la poétesse russe Anna Akhmatova :

«Si tous ceux qui dans ce bas monde m’ont demandé une aide morale, tous les simples d’esprit et les muets, les femmes abandonnées et les estropiés, les bagnards et les suicidés, m’avaient envoyé ne serait-ce qu’un Kopeck chacun, je serais le plus riche de tous… Ils ne m’ont pas envoyé de Kopecks, ils ont partagé avec moi leurs forces, et je suis devenu la plus forte du Monde. Cela je peux le supporter».

Conviction-BiBi : la Puissance du Kopeck n’égalera jamais les forces vives de ces Humiliés et de ces Offensés. Hier Sanofi a engrangé des milliers d’euros et a mis au chômage plus de 900 salariés. Aujourd’hui, Arcelor-Mittal a imposé définitivement ses lois d’acier pour chercher du dollar ailleurs. Hier, aujourd’hui, j’ai entendu leurs cris de rage, leurs forces vives.

John Berger, lui, est allé déceler ces forces vives chez les paysans sur lesquels il a beaucoup écrit :

«Curieusement, c’est une chose qui me rapproche beaucoup des paysans, car les paysans sont incroyablement observateurs. Ils sont obligés de l’être. Mais si c’était possible de mesurer le nombre d’observations visuelles faites pendant une heure ou une journée, je crois que chez les paysans le chiffre approcherait de cent, pour huit ou neuf chez les gens de la ville. Et ce n’est pas pour mépriser les gens de la ville, parce qu’en vérité c’est une défense de ne pas regarder. Quand on est dans le métro pour aller au boulot, si on ne regarde pas, c’est une défense tout à fait compréhensible. Mais si on sort à cinq heures du matin, la nuit, pour chercher des vaches, alors on remarque tout».

Regarder, voir attentivement, (presque) tout observer, c’est déjà amorcer de justes pensées.
Et penser, vivifie.
Puissent aussi mes lecteurs aller chercher les billets-BiBi de la même manière… que ces paysans allant chercher leurs vaches au petit matin 🙂

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(1) Georges Haldas «Les Minutes Heureuses». (Editions de l’Âge d’Homme).
(2) John Berger «Calling Out» (Editions de l’Aube).

N’oubliez pas non plus de promouvoir votre vache préférée… C’est ici :

One Response to Lectures croisées.

  1. J’aime les auteurs qui citent d’autres auteurs, ça m’a permis d’en découvrir de nombreux… et c’est vrai que sur les blogs aussi. 😉

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