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Au cours de cette quinzaine, j’ai suivi l’étrange marche d’écrivains lançant – à qui voulait les entendre, à qui voulait surtout les lire – des citations de leurs livres. Aphorismes, extraits de textes jalonnaient cet étrange chemin. Peu importait au fond qui les avait écrits : l’essentiel étant que chaque citation demeure une balise, reste une halte momentanée et bienvenue pour reprendre souffle, pour reprendre pied, pour reprendre vie. Bref : qu’elle soit une aide à marcher encore plus loin.
Georges Steiner dans son livre «Réelles Présences» commença la course avec, pour bagage, une pensée sur le langage… envisagé non comme un moyen de communication mais comme profondeur constitutive de tout notre Être : «Le langage lui-même possède et est possédé par la dynamique de la fiction. Parler, que ce soit à soi-même ou à autrui, c’est, au sens le plus immédiat et le plus rigoureux de cette banalité insondable, inventer, et réinventer l’être et le monde».
A sa suite, Valère Novarina prit le relais – sans attendre : «La mémoire du langage n’est pas un entrepôt dans la tête mais elle est, au fond du corps, la marque, le négatif du geste, la trace du verbe, un signe de mouvement ; le langage ne s’offre pas à nous comme un répertoire alphabétisant, un inventaire de termes, une panoplie d’outils, un lexique d’instruments, une liste d’opérations, une marche à suivre… Il s’ouvre en nous comme notre propre corps pour voyager».
Cesare Pavese dans «Le Métier de Vivre» vint leur rétorquer que tout ça n’était pas si facile et que «les hommes ne se plaignent pas de souffrir mais de l’autorité qui les domine, les tient et les fait souffrir». Il prit une minute pour bifurquer avant de se plonger dans une introspection un peu hésitante : «Elle est extraordinaire l’idée que chacune de tes maladresses, chacune de tes incertitudes, chacune de tes rages – en somme tout ce qui est négatif – peut toujours, demain, d’un point de vue différent et plus sagace, se révéler une valeur, une qualité, un trésor positif».
Se mêla alors à la conversation Léos Carax qui parla de ce qui abîmait l’Être : la notoriété, la célébrité. Le cinéaste rapporta ce que lui dit un jour Jean-Luc Godard qui se souvenait lui-même d’une pensée de Balzac dans «Illusions perdues» : «La gloire est le soleil des morts».
Et ce n’était pas fini ! Voilà Elias Canetti en personne qui arriva pour rajouter son grain de sel avec ses «Divagations» : «Dès que leurs noms sont célèbres, ceux qui les portent devraient les mettre en pièces». Et le sage Tchouang-Tseu fit écho à l’improviste sur le chemin d’une Ethique à suivre : «Il n’adhère à aucune école, et pourtant il ne rejette pas une pensée parce qu’elle provient d’un autre».
Les voilà tous !… Ils croisèrent cet énigmatique Helvète qui se nomme Robert Walser. En voilà un qui ne chercha rien d’autre que de demeurer dans l’obscurité : «Que je suis heureux de n’apercevoir en moi rien qui soit digne d’attention et de respect ! Être petit et le rester. Une main, une circonstance, une vague me saisirait-elle pour me transporter vers les régions supérieures où règne Puissance et Influence, je détruirais les circonstances qui m’ont élu et me jetterais moi-même dans les profondeurs de l’obscurité insignifiante. Je ne puis respirer que dans les régions inférieures».
Et ce toujours unique Robert Walser eut tout juste le temps de leur lancer ces mots pour louer son commerce de petites proses. «Messieurs, il me plaît de comparer mes petites proses à de petites danseuses qui dansent jusqu’à ce qu’elles soient totalement usées et s’écroulent de fatigue».
Sur le même chemin, BiBi le Colporteur stoppa sa marche, posa son sac à dos rempli de livres et de revues. S’imposa en lui cette pensée, ce souhait… en écho de l’intraitable Robert : «Puissent les petites proses portées et rapportées ici réveiller tout lecteur et le faire – à nouveau – danser sur le chemin».
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