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Sur son blog, Georges Didi-Huberman, historien de l’Art, pose un regard sur l’Olympia de Manet qu’on peut admirer au Musée d’Orsay. Il aura fallu attendre plus de trente ans pour que les cuisses olympiennes s’ouvrent, pour que ses yeux se ferment et que les peintres-hommes rougissent enfin son visage de plaisir.
Voici le remarquable morceau de bravoure de Didi-Huberman que je reprends in-extenso (en espérant que l’historien de l’Art ne m’en voudra pas…)
OLYMPIA, HORIZON D’ATTENTE
« Chacun garde en mémoire, chez Manet, la fameuse et la belle indifférence d’Olympia. Son corps désirable, nu mais fermé, étrangement blafard. Corps fermé, aussi, parce qu’il nous est montré de profil ou à peu près, avec cette main extraordinaire d’intensité – raccourci saisissant, contraste puissant, trait qui creuse la chair – posée sur le bas-ventre. Tout ce qui est peint frontalement appelle le mystère : le visage indéchiffrable d’Olympia, celui de la femme noire complice de cette indéchiffrabilité même et, bien sûr, le regard du chat. Il y a aussi les fleurs : ce bouquet, ce décor coloré de pétales, de calices, de pistils ou, pour tout dire, ce bouquet d’organes sexuels qui osent même se déverser, par contagion figurale, sur la soie beige où repose le beau corps.
Olympia ne fait rien que regarder son spectateur. C’est une façon d’attendre. C’est donc une façon d’ouvrir, chez son spectateur, un horizon d’attente. Comme La Femme à l’éventail nous laisse attendre que s’ouvre autre chose qu’un éventail, quelque part dans le plan si rapproché des draperies de sa robe noire (ou, dans le Portrait de Jeanne Duval, de sa robe blanche). Dans sa jeunesse, à l’âge de vingt-deux ans, Manet avait aimé copier La Vénus du Pardo de Titien, cette version de femme endormie plus explicitement qu’ailleurs référée à son horizon d’attente puisqu’un satyre y soulevait, avec une grande anxiété sexuelle – très bien marquée par Manet dans sa copie –, le voile blanc qui enveloppait la nudité de Vénus.
Dix ans après l’Olympia, Cézanne fera entrer le spectateur concupiscent dans le tableau de Manet comme le satyre de Titien avait fait effraction dans le paysage tranquille de la Vénus endormie de Giorgione. Désormais l’espace a pivoté, les fleurs explosent en gerbes dans la partie supérieure du tableau, les corps se dynamisent puissamment. Mais les cuisses de la dame sont encore fermées.
Il faudra attendre 1903 et ce magnifique dessin aquarellé de Picasso («Deux Nus et un chat»)pour que soit atteint l’horizon d’attente ouvert par l’Olympia : sous le regard plissé – goguenard, on imagine – du petit chat noir, la jeune femme ouvre en grand ses cuisses où le visage tout entier d’un homme est à présent lové. Enfin il a vu, enfin il a touché, enfin il pose ses lèvres. Enfin ils font l’amour, se tenant par la main. Elle l’embrasse maintenant avec ses jambes. Enfin elle a fermé les yeux. Le bouquet de fleurs ? Il a disparu : c’est que la couleur anime désormais la peau – autrefois livide – de cette nouvelle Olympia, toute rougie aux joues de désir. Sur le montant du lit s’entrelacent en décor des phallus et des vulves».
Titien – Manet, quelques belles pages d’une autre vision dans « On n’y voit rien » de Daniel Arasse.
Didi-Uberman boucle la boucle.
Georges, c’est un grand, tu peux le suivre : – ) !
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